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Les secrets bien gardés des archives françaises sur le génocide au Rwanda

Le Vif

Plusieurs fois promise, l’ouverture des archives françaises sur la période du génocide au Rwanda reste sporadique et parcellaire, entretenant le soupçon sur l’attitude des autorités françaises de l’époque, estiment des chercheurs.

Les zones d’ombres sur le rôle de la France avant, pendant et après ce génocide qui fit au moins 800.000 morts en cent jours selon l’ONU, essentiellement au sein de la minorité tutsi, restent une source récurrente de polémique dans le pays, un abcès purulent.

Les archives pourraient-elles permettre d’éclaircir les points les plus disputés, telle l’ampleur de l’assistance militaire apportée par la France au régime du président rwandais hutu Juvénal Habyarimana de 1990 à 1994 ou les circonstances de l’attentat qui coûta la vie à ce même président le 6 avril 1994 et déclencha le génocide ?

Les experts qui travaillent sur ces thèmes soulignent d’une même voix qu’ils ne sont pas « naïfs » et savent que beaucoup de documents ont été « expurgés », voire détruits.

« Lors de la mission d’enquête parlementaire sur le Rwanda en 1998 (…), quand vous alliez au ministère de la Coopération, toutes les cheminées étaient en activité », grince un chercheur.

« A la suite de l’annonce du président François Hollande sur la déclassification des archives du fond François Mitterrand en 2015, j’ai fait une demande. J’ai eu droit à quelques documents qui étaient connus par ailleurs et pour certains publics. Donc sans intérêt », regrette Hélène Dumas, historienne spécialiste du génocide des Tutsi, chargée de recherche au Centre national de recherche scientifique (CNRS).

– Engagements présidentiels –

Gestionnaire des archives de M. Mitterrand, clé de compréhension essentielle au vu du rôle central du président d’alors, à la fois chef des Armées et patron de la politique étrangère, Dominique Bertinotti continue de s’opposer à la divulgation de nombreux documents.

Cité dans « Rwanda, ils parlent », livre-enquête fouillé du journaliste de La Croix Laurent Larcher, l’actuel conseiller Afrique d’Emmanuel Macron, Franck Paris, reconnaît qu’un « travail de passage en revue des archives » présidentielles a été effectué avant leur déclassification très partielle.

Cet accès facilité aux archives françaises, deux présidents l’ont pourtant solennellement promis: outre François Hollande, Emmanuel Macron s’y était engagé en mai 2018, lorsqu’il avait reçu le président rwandais Paul Kagame à l’Elysée.

« Un travail de déclassification a été engagé, je ferai en sorte qu’il se poursuive », avait alors déclaré le président français.

Des dizaines de milliers de documents, stockés dans divers fonds, pourraient être concernés: archives de la présidence, documents personnels de François Mitterrand et de ses ministres, notes de la DGSE (Direction générale de la sécurité extérieure), rapports du renseignement militaire, analyses des ministères des Affaires étrangères et de la Défense…

Pour tenter de tirer un fil d’Ariane dans ce labyrinthe, le président Macron doit dévoiler vendredi, à quelques jours du 25e anniversaire du déclenchement du génocide, la composition d’un « groupe de chercheurs » chargé d’examiner les archives qui pourront l’être.

– « On doit savoir » –

Saluée par Kigali lors de son annonce en mai 2018, cette initiative s’accompagne pourtant déjà d’une polémique. Avant même son officialisation, deux spécialistes du sujet, Stéphane Audoin-Rouzeau et Hélène Dumas, ont fait savoir qu’ils en avaient été écartés, et ont reçu le soutien de chercheurs signataires d’une tribune réclamant « courage et vérité ».

Pour le chercheur François Graner, auteur de « Le Sabre et la machette: officiers français et génocide tutsi » et membre de l’association Survie qui milite contre la « Françafrique », « il y a une culture en France qui fait que les gouvernants ont tendance à se protéger et à protéger leurs sources ».

« Cela entretient les soupçons », déplore-t-il, en soulignant que l’élucidation d’autres affaires sensibles – de l’assassinat du président burkinabè Thomas Sankara en 1987 à la mort suspecte du juge français Bernard Borrel à Djibouti en 1995 – se heurte au même mur du « secret-défense » français.

Sur le Rwanda, « il existe tant de points d’ombre, de faits non éclaircis qu’il est temps de lever ces atmosphères de suspicion, de passion, en faisant en sorte que les éléments de réponse qui existent soient rendus publics », insiste André Guichaoua, professeur à l’Université Paris I. « On doit savoir c’est tout ».

Mais pour ce spécialiste de la région des Grands Lacs, la France n’est pas le seul pays concerné par cet indispensable exercice de transparence.

« Cet acharnement à l’échelon français exonère les autres détenteurs d’information, parmi les plus éminents, comme la Grande-Bretagne, les Etats-Unis ou la Suisse », regrette-t-il. « L’Allemagne était le dernier et le seul pays à avoir des unités d’active le 6 avril 1994 et ils étaient bien placés puisqu’ils étaient à Kanombe », à proximité du lieu de l’attentat.

Sans oublier les pays voisins du Rwanda. « On fait comme s’ils n’existaient pas mais côté services de renseignements, les gens sont assez performants dans la région ».

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