Vladimir Poutine © Getty

« Les sanctions occidentales n’ont guère impressionné les Russes »

Jonathan Holslag
Jonathan Holslag Jonathan Holslag est professeur en relations internationales à la VUB.

« Alors qu’il y a des tensions latentes dans les pays de la ligne de front tels que l’Ukraine, la Moldavie et la Biélorussie, la Russie renforce encore sa position – lentement mais sûrement », écrit Jonathan Holslag (VUB).

Cinq ans après l’annexion de la Crimée et l’abattage du vol MH17, la paix semble revenue sur le front de l’Est. La Russie et l’Occident semblent y avoir trouvé un nouvel équilibre. L’OTAN y a des troupes et y effectue régulièrement des exercices majeurs, tandis que les Russes restent présents dans des pays de la ligne de front comme l’Ukraine, la Moldavie et le Biélorussie. Mais il n’y a pas de véritable équilibre des pouvoirs. Bien qu’il y ait une tension latente, la Russie renforce encore sa position – lentement mais sûrement.

Prenons l’Ukraine. Les Ukrainiens ont définitivement perdu la Crimée, péninsule stratégique de la mer Noire. Récemment, les Russes y ont encore renforcé leur présence. Ils ont ouvert un nouveau pont, déployé de nouveaux avions de combat, modernisé l’artillerie côtière. Et il y a de nouveaux systèmes radars : l’impressionnante installation Mourmansk-BN, capable de perturber les communications sur de longues distances, et le Krasukha-4, un autre système pour la guerre électronique. La capacité militaire russe devient pour ainsi dire invisible, mais non moins redoutable.

Dans le Donbass, à l’est de l’Ukraine, les Russes continuent d’exercer la pression. L’analyse que l’on entend le plus souvent c’est que Volodymyr Zelensky, le nouveau président ukrainien, choisit l’offensive et gagne progressivement du terrain grâce au soutien occidental. Les soldats ukrainiens sont entraînés par des instructeurs occidentaux et disposent désormais d’armes antichars et de blindés. En réalité, les Russes semblent obtenir ce qu’ils veulent : le contrôle de la partie sud-est du Donbass. Kiev peut faire pression pour obtenir un meilleur accord, mais la Russie a suffisamment de chair à canon dans ce bassin et, de l’autre côté de la frontière, 80.000 soldats sont prêts à intervenir.

Les Russes voulaient maintenir leur influence sur l’Ukraine. Et ils ont réussi. Par l’agression et la dissuasion, certes, mais les Ukrainiens savent maintenant jusqu’où ils peuvent aller. Le prix payé par le Kremlin n’est pas excessif. Oui, les sanctions européennes ont été renforcées, mais la Russie a néanmoins exporté une quantité record de gaz naturel vers l’Union européenne en 2018. Et malgré l’opposition danoise, la construction du Nord Stream 2, une liaison gazière entre la Russie et l’Allemagne, se poursuit. Après cinq ans d’absence, les Russes, malgré leur emprise sur la Crimée, sont également de retour à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe.

En Moldavie, autre État pauvre entre la Russie et l’Occident, les Russes s’accrochent à l’État satellite de Transnistrie, où un bon millier de soldats restent en attente. Suite aux récentes élections dans le pays, le Kremlin a obtenu que les partis pro-européens intègrent les socialistes prorusses au gouvernement. Auparavant, Vladimir Plahotniuc avait promis une loyauté exclusive à la Russie, mais l’oligarque corrompu semblait trop dangereux même pour les Russes. L’influence indirecte par le biais de la nouvelle coalition et du contrôle de la Transnistrie semble une approche plus efficace.

En Biélorussie, on a assisté à un théâtre d’ombres entre le président Alexandre Loukachenko et Moscou. Loukachenko s’est tourné vers l’Europe et la Chine, entre autres, parce que la Russie a exercé de fortes pressions pour intégrer son pays à une union. Les Russes mettent les points sur les i, à coup de baillons financiers et de cyberattaques. Union ou pas union : la Biélorussie sera mise au pas, que ce soit sur le plan économique, politique ou militaire. Entre-temps, Loukachenko a répondu docilement à l’invitation de Vladimir Poutine et a passé une commande de chars russes. Le Kremlin ne semble pas avoir d’objection immédiate à ce que la Biélorussie fasse des affaires avec la Chine.

Ce qui frappe sur toute la ligne de front, c’est à quel point les contre-mesures et les sanctions occidentales n’ont guère impressionné les Russes, et comment ils ont consolidé leur position et, en tout état de cause, maintenu le gain en terrain de 2014. Pour eux, il s’agit d’une modeste compensation pour la perte de terrain consécutive à l’élargissement de l’Union européenne et de l’OTAN entre, disons, 1999 et 2007. Ils continueront probablement à viser une combinaison efficace d’enrichissement grâce aux exportations de gaz vers l’Europe et la Chine – qui ont représenté quelque 237 milliards de dollars l’an dernier – et au renforcement progressif de leurs positions en Ukraine, en Moldavie et en Biélorussie. Tout continue à bouger, sans chocs majeurs, comme c’est le cas dans un conflit partiellement gelé.

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