© Reuters

Les nomades soudanais pourraient nourrir la moitié de l’Afrique

Muriel Lefevre

En 2050, le monde devra nourrir dix milliards de bouches. Les nomades du Soudan pourraient résoudre une partie du problème alimentaire sur leur continent. Mais des traditions séculaires et des décennies de sanctions américaines compliquent la donne

.

Sur le marché à bestiaux d’Omdurman au Darfour, 4,3 millions d’euros seront, ce jour-là, échangés contre des vaches. Les bêtes auront traversé le désert durant 30 à 45 jours pour rejoindre cette partie historique de la capitale Khartoum où se tient deux fois par semaine le plus grand marché de ressources naturelles du pays. Au plus fort de la saison, c’est environ 15 000 vaches, 4 000 chameaux et une multitude de moutons qui changent de mains peut-on lire dans De Volkskrant qui consacre un large reportage au sujet.

Le Soudan compte quelque 130 millions d’animaux, soit plus de quatre fois sa population. Une mine d’or d’autant plus précieuse que ceux-ci sont souvent de qualité puisqu’ils grandissent en plein air et dans le respect de l’agriculture biologique. Habitués à la chaleur, les animaux peuvent aussi se rendre sur leurs propres pattes au marché, de quoi économiser les frais de transport. Mais cette richesse est principalement entre les mains d’éleveurs nomades qui mesurent leur statut aux nombres d’animaux qu’ils possèdent. Un taureau de 400 kilos pouvant rapporter 820 euros, ce n’est donc qu’à contrecoeur qu’ils se séparent de leur  » portefeuille ambulant « . Ali, en djellaba immaculée, lui n’a pas ce problème. C’est l’un des plus importants vendeurs avec plus de cent mille chameaux. Chaque semaine, il envoie un troupeau de 4 500 animaux au marché. Un exploit pour celui qui s’était lancé dans le business il y a dix avec seulement deux chameaux.

Les nomades soudanais pourraient nourrir la moitié de l'Afrique
© Reuters

Des animaux exportés vivants

La majorité des animaux vendus dans ce marché sont transportés vivants vers l’Égypte, l’Arabie Saoudite ou les pays du Golfe. Al-Etegahat Group, la plus grande société d’exportation du Soudan avec un chiffre d’affaires de 863 millions d’euros, va charger ce jour-là quarante camions. Avant de les envoyer au loin, les animaux seront remplumés dans une ferme dernier cri près de là. Car leur long voyage leur aura fait perdre en moyenne 30 kilos. Tous ne survivront pourtant pas, et de nombreux cadavres jonchent les pourtours du marché.

Des femmes au Soudan
Des femmes au Soudan © AFP

Ces exportations d’animaux vivants chagrinent les esprits locaux, car pour eux le pays gaspille ainsi ses ressources naturelles. Une vache rapporte deux fois plus lorsque les revenus de l’abattage, de la transformation et de la vente de la peau, des cornes, des os (calcium) et du sang (fumier) sont également traités au Soudan. Mais les abattoirs modernes ou les camions frigorifiques, indispensables pour le transport de la viande ou du cuir, n’existent pas au Soudan. Une conséquence directe des sanctions américaines imposées il y a 20 ans suite à un éventuel soutien au terrorisme – Oussama ben Laden ayant séjourné entre 1992 et 1996 au Soudan. Bien que celles-ci ont été levées en octobre 2017, leurs effets se font encore sentir. D’autant plus que les États-Unis ont maintenu le Soudan sur la liste des pays soutenant le « terrorisme » et les banques étrangères, tout comme les investisseurs étrangers, restent frileux vis-à-vis du pays. Un pays déchiré par des décennies de conflits et un régime corrompu et répressif.

Ces dernières années, le pays a en effet connu plusieurs rébellions dans diverses régions, théâtres d’affrontements sanglants. Le conflit au Darfour a ainsi fait plus de 300.000 morts et 2,5 millions de déplacés depuis 2003, selon l’ONU. Des milliers de personnes ont également été tuées dans les États du Nil Bleu et du Kordofan-Sud.

L’importation des machines où des pièces nécessaires est donc souvent impossible et les investisseurs étrangers restent à l’écart. Tout cela oblige le pays à autoriser l’exportation d’animaux vivants. Ces sanctions ont donc surtout été du pain béni pour l’Arabie saoudite et l’Égypte et encouragées la corruption.

D’incroyables ressources potentielles

Le Soudan pourrait nourrir la moitié de l’Afrique, dit-on, avec ses nombreux troupeaux et la fertile vallée du Nil où tout pousse. Mais l’agriculture est laissée à vau-l’eau par le gouvernement du président Omar el-Béchir depuis des décennies. M. Béchir, 74 ans, a pris le pouvoir en 1989 après avoir chassé par un coup d’Etat Sadek al-Mahdi, le dernier Premier ministre démocratiquement élu du Soudan. Il est la cible de mandats d’arrêt émis par la Cour pénale internationale (CPI) pour génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre au Darfour (ouest).

Les nomades soudanais pourraient nourrir la moitié de l'Afrique
© EPA

Militaire de carrière, M. Béchir est célèbre pour son penchant populiste, il se présente comme un dirigeant proche du peuple et ses discours se font souvent en arabe dialectal soudanais. Les deux scrutins présidentiels organisés depuis l’adoption d’une nouvelle Constitution en 2010 ont été critiqués par les défenseurs des droits de l’Homme, pour qui le chef de l’Etat n’a jamais été confronté à des rivaux sérieux. En 2015, il avait d’ailleurs été élu à 94% des voix.

La situation économique du Soudan ne cesse de se détériorer en dépit de la levée, en octobre 2017, de sanctions imposées depuis 20 ans par Washington. Outre les sanctions, l’économie soudanaise a subi un coup dur avec la sécession du Soudan du Sud, en 2011, qui l’a amputée de la plus grande partie de ses revenus pétroliers. Le pays fait face à une inflation de plus de 65%, la livre soudanaise a plongé face au dollar américain et le coût des denrées alimentaires et d’autres produits a plus que doublé au cours de l’année écoulée.

Malgré ce bilan peu glorieux, Omar el-Béchir devrait se porter candidat à la présidentielle de 2020 pour un troisième mandat. Balayant d’une pichenette le fait que, selon la Constitution, le nombre de mandats présidentiels, de cinq ans, est limité à deux. Une décision qui devrait encore isoler un peu plus le Soudan au sein de la communauté internationale.

Avec De Volkskrant et l’AFP

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire