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« Les Belges francophones se sentent plus proches des Catalans que des Flamands »

Olivia Lepropre
Olivia Lepropre Journaliste au Vif

La question catalane peut-elle avoir une influence sur les débats régionaux en Belgique ? Eléments de réponses avec le politologue Régis Dandoy.

La Catalogne a organisé un référendum sur son autodétermination. Une initiative vivement réprimandée par le gouvernement national espagnol, basé à Madrid. Si les autres régions ayant des souhaits d’indépendance soutiennent Barcelone, les autres, Belges comme Européens, citoyens comme politiciens, n’osent guère se prononcer quant à la question catalane. On fait le point avec Régis Dandoy, politologue à l’Université Catholique de Louvain (UCL).

On a parfois l’impression que les Belges francophones sont plus favorables à une indépendance catalane – ou écossaise – qu’à celle de la Flandre. Pourtant, les différents mouvements revendiquent le même type d’autonomie. A-t-on une vision plus romancée de la question catalane ?

Je pense que les francophones se sentent proches des Catalans, aussi bien que des Ecossais, dans le sens où ils sont, eux aussi, une minorité linguistique dans leur pays. La grande différence entre les questions catalanes et écossaises, et la question flamande, c’est que chez nous c’est une majorité linguistique qui souhaite l’indépendance. Les Catalans et les Ecossais sont, eux, des groupes linguistiques et régionaux minoritaires. Ils s’opposent face à un régime, alors que les nationalistes flamands s’opposent à la minorité linguistique francophone.

On peut évidemment faire un parallèle entre les nationalismes en Belgique et en Espagne. Mais au-delà du rapprochement culturel qu’on peut voir entre les Belges francophones et les Catalans, je pense que ce sont surtout les Flamands qui ont une vision romantique de la question catalane. D’ailleurs, on peut voir, dans les manifestations qui ont lieu à Barcelone depuis plusieurs jours autour du référendum, des drapeaux flamands, symbole de soutien d’un nationalisme à l’autre. Côté francophone, on est plus prudent.

Pour quelles raisons a-t-on du mal à prendre position sur le référendum en Catalogne ?

Ce n’est pas le cas isolé des Belges francophones, cela concerne tous les autres pays de l’Union européenne. La population, ainsi que les politiques, sont un peu mal à l’aise face à cette situation. Il y a une sorte de tension entre le respect de la démocratie, du droit à l’autodétermination de la Catalogne et le respect de l’Etat de droit de Madrid. La position francophone est donc un peu plus délicate, moins tranchée que chez certains Flamands. Mais il est difficile de savoir si les francophones sont plutôt du côté de Madrid ou du côté de Barcelone.

Chez les décideurs politiques aussi, on peut ressentir un certain malaise. L’Espagne est un partenaire privilégié, autant pour la Belgique que pour l’Union européenne. D’un côté, on a une identité minoritaire linguistique qui souhaite démocratiquement donner son point de vue, d’un autre un partenaire politique qui veut faire respecter l’Etat de droit. La question catalane est une thématique complexe. On ne peut pas nier la volonté du peuple. Mais on ne sait pas non plus vraiment prendre position. Il y a des raisons et des torts dans les deux camps.

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Il faut donc laisser la Catalogne et l’Espagne régler leurs problèmes internes, sans s’en mêler ?

Au niveau des intentions, on ne peut pas dire qu’il y a les bons et les mauvais, les gentils et les méchants. C’est surtout la polarisation entre la démocratie du peuple et l’Etat de droit qui est importante dans ce référendum. C’est ce qui explique que les politiciens, belges comme des autres pays membres de l’Union européenne ne veulent pas s’immiscer dans la politique intérieure espagnole. Il y a une sorte de silence autour du référendum qui traduit ce malaise. Il est difficile de prendre position, car on ne sait pas vraiment quelle est la meilleure solution, ni pour l’Espagne ni pour l’UE.

Le malaise se fait aussi ressentir quant aux autres volontés nationalistes, comme en Belgique, au Royaume-Uni ou dans d’autres pays membres. Là encore, l’Union européenne ne veut pas s’immiscer dans la politique nationale. L’UE essaie d’éviter les politiques partisanes et veille à respecter l’intégrité territoriale des Etats membres, tant que le pays en question continue à respecter les valeurs de l’Europe. Mais si le gouvernement national va trop loin, ils se sentiront peut-être obligés d’intervenir.

Y a-t-il justement un risque que la situation dégénère entre Madrid et Barcelone ?

La situation entre Madrid et Barcelone est préoccupante. Je crois qu’on peut d’ores et déjà faire le deuil du référendum. Il est en partie improvisé, des bulletins de vote ont été saisis, de nombreux dirigeants catalans ont été arrêtés par Madrid… Il y a de grandes chances pour que le vote ne soit pas valide. Côté catalan, les manifestations sont, pour l’instant, assez pacifiques. Mais la situation pourrait s’envenimer facilement.

L’issue du référendum catalan peut-elle avoir une influence en Belgique ?

Le cas catalan pourrait servir d’exemple pour ceux qui font partie ou soutiennent les différents groupes identitaires, culturels et linguistiques en Europe. La polarisation donne une situation très tendue, qui fait le lit des idées nationalistes. Cela pourrait devenir une sorte de plateforme pour relancer les mouvements indépendantistes, notamment en Belgique. Mais l’influence sur les autres régions ne serait pas directe. Si le « oui » l’emporte, cela donnera du grain à moudre aux nationalistes pour dire « nous ne sommes pas les seuls ». Cela peut offrir des arguments politiques supplémentaires.

Beaucoup de gens en Belgique regardent ce qui se passe en Catalogne, mais c’est plus une position de spectateur que d’acteur. Le débat catalan entre dans une nouvelle phase, c’est loin d’être fini. Et ça pourrait en inspirer certains pour les élections régionales de 2019. Cela pourrait donner des idées pour mettre en avant certaines thématiques ou une stratégie électorale particulière. Il y a bien sûr la N-VA et le Vlaams Belang en Flandre qui pourraient s’en inspirer, mais également DéFI et le ProDG germanophone. Toutes les régions ont leurs partis régionalistes ou autonomistes.

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