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L’épidémie ou le besoin de s’arrêter

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

L’écrivain italien Alessandro Baricco se demande si la pandémie n’a pas été voulue inconsciemment par l’homme pour questionner le train fou de la modernité quand l’historien français François Cusset voit dans le premier confinement un incubateur de vérités.

L’épidémie de Covid suscite les questionnements sur sa genèse et son impact. Quand l’écrivain Alessandro Baricco l’envisage comme une créature mythique, phénomène artificiel mais pas irréel, parce qu’elle constitue un événement beaucoup plus complexe qu’une simple urgence sanitaire, l’historien François Cusset voit dans le premier confinement qu’elle a engendré un moment de vérité pour notre société.

« On peut dire que presque tous les choix, de toutes sortes, faits par l’homme au cours des cinquante dernières années semblent avoir été faits précisément pour créer les conditions d’une pandémie », énonce l’auteur italien dans Ce que nous cherchons (1). « […] On a travaillé dur pour créer un terrain de jeu unique où on pourrait se déplacer à une vitesse et avec une facilité jamais vues auparavant: il est bon de se rappeler qu’au moment de choisir un terme pour nommer cette démarche étonnante, avec un instinct sûr, on a fini par adopter le terme viral. » Alessandro Baricco se demande dès lors si « parmi les flux de désir qui ont poussé cette figure mythique à la surface du monde avec une violence si soudaine, l’un des plus puissants [n’aurait pas été] le besoin spasmodique de s’arrêter« .

Tous les choix faits par l’homme au cours des cinquante dernières années semblent avoir été faits précisément pour créer les conditions d’une pandémie.

S’arrêter et se poser, c’est précisément le résultat vertueux que François Cusset tire du premier confinement qui fut pour lui « une scène de vérité ». « Au moins, on a senti quelque chose, tous, ensemble, alors qu’on ne sentait plus grand-chose », argumente-t-il. Ce moment aurait donc été riche d’enseignements: « On n’est pas immortel, ni invincible ; notre fragilité est notre seul lien ; les vacances en Guadeloupe ne sont pas indispensables ; se tuer à faire un travail qui ne sert à personne pourrait être évité ; vivre avec deux commerces ouverts et presque aucun véhicule est plus que supportable […]. Elles sont si simples, ces vérités, qu’on aurait presque honte de les rappeler. Sauf que la puissance démesurée des dispositifs voués à nous les dissimuler, à nous faire croire le contraire, les avait rendues invisibles. » François Cusset prophétise en conclusion que notre monde pourrait se fracturer entre une société officielle et des sociétés de sécession solidaires et anticonsuméristes qui auraient retenu les leçons de la pandémie.

L’historien français veut donc croire au coup des cartes rebattues par la pandémie, « quand une seule priorité, nouvelle, à l’onde de choc illimitée, oblige tout le monde à hiérarchiser autrement ». En revanche, Alessandro Baricco l’écrivain n’y croit plus parce que « la plus grande déception de ces vingt dernières années a été de découvrir que l’expression « rien ne sera plus comme avant » n’est qu’un joujou intellectuel qui s’est révélé faux, même après le 11-Septembre ».

Le Génie du confinement, par François Cusset, Les Liens qui libèrent, 200 p.
Le Génie du confinement, par François Cusset, Les Liens qui libèrent, 200 p.
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