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L’enquête russe, brûlant cadeau d’accueil pour le prochain chef du FBI

Le Vif

Le prochain chef du FBI aura pour délicate mission de concilier l’exigence d’indépendance qu’on attend de lui et la poursuite de l’enquête brûlante sur une éventuelle collusion entre des proches de Donald Trump et le gouvernement russe.

Il risque de devoir se retrouver à faire un grand écart, le président ne manquant pas une occasion de désigner l’objectif même de ces investigations comme des « fausses informations ».

Après l’abrupt limogeage mardi soir du grand patron de la police fédérale américaine, James Comey, « il n’est plus possible pour le FBI de mener son enquête sur l’ingérence russe dans l’élection de manière vraiment indépendante », estime Julian Sanchez, chercheur au Cato Institute.

« Même si le futur directeur du FBI évite tout soupçon de vouloir influencer l’enquête, les dégâts sont faits; voir la tête de Comey sur une pique c’est déjà de l’influence ».

Le directeur par intérim du FBI a lui au contraire assuré jeudi au Congrès que l’enquête se poursuivait normalement, « quelles que soient les décisions ». « Il n’y a eu aucune tentative d’entraver notre enquête à ce jour », a ajouté Andrew McCabe.

Mais, comme tous les directeurs du FBI l’ont constaté depuis la création de l’agence il y a 109 ans, la politique n’est jamais loin et les affrontements avec les occupants de la Maison Blanche qui les nomment presque inévitables.

Quiconque prendra les rênes de la célèbre agence forte de 30.000 employés pourrait devoir croiser le fer avec Donald Trump sur l’enquête russe. A l’opposé, si le successeur de M. Comey n’est pas assez incisif, il sera accusé de céder à la politique et aux pressions de la Maison Blanche.

Aux ordres ou adversaire

Depuis la mort en 1972 d’Edgar Hoover, qui a dirigé le Bureau durant 48 ans, les chefs du FBI ont servi les présidents à leurs risques et périls.

Le successeur de Hoover, L. Patrick Gray, directeur par intérim sous la présidence de Richard Nixon, a été remercié moins d’un an après son arrivée pour avoir obéi aux ordres de la Maison Blanche et brûlé les documents liés au scandale du Watergate.

Bill Clinton a limogé en juillet 1993 William Sessions après six ans, pour des abus personnels mais aussi pour avoir sa tête.

Louis Freeh a inversé la vapeur. L’ancien agent du FBI est devenu l’adversaire de la Maison Blanche des Clinton confrontés à une série de scandales, au premier rang desquels l’affaire Lewinsky qui a failli provoquer la destitution de Bill Clinton.

Mais Louis Freeh pouvait aussi apparaître comme partial, dans le camp des républicains opposés au président démocrate.

« Mauvais jugement »

La nomination de James Comey au FBI par Barack Obama en septembre 2013 a été bien accueillie en interne. L’ancien procureur écoutait les besoins de son personnel, selon Ed Shaw, qui a travaillé 25 ans au FBI.

Mais quand James Comey a organisé une conférence de presse le 5 juillet pour annoncer qu’il ne recommandait pas de poursuivre l’ancienne secrétaire d’Etat Hillary Clinton pour son serveur privé, M. Shaw et beaucoup d’agents ont été très déçus.

En pleine campagne électorale, James Comey faisait entrer l’agence en politique, estime M. Shaw, alors qu’il aurait dû ne rien dire et transmettre ses conclusions au département de la Justice.

« C’était un jugement mauvais et imprudent », dit-il. « On ne parle pas des enquêtes, il faut laisser le ministère de la Justice faire ça. C’est leur boulot ».

Mais personne ne savait à ce moment-là que James Comey jonglait avec une autre enquête concernant l’équipe de campagne de Donald Trump et l’ingérence russe dans l’élection.

Ces affaires l’ont mis dans une situation quasi impossible, selon les experts. Car tout ce qui pouvait être révélé avant ou après le 8 novembre lui aurait valu des réactions violentes dans les deux camps et des accusations de favoritisme.

Agents inquiets

« Quand vous allez aussi haut (…), plus vous volez, plus vous tombez si vous faites une erreur », explique M. Shaw.

Même les agents qui ont critiqué la manière dont James Comey a géré l’affaire Clinton sont cependant inquiets pour l’avenir.

Dans un communiqué, l’association des agents du FBI a demandé à avoir voix au chapitre dans la nomination du successeur de M. Comey, dont l’idée « était de s’assurer que les enquêtes du Bureau soient conformes à la loi et à la Constitution ».

Michael Tabman, un ancien agent du FBI de Kansas City, dans le Missouri, a critiqué la manière dont James Comey a géré l’affaire des emails.

Mais son limogeage est autre chose, selon lui. « Beaucoup d’agents vont se demander si c’est motivé politiquement et ça va beaucoup décourager ceux qui s’efforcent de rester apolitiques et qui font juste leur travail », a-t-il déclaré sur la chaîne locale KCTV.

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