L’Eglise est-elle réformable?
Ce 17 octobre s’ouvre, dans tous les diocèses du monde, une réflexion de fond sur les structures de l’Eglise. Ce synode aboutira-t-il à réformer la gouvernance, alors que l’institution est une nouvelle fois confrontée à la question des abus?
Comment réorganiser le pouvoir dans l’Eglise: c’est, en substance, la question posée par le pape François aux catholiques du monde entier. Dans le jargon du Vatican, d’autres mots sont utilisés pour résumer l’enjeu du « synode sur la synodalité », dont le coup d’envoi est donné ce 17 octobre dans tous les diocèses de la planète: « construire une Eglise de l’écoute travaillée par l’Esprit saint », « marcher ensemble dans une dynamique de discernement », « grandir en tant qu’Eglise synodale »… Néanmoins, derrière ces formules et l’appellation nébuleuse du synode, il est bien question d’une réflexion de fond, culturelle et politique, sur l’autorité dans l’Eglise catholique.
Le défi sera d’atteindre les catholiques non engagés et ceux qui ont pris leur distance avec l’Eglise, soit 90% des croyants.
Prudent et réaliste, le pape n’a pas déclaré vouloir changer formellement les structures de l’Eglise. « Loin de faire l’unanimité au sein de l’institution, les projets de réforme de la gouvernance restent très polarisants, ce qui conduit à l’immobilisme actuel, reconnaît le théologien Arnaud Join-Lambert (UCLouvain), nommé membre de la commission pour la méthodologie, chargée de préparer le synode, par le Vatican. Le pape teste une autre voie: il espère qu’une expérience d’écoute et de dialogue, incluant une consultation de la base, y compris des voix marginales, suscitera un changement de comportement, qui lui-même transformera les structures. Une nouvelle manière d’être ferait ainsi émerger une autre façon de faire. »
Les paroisses mobilisées
Ce synode n’est ni un « parlement », ni « une enquête d’opinion », a tenu à préciser le pape, qui invite à « construire une Eglise différente, ouverte à la nouveauté ». Le processus est inédit dans sa forme, avec une première phase qui mobilisera l’ensemble des diocèses et des paroisses. « Les équipes se mettent en place, signale Tommy Scholtes, jésuite et porte-parole des évêques de Belgique. Dans chaque diocèse, un coordinateur rédigera une synthèse. » Ces contributions seront envoyées aux conférences épiscopales, les assemblées nationales d’évêques, qui en feront une synthèse globale, envoyée à Rome. Le secrétariat général du synode en tirera un document de travail, qui alimentera des réunions épiscopales continentales. Le processus s’achèvera par un synode universel romain, prévu en octobre 2023.
De nombreuses voix ont déploré le court laps de temps entre l’annonce du synode et son lancement, et la brièveté de la phase locale – d’une durée de six mois mais il serait question de la prolonger de trois mois. Des diocèses ont tardé à nommer une équipe synodale ou n’ ont aucune expérience de la synodalité. « Je ne me fais pas trop de souci pour la Belgique, où il existe de nombreux conseils paroissiaux et autres structures participatives, signale Arnaud Join-Lambert. Le principal défi sera de répondre au voeu du pape d’atteindre les catholiques non engagés et ceux qui ont pris leur distance avec l’Eglise, soit 90% des croyants. »
Ce « chemin synodal » en trois étapes créera une attente, donc une obligation de résultat. Les précédents synodes, notamment celui sur la famille, ont suscité beaucoup d’espoir, mais ont accouché d’une souris. « Le pape prend un risque, convient Arnaud Join-Lambert. S’il ne sort rien de très nouveau, ce sera la déception et la frustration. » L’ aggiornamento demandé par le pontife vise à sortir l’Eglise du « cléricalisme », qui surévalue le pouvoir spirituel du pape, de l’évêque et du prêtre. « Concrètement, l’enjeu central du synode sera la place accordée aux laïcs, hommes et femmes, dans la gouvernance de l’Eglise, prévient le professeur de l’UCLouvain. Obtiendront-ils un pouvoir délibératif dans les instances ecclésiales? Actuellement, les réflexions sont collectives, mais pas les décisions. Changer le système passe par la révision de plusieurs articles du droit canon sur la gouvernance. »
Si le pape ne sort rien de nouveau, ce sera la déception et la frustration. » Arnaud Join-Lambert, professeur de théologie à l’UCLouvain.
« Le synode pourrait aussi conduire au renforcement du poids des conférences épiscopales nationales et à celui de leurs six groupements continentaux », avance Tommy Scholtes. Le pape argentin est culturellement attaché à cet échelon continental: le Conseil épiscopal latino-américain (Celam) est un organisme puissant qui a produit des documents fondamentaux.
Le synode et les abus sexuels
Le document préparatoire du synode contient une allusion explicite aux affaires d’abus sexuels, invitant à les combattre. Le récent « rapport Sauvé » sur la pédocriminalité dans l’Eglise de France pointe sans détour la gouvernance défaillante de l’institution. Selon l’estimation de la commission, présidée par Jean-Marc Sauvé, 216 000 personnes ont, depuis 1950, été agressées par un prêtre ou un religieux alors qu’elles étaient mineures. « Ce rapport tombe après beaucoup d’autres, aux Etats-Unis, en Irlande, en Australie, en Allemagne, en Belgique…, rappelle Arnaud Join-Lambert. Le phénomène des abus est systémique, d’où l’urgence de repenser le fonctionnement de la hiérarchie ecclésiastique. »
Le rapport français critique non seulement « la concentration entre les mains de l’évêque des pouvoirs d’ordre [sacramentels] et de gouvernement », mais aussi le manque de contrôle interne et la faible place des laïcs, en particulier des femmes, dans les lieux de décision. Poids de l’autorité hiérarchique, célibat des prêtres, place des femmes en son sein: autant de débats qui continuent de crisper l’Eglise catholique au moment même où le pape lance son projet de rénovation.
Où en est la réforme de la curie?
Alors que démarre le synode appelé à faire évoluer les structures de l’Eglise, le « C9 », le conseil de neuf cardinaux choisis par le pape pour l’aider à gouverner, finalise la réforme de la curie romaine, l’administration centrale de l’institution. La nouvelle Constitution apostolique, qui doit remplacer Pastor bonus, celle de Jean Paul II, devrait être bientôt promulguée. « Elle serait quasiment prête, dit-on, mais le pape François attendra peut-être les décisions du synode pour la publier », estime Tommy Scholtes, porte-parole des évêques de Belgique.
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