Gérald Papy

Le retour de la réalpolitik

Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Les deux dossiers chauds de l’actualité internationale, le conflit en Ukraine et la guerre contre le djihadisme, révèlent combien le court-termisme a régi la politique étrangère des Etats occidentaux.

Vladimir Poutine ne nourrirait pas un tel sentiment d’impunité après l’annexion de la Crimée si la guerre du Kosovo, lancée il y a quinze ans en dépit de l’opposition du Conseil de sécurité des Nations unies, n’avait pas abouti à l’indépendance imposée de la province serbe. L’Irak ne serait pas livré à l’arbitraire de l’Etat islamique si les Etats-Unis n’avaient pas contribué à marginaliser la minorité sunnite après le renversement de Saddam Hussein, en 2003. Les exemples pullulent de l’incohérence et de l’inconsistance dans le traitement des dossiers de politique étrangère. La palme du fiasco revient sans conteste à l’administration américaine et à la CIA, responsables d’avoir créé, pour affaiblir le rival soviétique engagé dans une aventure périlleuse en Afghanistan, l’hydre islamiste Al-Qaeda qui, vingt-cinq ans plus tard, continue d’attiser la haine des… Occidentaux.

On pourra tenter d’expliquer ces revirements par la glorieuse incertitude de la démocratie qui fait alterner les gouvernements et modifie donc potentiellement les politiques menées. Outre qu’une réflexion pourrait être développée sur la nécessité d’une continuité de la diplomatie par-delà les considérations partisanes, cet argument néglige l’incroyable légèreté des recours à l’engagement militaire. Hormis, peut-être, celle au Mali, toutes les guerres contemporaines, en Afghanistan, en Irak, en Libye, conduites de façon efficace militairement, ont péché par l’impréparation de la consolidation de la paix.

Rien de sert de s’illusionner sur la capacité des Occidentaux à encore régir le monde

Les dernières évolutions laissent cependant augurer que Barack Obama, Angela Merkel ou François Hollande ont retenu quelques leçons des errements de Bill Clinton, de George W. Bush et de Nicolas Sarkozy, même s’ils n’ont pas fini d’assumer l’héritage de leur politique. L’initiative de la chancelière allemande et du président français dans le conflit ukrainien, bien que tardive, a le mérite de pérenniser un dialogue avec le maître du Kremlin. Redescendu de son piédestal de chef de guerre sauveur des russophones d’Europe de l’Est, Vladimir Poutine est ainsi contraint, malgré lui, d’oeuvrer à l’éclosion de solutions concrètes répondant aux complexes réalités ukrainiennes, à la fois pro-européennes et prorusses. A cette aune, cette relance de la diplomatie, plus franco-allemande qu’européenne, peut constituer un tournant dans le conflit.

C’est aussi à un tournant que certains ont cru pouvoir assister en observant les représailles exercées par la Jordanie sunnite contre l’Etat islamique après l’atroce et répugnante immolation du pilote-otage Moaz al-Kasasbeh. Or, les bombardements aériens, aussi intenses fussent-ils, ne suffiront pas à déloger les djihadistes des territoires qu’ils ont conquis en Irak et en Syrie. Faute de possibilité de négociation avec ces terroristes nihilistes, la victoire passe par l’engagement militaire au sol et la reconquête des coeurs. Mais parce que les nations occidentales ne sont pas les mieux armées pour mener à bien ces deux missions – suscitant des réactions de rejet, elles renforcent les extrémistes -, elles n’ont d’autres solutions que de s’appuyer sur des forces locales : les troupes irakiennes, les forces kurdes, l’Armée syrienne libre (aujourd’hui fantomatique) en Irak et en Syrie, la redoutable armée tchadienne au Nigeria…

Rien ne sert de s’illusionner sur la faculté des Etats-Unis, du Royaume-Uni, de la France… à encore régir le monde et à mener un combat au nom des droits de l’homme en Ukraine et en Irak alors qu’ils opèrent ou cautionnent à tout-va des exécutions extrajudiciaires d’islamistes par drone. Dans cet univers devenu apolaire, le pragmatisme prévaut de plus en plus. C’est le grand retour de la realpolitik.

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