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Le retour de la « ligne rouge » chimique en Syrie: posture ou véritable stratégie?

Le Vif

La « ligne rouge », concept lourdement chargé dans l’histoire du conflit syrien, a fait son retour chez les dirigeants américain et français Donald Trump et Emmanuel Macron, qui se disent prêts à « une réponse commune » en cas d’attaque chimique, suscitant des interrogations parmi les experts du dossier.

Bégaiement de l’Histoire? Au lendemain de la première attaque chimique d’ampleur en août 2013, les Etats-Unis et la France avaient promis de « punir » ensemble le régime syrien, accusé d’avoir tué plus de 1.400 personnes au gaz sarin près de Damas, et d’avoir ainsi franchi la « ligne rouge » édictée par le président américain Barack Obama.

Mais M. Obama avait renoncé au dernier moment, s’en remettant au Congrès puis scellant un accord avec Moscou sur le démantèlement de l’arsenal chimique syrien.

Lâchée en rase campagne, la France, pour qui frapper seule était alors inconcevable, en a conçu une amertume durable vis-à-vis de son allié américain. L’épisode de la « ligne rouge » non respectée est devenu un marqueur important dans le conflit syrien, certains y voyant le début de la défaite pour l’opposition et un retournement de situation en faveur du régime et de ses alliés russe et iranien.

Quatre ans plus tard, la « ligne rouge » est pourtant revenue sur le devant de la scène.

Début avril, après une nouvelle attaque chimique présumée qui fait au moins 88 morts à Khan Cheikhoun, dans le nord de la Syrie, le président Trump déclare que « de nombreuses lignes ont été franchies », et lance des frappes de représailles sur la base aérienne d’al-Chayraate (centre), d’où serait parti l’avion syrien responsable de l’attaque.

Fin mai, recevant son homologue russe Vladimir Poutine à Versailles, le président français Macron évoque à nouveau « la ligne rouge » et assure que Paris frappera, y compris seul, en cas d’utilisation de l’arme chimique.

Enfin, mardi, Washington et Paris ont annoncé être prêts à riposter de manière coordonnée à toute nouvelle attaque chimique du régime syrien, après que la Maison Blanche eut annoncé avoir identifié de « potentiels » préparatifs en ce sens et constaté une activité suspecte sur la base d’al-Chayraate.

« Matamore »

« Déclarations de matamore », s’agace une source proche du dossier: « même si des frappes sont menées, et la France peut effectivement le faire seule, on est encore une fois plus dans l’ordre du symbolique, de la posture, plus que dans des mesures qui pourraient véritablement conduire le régime à changer de politique ».

De la même façon, les 60 missiles Tomahawk tirés dans la nuit du 6 au 7 avril par l’armée américaine sur la base aérienne d’al-Chayraate n’ont pas été suivis d’un changement radical de l’approche américaine sur le dossier syrien.

« Ce ne sont pas des frappes punitives limitées ou des déclarations fortes qui suffiront à dissuader un régime qui a tué des centaines de milliers de personnes », écrit le spécialiste de la Syrie Charles Lister sur le site du Middle East Institute.

Les frappes et menaces de frappe américano-françaises ne visent pas à modifier le rapport de force en Syrie, selon les experts.

« Ce ne sont pas des menaces creuses, mais cela s’apparente plus à un message envoyé à la Russie et l’Iran », les deux alliés indéfectibles du régime de Damas, estime ainsi Christopher Phillips, chercheur à Chatham House.

Emmanuel Macron a lui-même récemment affirmé que le départ du président syrien Bachar al-Assad n’était plus une priorité pour la France.

La collaboration américano-française reste par ailleurs à prouver. Selon une source diplomatique, Paris a été prévenu au dernier moment des frappes américaines en avril, trop tard pour se joindre s’il l’avait voulu.

« La ligne rouge » pose en outre un problème plus moral, relèvent plusieurs chercheurs, rappelant qu’elle peut être interprétée comme « un blanc-seing » pour tout autre type d’action.

« Quid de la torture dans les geôles du régime, des bombes baril, des populations assiégées? » s’interrogeait ainsi le chercheur libanais Ziad Majed au lendemain du discours de Macron à Versailles.

Pour Bruno Tertrais, de la Fondation pour la Recherche Stratégique, la « ligne rouge » a cependant le mérite de rappeler le tabou historique que constitue l’emploi d’armes chimiques. Un tabou violé à des dizaines reprises depuis le début du conflit syrien en 2011, selon les estimations de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC).

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