A Belgrade, le chef de la diplomatie Ivica Dacic a insisté sur le fait que "la Serbie n'avait rien à voir avec" ce massacre. © BELGA

Le massacre de Christchurch ravive les blessures des Balkans

Le Vif

Les Balkans l’intéressent, il s’y est rendu et des héros des ultranationalistes serbes figurent dans son panthéon: l’auteur du carnage de Christchurch a ravivé les blessures d’une région traumatisée par les guerres interethniques des années 1990.

Sur les images diffusées sur internet et décrites comme filmées dans la voiture qu’il conduit vers les deux mosquées néo-zélandaises où il devait tuer 50 personnes, l’extrémiste de droite australien Brenton Tarrant écoute une chanson exaltant le Serbe de Bosnie Radovan Karadzic.

Ce promoteur de l’épuration ethnique saura mercredi si la justice confirme ses 40 ans de prison pour les atrocités du conflit de 1992-95 (environ 100.000 morts), notamment pour génocide commis à Srebrenica contre les Bosniaques musulmans.

Parmi les noms que Tarrant avait inscrits sur ses chargeurs, figurent plusieurs héros des nationalistes serbes, célébrés pour leur lutte contre l’Empire ottoman: Marko Miljenov et Novak Vujosevic, guerriers orthodoxes du XIXe siècle; Milos Obilic, chevalier tué lors de la bataille de Kosovo Polje (1389), fondatrice de l’identité nationale et religieuse serbe; ou encore le roi médiéval Stefan Lazar, dont une statue érigée en 2016 dans la partie serbe de la ville divisée de Mitrovica, au Kosovo, pointe le doigt vers les zones majoritairement albanaises et musulmanes.

– Obsession ottomane –

Sur la chaîne N1, l’ambassadeur de Bosnie-Herzégovine en Australie, Mirza Hajric, a relevé que dans ce chant glorifiant Karadzic, « De Bihac à Petrovo », il est dit « qu’il faut tuer les Turcs », vocable sous lequel les ultranationalistes serbes orthodoxes désignent volontiers les Bosniaques musulmans.

Durant l’ère ottomane, les Balkans ont été pendant cinq siècles une zone de contact et de conflits entre mondes musulman et chrétien.

La référence au passé ottoman est une constante des ultranationalistes serbes. « La République serbe de Bosnie ne sera jamais la Turquie » est un slogan classique des meetings politiques dans l’entité serbe de ce pays toujours divisé sur la base de lignes communautaires.

Selon les autorités locales, Tarrant s’est rendu dans la région fin 2016-début 2017, au Monténégro, en Serbie, en Bosnie et en Croatie, puis en Bulgarie en novembre 2018. Il est également allé en Turquie.

La Communauté islamique de Bosnie a jugé « particulièrement inquiétant » que « l’assassin ait entamé son équipée sanglante au son d’un chant glorifiant les crimes de guerre en Bosnie » et « était clairement inspiré par la même idéologie extrémiste » que les tenants de la Grande Serbie des années 1990.

Au Kosovo, l’ancien ministre des Affaires étrangères Petrit Selimi a aussi jugé que Tarrant s’était « inspiré d’une forme spécifique de nationalisme suprémaciste blanc dont les racines sont en Serbie ».

Ultime guerre interethnique dans l’ex-Yougoslavie (1998-99), le conflit entre indépendantistes kosovars albanais et forces serbes avait fait quelque 13.000 morts, en immense majorité albanais.

« Les guerres et le génocide commis par les idéologues serbes sont devenus une source d’inspiration pour l’extrême droite partout dans le monde », a écrit Petrit Selimi sur Twitter.

– « Hystérie anti-serbe » –

En Serbie comme en Bosnie, des responsables serbes se sont élevés contre ce qu’ils considèrent comme des amalgames.

Lui-même Serbe de Bosnie, le ministre bosnien des Affaires étrangères Igor Crnadak a dénoncé « l’hystérie anti-serbe » et jugé « irresponsable d’établir un lien entre les agissements fous d’une personne perturbée et malade, et un peuple tout entier ».

Coprésident serbe de Bosnie (il partage la présidence avec un Bosniaque et un Croate), Milorad Dodik a fustigé une « campagne ignoble » contre sa communauté.

A Belgrade, le chef de la diplomatie Ivica Dacic a insisté sur le fait que « la Serbie n’avait rien à voir avec » ce massacre. Etablir un lien porte « préjudice aux intérêts serbes », selon lui.

Quant à l’ultranationaliste d’extrême droite Vojislav Seselj, lui-même condamné pour crimes contre l’humanité mais toujours député à Belgrade, il avance la thèse d’un complot anti-serbe: « La diabolisation des Serbes se poursuivra tant que notre pays n’aura pas capitulé. »

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