
L’auteur de Millennium avait-il découvert le meurtrier d’Olof Palme, le Premier ministre suédois ?
Stieg Larsson, l’auteur de la trilogie Millennium, vendue à 88 millions d’exemplaires, était sur la piste d’un véritable meurtre. Celui du Premier ministre suédois qui a été abattu en pleine rue, un soir de 1986. Une affaire tellement trouble qu’elle reste, à ce jour, un mystère qui alimente de nombreuses théories du complot.
Olof Palme, alors Premier ministre de Suède, est froidement abattu sur un trottoir gelé du centre de Stockholm le 28 février 1986, alors qu’il rentrait à pied du cinéma avec sa femme. Les témoins raconteront que deux hommes marchaient devant eux et qu’un autre les suivait. La sécurité, pensaient-ils. Sauf que l’homme d’État de 59 ans avait décidé de passer la soirée sans ses gardes du corps. Quelques instants plus tard, un homme se dirige vers les Palme et avec son Smith & Wesson, l’une des armes à feu les plus puissantes au monde, tire une balle à travers la colonne vertébrale d’Olof. Celle-ci va perforer les poumons, l’oesophage et la trachée avant de quitter son corps. Olof meurt sur le coup, sa femme sera blessée à l’épaule (elle est décédée le 18 octobre 2018 NDLR). L’agresseur s’éloigne ensuite tranquillement avant de disparaître dans la nuit.
Plus de 32 ans plus tard, le pays est toujours hanté par ce drame. En trois décennies, l’enquête va s’égarer dans bien des directions. Si un délinquant notoire, déjà condamné pour meurtre, Christer Pettersson, a bien été formellement reconnu par Palme Lisbeth, la veuve d’Olof, et déclaré coupable en juillet 1989, il sera pourtant acquitté en appel un an plus tard par manque de preuve. Ce dernier s’était pourtant un temps vanté du meurtre, avant, il est vrai, de se rétracter. Il est mort subitement en 2004, emportant son secret dans la tombe. De quoi nourrir de nombreuses théories de complot national, mais aussi international.
Presque mondialement honni
Olof Palme était un homme très intelligent et qui ne s’en cachait pas. Régulièrement méprisant, il ne bénéficiait pas d’un énorme capital sympathie de son vivant. Ainsi, il n’hésitera pas à faire arrêter le metteur en scène Ingmar Bergman lors d’une représentation théâtrale pour suspicion de fraude fiscale. Celui qui se voulait l’apôtre du désarmement négociera aussi en douce la vente d’arme suédoise à l’Inde. On lui reprochera surtout d’avoir fait mijoter dix mois en prison le journaliste qui avait révélé son implication dans une version suédoise du Watergate.
À l’international, la situation n’était pas plus florissante puisqu’Olof Palme suscitait beaucoup d’inimitiés. Ils étaient nombreux à souhaiter plus ou moins ouvertement la mort du Premier ministre. Les ennemis ne manquant pas, on avancera donc plusieurs hypothèses plus ou moins fumeuses et dont voici quelques exemples non exhaustifs. Il aurait payé le fait d’avoir cessé les livraisons d’armes à l’Iran, de s’être opposé à l’apartheid en Afrique du Sud ou à la guerre du Vietnam ou encore d’avoir fait surveiller et emprisonner des Kurdes. Après la prise de pouvoir de Pinochet, il se mettra aussi le Chili à dos en accueillant de nombreux opposants. On évoquera aussi le KGB et la CIA.
L’étrange histoire de la toxicomane milliardaire
Un des derniers rebondissements retentissant, mais sans suite, est celui d’Eva Rausing. Avant de mourir en 2012, cette femme de 48 ans et milliardaire toxicomane, avait contacté la justice suédoise et l’auteur d’un livre sur le sujet pour lui faire part d’informations sur l’assassinat du Premier ministre Olof Palme. Par alliance, Eva Rausing appartenait à l’une des grandes familles industrielles suédoises à l’origine des Tetra Pak qui vont révolutionner le conditionnement des denrées liquides. Au début des années 1980, la famille Rausing avait quitté la Suède pour la Grande-Bretagne afin de fuir le système fiscal suédois. Mme Rausing aurait accusé un homme d’affaires suédois d’avoir commandité le meurtre du Premier ministre. Son corps sera retrouvée plus de deux mois après sa mort gisant au pied d’un lit sous un monceau de vêtements sales et de sacs poubelles. Son mari sera arrêté et suspecté de son éventuel meurtre avant d’être relâché. Il sera condamné à dix mois de prison avec sursis pour ne pas avoir fait inhumer sa femme « selon les règles et de manière décente ». « Je sais que c’était égoïste, mais je ne voulais juste pas la laisser partir » dira-t-il. Quoi qu’il en soit cette piste, qui aura fait le bonheur de la presse anglaise, en restera là.
À l’heure d’écrire ces lignes, l’affaire n’est cependant toujours pas officiellement résolue et l’enquête continue. Plus de 10.000 personnes ont été interrogées, 134 personnes ont revendiqué l’acte et le dossier occupe 250 mètres d’étagères. Il faudrait neuf ans à un être humain pour le lire dans son ensemble. Bref, il y a, dans cette affaire, tous les ingrédients d’un bon polard.
C’est ce qu’a dû se dire Stieg Larsson, l’auteur de la fameuse trilogie ‘Millennium’ vendue à plus de 80 millions d’exemplaires, pour qui l’enquête va rapidement tourner à l’obsession. C’est ce que révèle le livre documentaire du journaliste Jan Stocklassa. En réalité, Larsson n’écrivait des romans que pendant son temps libre. Sa véritable vocation était de mettre à jour les réseaux d’extrême droite en cherchant à démontrer leur lien avec l’armée et la police et comment ils bénéficiaient de protection en haut lieu.
Stieg Larsson est, au moment des faits, journaliste à Tidningarnas Telegrambyrå, la plus importante agence de presse suédoise. Il est l’une des premières personnes à être informées du meurtre. Tout de suite, il y voit la main de l’extrême droite pour qui le Premier ministre socialiste vendait progressivement son pays à l’Union soviétique. L’idée d’un complot d’extrême droite n’est pas si incongrue, puisque dans les années 1980, l’extrême droite va commettre des attentats et des meurtres dans toute l’Europe pour « renforcer le pouvoir de la police et de l’armée et instaurer un état autoritaire. » De tels réseaux étaient aussi actifs en Suède.
Le cas Engstrom
Thomas Pettersson, journaliste indépendant basé à Göteborg, a lui conclu en mai 2018 et après une longue enquête de 12 ans que le tueur était un Suédois, Stig Engstrom. Il était déjà cité dans cette affaire, mais en tant que témoin. « L’emploi du temps correspond, il a les bons vêtements, il a des informations uniques, il a menti et il avait accès au même genre d’armes à feu que celle utilisée pour le meurtre « , selon Pettersson (qui n’est pas de la même famille que le présumé meurtrier de l’époque NDLR) cité par The New York Times. « Il avait une certaine expérience du tir et des motifs personnels et politiques pour s’en prendre à Palme. » Comme pour d’autres pistes dans ce qui est parfois décrit comme l’une des enquêtes policières les plus longues au monde, il est peu probable que la théorie la plus récente mène à des aveux puisque Engstrom est décédé en 2000, apparemment après s’être suicidé. Son ex-femme, dont il a divorcé en 1999, rejette cependant l’idée de son implication dans l’assassinat du Premier ministre. « C’est hors de question, a-t-elle dit au journal Expressen. « Il n’était pas ce genre de personne, c’est sûr. Il était trop lâche. Il ne ferait pas de mal à une mouche. »
Lorsqu’il meurt prématurément le 9 novembre 2004 d’une crise cardiaque, l’auteur de Millennium, qui n’était alors pas encore mondialement connu, laisse plus de 20 boîtes d’archives consacrées au sujet. Lorsque, dix ans plus tard, elles sont données au journaliste d’investigation et documentariste Jan Stocklassa, ce dernier est époustouflé par la rigueur avec laquelle chaque information est classée. En suivant les instructions laissées par Stieg Larsson et après avoir vérifié chaque nom, le journaliste se rend compte que l’écrivain était sur une piste qui, si elle se vérifiait, pourrait bien résoudre l’affaire Palme. Et que, dans le pire des cas, il y avait là de quoi écrire un livre passionnant qui serait en quelque sorte l’héritage de Stieg Larsson.
Les ratages d’une enquête et la piste sud-africaine
Stocklassa donne dans son livre un aperçu des ratages de l’enquête suédoise, et ce dès les premières heures. Il le fait en paraphrasant ce qu’il a lu dans les notes de Larsson, mais aussi en reproduisant littéralement des lettres et des articles. Hans Holmér, le premier responsable de l’enquête, penchait, de façon suspecte selon Larsson, un peu trop pour la piste du PKK. L’homme poursuivra cette piste jusqu’à l’absurde. N’ayant jamais avancé d’un iota, on finira par lui retirer l’affaire. Qui sait combien d’informations essentielles auront ainsi été perdues ? La situation se complique encore un peu plus lorsque l’enquête sera dispatchée entre trois niveaux de pouvoirs. Chacun cherchant à tirer la couverture à soi plutôt que de collaborer à la résolution de l’affaire. Larsson lui-même se perdra dans des pistes qui finiront en culs-de-sac, mais il parviendra tout de même à dessiner les contours d’une piste aussi plausible que fondée pour expliquer ce meurtre retentissant.
Selon lui, le meurtre d’Olof Palme était lié à l’affaire Iran-Contra. Les Américains ont vendu des armes à l’Iran dans les années 1980. Les bénéfices seront ensuite versés aux Contras du Nicaragua qui luttait contre les sandinistes socialistes. Rien de légal dans ce tour de passe-passe, mais Ronald Reagan, alors président des États-Unis, misera sur le « pas vu, pas pris ». L’Afrique du Sud recevra du pétrole iranien en échange de services logistiques et l’armurier suédois Bofors sera lui aussi impliqué dans cette transaction douteuse. Et c’est là que cette affaire qui ronronnait jusque là va se gripper. Les autorités douanières suédoises refusent de fermer les yeux et dénoncent la livraison d’arme de Bofors à l’Iran. Palme affiche publiquement sa honte devant tant de roublardise et s’attire les foudres de la CIA.
On ne connaît cependant pas le rôle exact de la CIA sur les évènements qui vont suivre. Selon Larsson, on demandera aux services secrets sud-africains de donner « une leçon à Palme ». Et comme pour ce genre d’action, il est de bon ton de faire intervenir des locaux, ces derniers vont partir à la recherche de partenaires suédois. Ils vont les trouver dans quelques clubs de tir liés à l’extrême droite et qui n’étaient que trop désireux d’offrir leurs services. Les Sud-Africains vont tabler sur plusieurs cellules qui ignorent mutuellement leurs existences. L’une d’elles devait trouver le patsy, le bouc émissaire, qui serait chargé de tuer. Larsson n’a cependant jamais su qui c’était. S’il avait des soupçons, il n’obtint jamais aucune preuve. Stocklassa pense lui l’avoir trouvé, bien qu’il lui manque aussi des preuves concrètes. Il dit cependant qu’il sait où se trouve l’arme du crime. Elle serait dans un coffre dans un lieu qu’il a indiqué à la police. Il s’attend donc à ce que l’enquête face, officiellement cette fois-ci, une grande percée vers la vérité.
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