Moins d’un an après le sommet de la francophonie à Erevan en octobre dernier, la ville de Masis en Arménie témoigne d’une ferveur transformatrice. Après le succès d’un centre culturel, la construction d’un centre sportif et d’un ‘boulevard de la francophonie’, les fondations caritatives investissent dans le quotidien des jeunes.
Un vent d’optimisme semble souffler en Arménie. La Révolution de Velours en avril 2018 qui amena au pouvoir le journaliste Nikol Pachinian marque un changement historique pour l’avenir du pays. S’attaquant à la corruption et au féodalisme politique, Pachinian semble faire progresser le pays grâce à son ambition et son dynamisme.
La ville d’Erevan se retrouve d’autant modernisée, au rythme des constructions immobilières et des projets caritatifs. En 2011 déjà, la création à Erevan du centre TUMO (centre pour les technologies créatives) était un projet d’envergure. Avec plus de vingt mille jeunes inscrits depuis sa création, le centre est un incubateur de projets et d’innovations. L’exportation plus récente de ce même projet à l’étranger (notamment à Paris en septembre 2018) ainsi que la création de trois autres centres en Arménie illustre son succès fulgurant.
La jeunesse bénéficie de nombreux projets d’ampleur centrés sur la culture, le sport ainsi que l’éducation. Cependant, avec 37% de la population arménienne vivant dans les campagnes en 2016, soit l’équivalent de la population résidant aujourd’hui à Erevan, les divergences entre la capitale et les zones rurales s’accentuent. Alors que les aides caritatives en ville se développent, les financements privés en campagne manquent.
Masis en transformation
Située à proximité de la frontière arméno-turque, dans la province d’Ararat, à quinze kilomètres au sud-ouest d’Erevan, la ville de Masis se métamorphose. Pendant que les jeunes enfants jouent au football et à d’autres sports, les plus âgés admirent les développements récents de la ville. L’espace public se retrouve transformé : un terrain de foot, un parc, ainsi qu’une brasserie permettent aux habitants de bénéficier de lieux de récréations. Le quartier prend vie.
L’optimisme est au rendez-vous à Masis en ce jour d’inauguration. De même que l’enthousiasme des habitants est notable sur le nouveau boulevard inauguré en la présence du Premier ministre arménien. Sur le nouveau boulevard, décoré des drapeaux nationaux des pays membres de la francophonie, les habitants profitent de la fraîcheur du soir une fois la nuit tombée. Le projet, fruit de la ‘Fondation pour le Développement de Masis’ crée par la fondation AFFA (Adibekyan Family Foundation for Advancement) et de son fondateur, Gagik Adibekyan est dédié à cette ville d’où est originaire la famille du mécène.
En 2016 déjà, un centre de la jeunesse y était créé. Comptant aujourd’hui 50 bénévoles et 25 militants, le centre propose diverses activités tel que des cours de langues, des ateliers journalistiques, des cours de théâtre ainsi que de musique. La fondation pour le développement de Masis attribue chaque année cinq bourses d’études pour des élèves désireux d’étudier à l’Université française d’Erevan.
Francophonie à Masis
« Aujourd’hui, le coeur de la francophonie en Arménie, c’est Masis » affirme l’ambassadeur français à Erevan durant la soirée d’inauguration du complexe sportif. Celui-ci salue les efforts d’investissements à long terme dans la langue française qui sont autant des investissements dans la jeunesse. La Fondation Université française en Arménie (UFAR), créée en 2000 et qui compte environ 1000 étudiants, est une de ces ‘portes’ préexistantes qui chaque année forme nombre d’étudiants arméniens et incarne la collaboration diplomatique entre la France et l’Arménie.
La présence de l’ambassadeur est également l’occasion de célébrer l’ouverture d’une classe de français ‘renforcée’ dans une école de Masis. Bien que six écoles de Masis offrent d’ores et déjà la possibilité d’apprendre le français, cette réforme permettra aux élèves de choisir une filière en plus. Les Arméniens, dès leur plus jeune âge, sont généralement quadrilingues ou du moins trilingues, maîtrisant pas moins de trois alphabets. Par conséquent, l’Arménie est un pays multilingue, très favorable à l’apprentissage du français. D’après Jonathan Lacôte, « le français est pour les Arméniens une des portes d’ouverture sur le monde » de même que les Arméniens ont « un intérêt sincère pour notre langue et les valeurs qu’elle porte » déclare-t-il.
Pourquoi donc un ‘boulevard de la francophonie’ à Masis ? Bien que l’inauguration vienne quelques mois après le sommet de la francophonie tenu à Erevan en octobre 2018, il semblerait que les deux évènements ne soient en réalité pas coordonnés, d’autant que les financements sont exclusivement privés. La raison réside davantage dans l’exile de milliers d’Arméniens en France. La diaspora arménienne en France serait la plus importante d’Europe ainsi que la troisième plus grande au monde. L’ambassadeur français remarque que l’Arménie, « avant d’être francophone, est avant tout francophile ».
Contrer l’émigration
Alors que l’Arménie a souffert durant des décennies d’une émigration, étant donné les raisons politiques et économiques, la situation semble se stabiliser. Il est désormais plus courant de rencontrer de jeunes arméniens revenus au pays récemment dans l’espoir de voir leur pays progresser, du fait de leurs engagements.
La situation est délicate, alors que la fondation pour le développement de Masis, grâce aux financements de la fondation AFFA, investit dans le futur de la ville à travers des projets éducationnel, culturel et sportif, ses bourses d’études risquent de renforcer le phénomène de ‘fuite de cerveau’ que ses projets même essayent tant bien que mal de contrer. Lorsque l’étudiante en neurosciences à l’université d’Édimbourg, et originaire de Masis, est interrogé sur ses plans pour le futur, celle-ci affirme qu’il lui est difficile d’envisager un retour en Arménie après avoir étudié trois ans en Angleterre.
Le développement de la ville de Masis ainsi que des investissements concernant la jeunesse ne sont pas prêts à s’arrêter. L’ambition de la fondation pour le développement visant à transformer la ville en u centre éducatif, culturel et sportif persiste. En 2020 est prévue à Masis la construction d’un centre de technologie et d’innovation TUMO, tel qu’il existe depuis 2011 à Erevan, cette fois-ci doté d’une orientation francophone. La création de ce centre franchisé devrait être un autre catalyseur de changements pour la ville comptant vingt mille d’habitants et d’où nombre de jeunes fréquentent déjà le centre TUMO d’Erevan. Les initiatives culturelles et sportives désormais existantes, l’apprentissage à la technologie, à l’innovation ainsi qu’aux arts digitaux manquent.
Reste à voir si tous ces projets de développements permettront d’enrayer l’émigration des jeunes du pays vers l’étranger ainsi que des jeunes vers les villes.
Jean Castorini