Jonathan Piron

L’accord nucléaire iranien : ce qu’il n’est pas, et ce qu’il pourrait être

Jonathan Piron ETOPIA - Conseiller à la prospective

C’est un autre accord de taille qui vient d’être conclu à Vienne. S’il suscite des commentaires enthousiastes, cela ne suffit pas pour faire de l’Iran un eldorado économique ou un allié.

Après 17 jours de négociations, l’Iran et les grandes puissances (États-Unis, Russie, Chine, France, Royaume-Uni et Allemagne) sont enfin parvenus à s’entendre sur l’épineux dossier du nucléaire iranien. Clôturant une crise longue de plus de 10 ans, cet accord génère de nombreux commentaires enthousiastes.

L’Iran aurait réintégré le concert des nations. Et un nouveau marché s’ouvrirait dans un pays prêt à succomber aux joies de l’économie mondialisée. Certes, l’accord entre les puissances réunies à Vienne représente une victoire diplomatique majeure. Dans une région ravagée par les conflits, et où le système international se délite, voir la diplomatie reprendre ses droits dans un dossier aussi compliqué que celui lié au développement du nucléaire est plus que positif. Cependant, l’Iran est encore loin de représenter un nouvel eldorado économique ou un allié potentiel dans la région. De nombreux blocages persistent encore.

D’un point de vue économique tout d’abord. La levée programmée des sanctions sera non seulement longue et laborieuse mais ne concernera surtout qu’une partie de celles qui touchent Téhéran. En effet, les sanctions à l’égard de l’Iran sont bâties autour d’une architecture complexe.

Seules celles votées à la suite de la crise nucléaire font l’objet des négociations en cours. Il s’agit principalement de résolutions votées par l’ONU (sept, au total, adoptées entre 2006 et 2012 (n ° 1696, 1737, 1747, 1803, 1835, 1929 et 2049), mais également de sanctions européennes et américaines. Touchant les secteurs énergétiques et financiers, elles font particulièrement mal à la République islamique. La limitation des exportations de pétrole iranien amène, par exemple, un manque à gagner d’1,6 milliard de dollars par mois, pour le régime. Il est incontestable que leur levée donnera de l’oxygène à une économie asphyxiée.

Cependant, cette annulation ne concerne en rien les sanctions votées antérieurement. Et parmi celles-ci figurent de nombreuses dispositions, principalement américaines, qui continueront à ceinturer l’économie iranienne. La plus emblématique est l’Iran Sanctions Act de 1996, plus connue sous le nom de Loi d’Amato-Kennedy. Ces différentes mesures, adoptées afin de punir l’Iran pour son soutien au terrorisme et au non-respect des droits humains, resteront donc en place. Tout ceci dans un cadre où l’Iran est encore loin de représenter un cadre idyllique pour faire des affaires. Le pays est marqué par l’existence d’un système économique faisant essentiellement la part belle aux organes publics, ménageant leurs intérêts dans une situation de corruption latente. La structure économique du pays est ainsi essentiellement clientéliste, mêlant entreprises publiques et semi-publiques dans l’obtention de passe-droits en-dehors de tout appel d’offre clair et transparent. L’Iran est ainsi classé, par la Banque Mondiale, 130e sur 189 en ce qui concerne la régulation des affaires et la protection des brevets et autres copyrights.

Si l’accord de Vienne suscite l’enthousiasme, cela ne suffit pas pour faire de l’Iran un eldorado économique ou un allié

Autre obstacle de taille pour que l’Iran devienne un nouveau partenaire international : la situation géopolitique du Moyen-Orient. L’obtention d’un accord sur le nucléaire ne règle en rien les questions liées à l’implication de l’Iran dans le soutien au régime de Bachar al-Assad. L’accord ne fait pas de l’Iran un nouvel allié pour l’Occident, loin de là. Le régime continue à suivre sa propre logique, souverainiste, surfant sur les opportunités s’offrant à lui depuis plusieurs années. Depuis l’échec américain en Irak jusqu’à la guerre civile en Syrie, l’Iran a réussi à profiter des faiblesses de ses rivaux pour parvenir à se réimplanter dans la région et à rompre son isolement diplomatique. L’accord obtenu renforce d’ailleurs le régime en place, reconnaissant in fine sa légitimité internationale face à de puissants ennemis souhaitant sa fin, tels Israël et l’Arabie Saoudite.

Ces deux éléments amènent donc à se questionner sur ce qu’il faut faire pour entériner durablement l’ouverture diplomatique que représente l’accord obtenu à Vienne. Il s’agit de se poser une question peu envisagée jusqu’ici. Les négociations ont essentiellement porté sur ce qu’a fait ou développé l’Iran durant ces dernières années, d’un point de vue nucléaire. Mais jamais sur le « pourquoi ? ». Or, cette question est fondamentale. Les logiques qui ont entraîné l’Iran à développer un programme nucléaire civil, lourdement entaché de doutes quant aux possibilités de développement d’une arme nucléaire, sont toujours présentes. Le pays continue à être entouré de nations ou d’organisations hostiles. Et la situation chaotique dans laquelle se trouve aujourd’hui le Moyen-Orient n’est en rien rassurante pour l’avenir. La Guerre Froide opposant l’Iran à l’Arabie Saoudite, les menaces que l’Iran et Israël s’adressent réciproquement et les tensions avec la Turquie sont autant de facteurs d’instabilité à moyen, voire court terme. Sans compter l’effondrement du régime syrien, allié traditionnel de Téhéran et la présence toujours forte de Daesh, hostile au régime iranien.

La conclusion de l’accord sur le nucléaire iranien n’est donc qu’une première étape, dans un processus encore très long. Le succès d’une négociation diplomatique de longue haleine avec l’Iran montre qu’il est aujourd’hui possible d’obtenir des accords, voire des ententes, avec la République islamique. Mais cette réussite reste fragile. Son succès repose sur l’obligation de poursuite du dialogue, entre tous les acteurs concernés, sur toute une série de dossiers majeurs pour l’avenir collectif de la région, tant énergétique qu’environnemental et politique. Sans oublier de prendre enfin en compte les droits et aspirations légitimes des populations concernées. L’anarchie dans laquelle se trouve aujourd’hui le Moyen-Orient ne peut plus perdurer. L’accord sur le nucléaire iranien représente un premier signe permettant de bâtir un nouveau système de relations. Mais si rien n’est fait pour permettre une plus grande intégration régionale, alors le succès de Vienne n’aura été qu’une petite lueur dans une nuit sans fin.

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