Sébastien Boussois

La tragédie des réfugiés, le naufrage de l’idée d’Europe, la fin de l’Europe

Sébastien Boussois Docteur en sciences politiques et spécialiste du Moyen-Orient.

Le mini-sommet tenu à Bruxelles dimanche 24 juin est la preuve que l’Europe n’avait pas besoin de la crise migratoire pour se diviser mais la preuve suffisante que l’Europe politique peut bel et bien disparaître, c’est une certitude.

Le refus de pays comme la Pologne, la Hongrie et la République tchèque, qui mènent une politique intransigeante en termes d’accueil des réfugiés, d’y participer est un symptôme de plus.

L’Europe en qui nous tentons tous de croire risque bien de disparaître politiquement donc, non pas par la prétendue « invasion » de migrants venus des quatre coins du monde, et en particulier d’Afrique et du Moyen-Orient, mais bien par l’incohérence de sa politique et le rejet des valeurs fondamentales humanistes qui l’ont vu naître.

Depuis des années et particulièrement depuis les « Printemps arabes », les événements tragiques des réfugiés, des « haragas » maghrébins qui tentent de rejoindre l’Espagne, des morts subsahariens des dernières années qui meurent à proximité des côtes italiennes, de l’Aquarius balloté de l’Italie à l’Espagne, du nouveau bateau Lifeline en déroute, sont l’apogée de cette incompréhension et de cette déshumanisation des liens politiques, culturels, économiques, sociaux et humains des relations entre le Nord et le Sud. Même lorsque la société civile et les organisations humanitaires épongent l’inaction politique, rien n’y fait : le nouveau premier Ministre italien Salvini tient des propos fascisants, Emmanuel Macron menace de sanctionner ceux qui refusent d’accueillir leur « lot » de réfugiés, et Angela Merkel pour sa survie politique veut finalement fermer ses frontières après avoir accueilli près d’un million et demi d’individus en cinq ans que lui reprochent les Allemands désormais. Sur le dos de millions d’individus, chaque leader européen semble y jouer chaque jour sa survie politique. Le sommet à Bruxelles de cette fin de semaine est déjà condamné.

L’Europe risque bien de disparaître, non pas par la prétendue u0022invasionu0022 de migrants, mais bien par l’incohérence de sa politique et le rejet des valeurs fondamentales humanistes qui l’ont vu naître

Or, nous ne sommes qu’au début du problème. En effet, l’afflux massif de réfugiés ne va pas s’arrêter aux conséquences des quelques guerres d’aujourd’hui : le réchauffement climatique fera fuir de certaines régions du monde des dizaines de millions d’êtres humains qui voudront se rendre également en Europe continentale. Alors comment s’organiser ? Pour l’Europe, ce n’est même plus l’heure de tenter de faire respecter les conventions de Genève et les droits élémentaires en termes d’accueil des réfugiés. La priorité de l’Europe est de faire encore croire à son idéal. Or, le glissement de l’Europe de l’est depuis des années vers l’extrême droite et les populismes est la preuve de la mauvaise intégration de tous les anciens satellites russes et de la zone d’influence aujourd’hui de l’Allemagne. Pendant qu’elle brille économiquement, ses voisins ont toujours été à la traîne. Dès lors, la question d’accueillir des réfugiés du Moyen-Orient sur ce lit de misère ne se pose même pas.

Pourtant, si ces pays n’ont aucun lien direct ni politique ni frontalier avec la Méditerranée, c’est peut-être la « mare nostrum » même qui sauvera l’Europe, sur ce triple socle de latinité, de romanité et d’héllénité. Car justement ce triple socle n’aurait pu survivre sans l’apport civilisationnel historique des contrées que les anciens Empires sont allés conquérir et qui ont fait aussi la richesse de notre identité dite européenne. Avec de la hauteur, on y reviendra.

Déjà depuis le début des révoltes arabes, la locomotive franco-allemande fragilisée est tombée en panne autour de la question des migrants. La panne se poursuit désormais avec la multiplication des régionalismes et des partis politiques populistes qui gagnent du terrain partout et fragilisent désormais toute les wagons européens. Alors que certains ne sont pas encore au pouvoir comme en France, les partis d’extrême-droite tirent les ficelles de la Belgique à l’Italie, en passant surtout par la Pologne, la Slovénie, la Bulgarie, la Slovaquie et le fer de lance hongrois avec Victor Orban. Ils pèsent beaucoup aux Pays-Bas, en Grèce, en Suède, en Finlande, etc. Un nouveau rideau de fer à l’est et désormais au sud avec l’Italie est en train de se créer : c’est cela l’Europe aujourd’hui, alors que Bruxelles continue à se rêver unie et que l’on veut continuer à faire croire au « sentiment européen » qui ne parle pas beaucoup hélas à toutes ces provinces lointaines de l’Empire.

Pourtant, il est temps pour l’Europe et le monde, face au drame humain que vivent des millions d’hommes du Sud pour gagner cette illusion du Nord, de redéfinir et fonder la politique euro-arabe méditerranéenne du XXIe siècle : que la Méditerranée redevienne un espace de vie et de circulation, et non un cimetière marin pour les rêves de millions de Subsahariens ou de victimes des guerres tragiques menées au Moyen-Orient depuis un siècle pour le contrôle de ses ressources et sa de sa situation géostratégique mondiale majeure. A côté du drame de l’Europe, il y a bien hélas le drame du monde arabe qui n’est pas, loin de là, un eldorado pour ses « concitoyens arabes ». Les Printemps arabes ont fait long feu : même la Tunisie que l’on se plaît à ériger en véritable label et « laboratoire de la transition démocratique » est au bord du gouffre économiquement comme jamais. Quel avenir pour ses jeunes populations comme ses voisins dans leur propre pays ? Aucun. Rejeté de l’Europe, démotivé dans le monde arabe, quelles options reste-t-il pour certains à part l’extrémisme violent tant la vie n’a aucun sens ?

Un homme est un homme du Nord comme du sud. Un enfant est l’avenir de la Méditerranée, puisque près des trois quarts des habitants du Sud ont moins de 25 ans. Au Nord, c’est l’inverse. En attendant, c’est hélas ou heureusement selon les opinions, à l’Europe d’offrir un séjour provisoire décent à ces milliers d’individus. Des accords futurs de réintégration dans leur pays d’origine peuvent déjà donner matière à réflexion dès aujourd’hui. La nature est parfaite, paraît-il, et balance toujours les choses, pourvu qu’on n’agisse pas en permanence contre elle et à contre-courant : la circulation a toujours été l’atout numéro un de l’être humain pour sa survie. Les ensembles politiques inclusifs ne peuvent devenir des machines d’auto-destruction exclusives. Que serait l’Europe d’aujourd’hui sans l’immigration d’hier ?

Sébastien Boussois

Docteur en sciences politiques, chercheur Moyen-Orient relations euro-arabes/ terrorisme et radicalisation, enseignant en relations internationales, collaborateur scientifique du CECID (Université Libre de Bruxelles) et de l’OMAN (UQAM Montréal)

Dernier ouvrage publié en 2018 « Le naufrage de la Méditerranée » Erick Bonnier editions Paris.

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