Thierry Bellefroid

« La mini-jupe devait libérer la femme. 50 ans plus tard, vous la trouvez si libérée? »

Depuis quelque temps, ma raison vacille : j’écris aux morts. Cette fois-ci, j’ai décidé de me reprendre en main. D’où cette lettre que je vous adresse à vous, Mary Quant, qui êtes bien vivante et qui pourrez très certainement m’éclairer du haut de vos 83 ans.

Dites, Mary, vous ne trouvez pas que le monde est fou ? Bon, c’est peut-être un peu abrupt. Mais avouez qu’on est en droit de se poser des questions.

De votre temps, les choses étaient claires. On savait où s’arrêtait la jupe – sous le genou – et où commençait le scandale. Et ce scandale, après des débuts américains, était aussi britannique que vous, Mary, il portait les cheveux longs, jouait de la guitare électrique, faisait rouler les pierres sur les scarabées d’argent. Ce scandale avait une tronche de Mick ou de John (ou de Paul). Ce scandale, le rock’n’roll, allait mener l’Occident droit à la décadence. Et vous alliez en accélérer l’effet dévastateur.

Bazaar, votre boutique de couture, naît à Londres, sur King’s Road, en 1955. Bien vite, vous décidez d’imaginer votre propre ligne de vêtements. Et en 1962, année du premier simple des Beatles et de la naissance des Stones, c’est la révélation. Afin que les femmes soient  » plus à l’aise pour courir après l’autobus « , vous lancez la minijupe. Vous direz plus tard que vous ne l’avez pas inventée, mais que c’est la rue qui vous l’a dictée. En réalité, c’est une collection de maillots de plage de Saint-Tropez qui vous aurait inspirée. Vous n’avez pas conquis le monde toute seule : Courrèges a propulsé ce vêtement dans la haute couture dès 1965 et Jean Shrimpton, mannequin britannique toute en jambes, a beaucoup fait pour raccourcir la mode après un voyage à sensation à Melbourne la même année, vêtue d’une robe blanche très simple mais diablement courte pour l’époque et pour l’endroit. Fin du résumé. De toute façon, chère Mary, vous connaissez l’histoire mieux que moi.

Tout ça pour dire que je serais curieux de savoir ce que vous pensez de notre joli monde d’aujourd’hui. La minijupe était un acte de rébellion contre l’ordre établi, les conventions. Mais c’était surtout un acte féministe : l’idée était de libérer la femme. Un peu plus de cinquante ans plus tard, vous la trouvez si libérée ? Vous devez être perplexe, en observant les #MeToo, ou en lisant la confession d’une Uma Thurman affirmant, elle aussi, avoir été abusée par ce célèbre producteur hollywoodien. Et suffit-il de décerner les Magritte du cinéma en respectant une totale parité garçons-filles pour effacer d’un coup de baguette magique le malaise qui agite nos sociétés ? Si c’était à refaire, Mary, vous la raccourciriez, votre jupe londonienne ? Certaines ne vous accusent-elles pas d’avoir transformé la femme en objet sexuel, la mettant à la merci des prédateurs ? Sans parler de ceux dont les procès surmédiatisés jugent des actes terroristes dictés à leurs yeux par la perte de morale de l’Occident – entendez par là la perversité féminine. Ah, qu’il est difficile de remettre l’église au milieu du visage quand on regarde les jambes des filles ! Moi, ce que je pense, c’est qu’il n’y a pas qu’un seul féminisme. Le vôtre avait le mérite de dire que le problème ne vient pas de ce qu’on montre, il vient de la manière dont on regarde.

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