Aristote © AFP

« La démocratie est-elle vraiment la panacée? »

Jonathan Holslag
Jonathan Holslag Jonathan Holslag est professeur en relations internationales à la VUB.

« Pour rétablir la démocratie, le peuple doit se comporter comme un peuple », estime le professeur Jonathan Holslag (VUB).

L’anacyclose, le cycle de déclin politique, présuppose que les démocraties dégénèrent en une autorité chaotique de la meute. On l’appelle l’ochlocratie. Sommes-nous à ce point aujourd’hui, au déclin d’une démocratie dans un système politique où la question principale est de savoir quelle foule peut crier ou intimider le plus fort ? La démocratie comme querelle tribale ? Si vous avez vu les débats à la Chambre des communes britannique, la clameur politique en Italie, l’énième éclat de Donald Trump ou la formation d’un gouvernement ces derniers mois, même le plus ardent défenseur de la démocratie se demande s’il ne vaudrait pas mieux échanger cet état d’égarement politique contre la maîtrise de soi d’un Xi Jinping, par exemple.

La démocratie est-elle vraiment la panacée?

La démocratie est-elle vraiment supérieure? Spontanément, moi aussi, j’ai tendance à répondre oui. Nous ne voulons pas retourner au Troisième Reich ou à l’Union soviétique, n’est-ce pas ? Néanmoins, je pense de plus en plus à une remarque du philosophe grec Aristote. Il a déclaré que ce qui distingue les pays les uns des autres, ce qui les rend forts, n’est pas tant la forme de gouvernement, c’est-à-dire si un pays est une démocratie, une monarchie ou autre chose. Ce qui compte, suggérait-il, c’est la mesure dans laquelle ce pays est imprégné de vertu : la modération, l’ouverture d’esprit et la prise de conscience que le bonheur individuel est rarement déconnecté de la prospérité de la société dans son ensemble. Mieux vaut un autocrate vertueux qu’une démocratie dégénérée.

En face, on a la réponse forte de penseurs comme Nicolas Machiavel: un mauvais tyran fait plus de mal qu’une mauvaise république ou démocratie. Le peuple commet moins d’erreurs qu’un autocrate, suggère-t-il, des erreurs plus petites aussi, et il est plus en mesure de corriger les erreurs. Mais peut-on s’y fier ? Peut-on compter sur les masses dans une république ou une démocratie pour se corriger? Il me semble plus évident de renverser un despote que de réveiller une démocratie docile, comme en Occident, de lui faire voir comment il peut cannibaliser sa propre prospérité et de désigner un bouc émissaire au hasard pour ne pas avoir à prendre ses responsabilités. C’est un peu comme l’état de nature de Thomas Hobbes, tous contre tous, mais pour les générations faibles et gâtées.

Une démocratie dégénérée devient alors le sommet d’un autre phénomène : la décadence. À cet égard aussi, il semble y avoir un cycle, un manège d’ascension et de déclin. Les sociétés de construction du pouvoir le font dès le départ grâce à une éthique de travail sobre, sous la supervision de dirigeants autoritaires et d’États forts. Une fois qu’ils ont acquis le pouvoir, l’individualisme et le consumérisme prennent leur place. Cela déraille : les gens commencent à vivre au-dessus de leurs moyens et épuisent la prospérité durement acquise. Il y a une bataille entre toutes sortes de groupes d’intérêts pour les miettes de plus en plus rares. Ce qui reste des structures politiques devient un instrument de self-service. La société est en déclin et s’écrase dans une vallée. Là, soit elle est incorporée par un nouvel acteur émergent, soit, dans la panique, se rallie derrière un leader fort. Et puis le cycle recommence.

C’est la coïncidence désastreuse de la démocratie sans vertu et de la prospérité sans responsabilité. Ce n’est pas un beau spectacle. Chaque période de déclin est suivie d’une période de croissance, très certainement. Mais la transition (si on peut l’appeler ainsi) peut être longue et sinistre. Cela nous fait réfléchir à ce que les générations futures auront à endurer. La réaction spontanée contre une telle pensée est le rejet : il ne faut pas être cynique, l’optimisme est un devoir moral. Mais à quoi bon chanter que le monde s’améliore si nous ne l’aidons pas à s’améliorer? Et c’est quoi rendre le monde meilleur (à commencer par notre société)? Crier qu’on a raison sur Twitter? Bêler, telle une chèvre attachée à un poteau qu’on a raison sur Facebook?

À mon avis, l’essentiel de la pensée d’Aristote réside dans le fait qu’il s’agit de retrouver la vertu. Aussi niais que cela puisse paraître, une ochlocratie ne peut être combattue qu’en vainquant l’égarement de la meute avec les qualités chantées par des penseurs comme Aristote et d’autres: la modération, l’ouverture d’esprit et l’engagement. On peut trouver cela moralisateur, mais pour que le peuple règne à nouveau, pour restaurer la démocratie, le peuple doit se comporter comme un peuple : avec un sens des responsabilités mutuel et un dévouement chaleureux.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire