Le président chinois Xi Jinping et le président américain Donald Trump © Reuters

« La Chine conforte l’Amérique dans son rôle de pays déclinant »

Jonathan Holslag
Jonathan Holslag Jonathan Holslag est professeur en relations internationales à la VUB.

« Une bonne partie des contrats américains que Trump emmène à Washington tourneront finalement au ‘Made in China’, se dit Jonathan Holslag. « Les Chinois sont imbattables à ce jeu. »

Et les Chinois recommencent: ils manipulent impitoyablement les points faibles des pays démocratiques. Le président américain Donald Trump a été accueilli avec moult courbettes à sa visite à Pékin et renvoyé en souriant avec des concessions chinoises qui étaient en fait à peine des concessions. La façon dont la Chine maîtrise le jeu diplomatique et gagne en pouvoir demeure surprenante.

Déjà à l’avance, Trump avait adopté un ton guerrier à l’égard de la Chine. Il avait exigé qu’on s’en prenne au déficit commercial et que le président Xi Jinping exerce plus de pression pour que la Corée du Nord cesse son programme nucléaire. Pékin a eu une réaction roublarde. Pour commencer, le président américain a été manipulé au niveau de sa plus grande sensibilité : son ego. Il a été accueilli comme un empereur à la Cité interdite. L’état chinois a même mobilisé une foule d’étudiants pour agiter de petits drapeaux vers « frère Trump ». L’objectif de cette générosité protocolaire a été atteint : pendant toute sa visite, Trump a rayonné comme un enfant dans un magasin de bonbons.

Les diplomates aussi avaient fait leur travail et leur offensive de charme économique s’est révélée particulièrement brillante. La Chine avait proposé à l’avance d’utiliser plus de produits agricoles – surtout de la viande de porc et du soja – d’Amérique. Pour Trump, la population des régions rurales forme une part importante de ses électeurs et donc une augmentation de l’export dans ce secteur est plus qu’opportune. Pour la Chine elle-même, l’importation de produits agricoles n’est pas vraiment problématique tant que ses produits de l’industrie saturée gardent leur accès au marché américain. Trump ne l’a donc peut-être pas encore tout à fait compris, mais au fond le traité commercial prolonge ce que la Chine fait depuis des années avec des pays en voie de développement : échanger des biens industriels à valeurs ajoutées élevées contre des biens primaires à valeurs ajoutées faibles.

Cette concession semble donc une victoire pour Trump, mais en réalité la Chine gagne à nouveau un peu plus. Un autre accord important, d’une valeur de 83 milliards de dollars, concerne la participation de la China Energy Investment Corporation dans l’exploitation de gaz de schiste en Virginie-Occidentale. Ce n’est probablement pas un hasard si la Chine choisit justement cet état, car là aussi les électeurs ont majoritairement voté pour Trump. Et c’est à nouveau le secteur primaire aux États-Unis qui en profite. Il est probable que l’exportation de gaz de schiste vers la Chine réduise le déficit commercial, mais le résultat final de l’accord ce n’est pas tant d’accorder plus d’espace à l’industrie de fabrication américaine, que le fait que l’importation de produits de l’industrie de la fabrication chinoise ne soit pas compromise par une politique commerciale américaine plus dure. Indirectement, la compétitivité de la Chine est donc renforcée.

La valeur totale des accords commerciaux conclus entre les États-Unis et la Chine s’élevait à 250 milliards de dollars. Sur ces 250 milliards de dollars, environ 165 milliards de dollars concernaient les matières premières. Outre le fait qu’ils évitent une politique commerciale américaine dure et qu’ils maintiennent l’accès de l’industrie chinoise au marché américain, les accords procurent d’autres avantages. Beaucoup de contrats sont réalisés pour les entreprises publiques chinoises, ce qui fait que Washington revient indirectement sur son exigence de réciprocité. : une concurrence honnête selon les règles du marché. Grâce aux deals, la Chine réussit aussi à diversifier ses réserves de devises étrangères : moins en dette publique américaine et plus en secteurs stratégiques. Pour le reste, les commandes chinoises pour les produits de l’industrie américaine semblent surtout favoriser la Chine. Les avions Boeing commandés seront probablement construits dans une usine chinoise. Caterpillar, qui a décroché un contrat auprès d’une société minière chinoise, compte 25 usines en Chine. Une bonne partie des contrats américains emmenés par Trump en Chine, tourneront finalement au « Made in China ».

Au fond, la Chine conforte l’Amérique dans son rôle de pays déclinant et de fournisseur de matières premières. Les matières premières sont déjà la composante à la croissance la plus rapide de l’exportation américaine vers la Chine. La part de produits technologiques intensifs s’est réduite à 50% en 2012 vers une moyenne d’environ 26% ces dernières années. Les Chinois gagnent tout en donnant l’impression à Trump de garder une apparence de victoire. Ils sont imbattables à ce jeu.

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