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Julian Assange, pris au piège des soubresauts de la politique équatorienne

Le Vif

Julian Assange a échappé pendant sept ans à la fureur des Etats-Unis en trouvant refuge à l’ambassade de l’Equateur à Londres. Mais le fondateur de WikiLeaks s’est finalement retrouvé piégé par les luttes de pouvoir qui agitent le petit pays sud-américain.

Lorsqu’il a obtenu de Quito l’asile diplomatique en 2012, Julian Assange était considéré comme un symbole persécuté de la liberté d’expression, et un atout pour les « gouvernements progressistes » d’Amérique latine, qui s’opposaient aux Etats-Unis, rappelle Katalina Barreiro de l’Institut des Hautes études nationales.

L’Australien aux cheveux blancs, alors âgé de 40 ans et visé par une enquête pour viol en Suède – une affaire classée depuis – venait alors de divulguer des milliers de câbles secrets de la diplomatie américaine.

L’Equateur était alors présidé par le socialiste Rafael Correa (2007-2017), proche du pouvoir chaviste vénézuélien. Il pouvait ainsi narguer les Etats-Unis et se vanter de défendre les libertés, malgré ses propres démêlés avec la presse de son pays, qu’il jugeait corrompue et favorable à l’opposition. « Quand nous lui avons accordé l’asile, ce n’était pas pour justifier tout ce qu’il a fait. Peut-être a-t-il fait des choses illégales, mais il n’avait aucune garantie d’un procès équitable aux Etats-Unis », a déclaré l’ex-président à l’AFP depuis la Belgique, où il s’est exilé depuis la fin de son mandat.

Mais sept ans plus tard, Assange comme l’Equateur ont bien changé.

Jeudi, lors de son arrestation par la police britannique dans les locaux de l’ambassade, le fondateur de WikiLeaks est apparu amaigri, le visage fatigué, mangé par une barbe blanche.

Peu avant, Quito avait annoncé avoir mis fin à son asile diplomatique et lui avoir retiré la nationalité équatorienne accordée en 2017. Le président Lenin Moreno, ex-vice-président de Rafael Correa, devenu son principal adversaire, a même dénoncé un « hacker misérable ».

Julian Assange avait déjà fait l’objet d’avertissements ces dernières années pour s’être prononcé sur les élections américaines de 2016 et le processus d’indépendance en Catalogne en 2017. Des soupçons de Quito sur un possible piratage des communications de Lenin Moreno et de sa famille par WikiLeaks ont renforcé les arguments de ses opposants.

Jeudi, une personne « très proche » de l’Australien au sein de WikiLeaks a été arrêtée, a annoncé la ministre équatorienne de l’Intérieur Maria Paula Romo, sans révéler son identité, mais en assurant avoir « des preuves suffisantes qu’elle a collaboré dans les tentatives de déstabilisation contre le gouvernement ». Cette personne s’apprêtait à quitter le pays pour le Japon.

« Saut vers la droite »

L’élection de M. Moreno en 2017 à la tête de l’Equateur a changé la donne. Contre toute attente, le chantre du correisme a rompu avec son mentor et une lutte de pouvoir s’est engagée qui a fracturé la gauche, au pouvoir dans ce petit pays pétrolier depuis 2007.

Le chef de l’Etat équatorien s’est éloigné du chavisme, a normalisé les relations avec la presse et rétabli des relations avec les Etats-Unis et le Fonds monétaire international (FMI). De son côté, Rafael Correa a dû rester en Belgique pour éviter des poursuites, accusé d’avoir fait brièvement enlever un opposant.

Jeudi, l’ex-chef de l’Etat a accusé son successeur d’être responsable de l’arrestation de Julian Assange, dénonçant « sa misère humaine » et « un crime que l’humanité n’oubliera jamais ».

Mais au-delà du contexte politique, « ce que Moreno a fait, c’est simplement de clore un sujet qui ne représentait ni avantage ni désavantage pour le pays », estime Michel Levi, de l’Université andine Simon Bolivar.

Pour Francisco Lopez-Bermudez, spécialiste des relations internationales à l’Université de San Francisco de Quito, l’Equateur « n’aurait jamais dû se mêler de cette affaire ». Selon lui, cela n’a rien apporté ni « au gouvernement précédent ni à l’Equateur, qui a même dû dépenser des millions de dollars » pour l’entretien du fondateur de WikiLeaks.

Entre 2012 et 2018, Quito a ainsi dépensé 6,2 millions de dollars pour la sécurité et le quotidien de son hôte, selon le ministère équatorien des Affaires étrangères.

Pour Mauricio Gandara, un ex-ambassadeur équatorien à Londres, la fin soudaine de l’asile accordé à Julian Assange ne fait finalement que confirmer le « saut spectaculaire vers la droite » du président Moreno.

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