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Joute présidentielle en Egypte: ancien régime contre islamistes

La tension monte à un mois de la première élection présidentielle de l’après-Moubarak en Egypte. Un des hommes forts de l’ancien régime, Omar Souleimane fait face au favori, le candidat des Frères musulmans… qui pourrait être disqualifié. Explications.

Le dépôt des candidatures pour la présidentielle égyptienne des 23 et 24 mai s’est terminé dimanche avec des rebondissements de dernière minute. Une vingtaine de personnes se sont officiellement portées candidates. Mais les deux principales forces en lice sont les Frères musulmans, vainqueurs des législatives et l’ancien régime.

Omar Souleimane, le candidat du régime Moubarak

Cette figure de l’ère Moubarak a fait un retour fracassant sur la scène politique en fin de semaine en présentant sa candidature. Il a fait jouer le suspens. Après avoir annoncé jeudi, malgré les rumeurs qui courraient en ce sens, qu’il ne serait pas candidat, faute d’avoir obtenu le soutien nécessaire, Omar Souleimane s’est finalement déclaré, le lendemain, pour répondre, selon lui, à un « appel » populaire. En effet, un peu plus tôt vendredi, des Egyptiens avaient manifesté dans un quartier du Caire pour l’appeler à se présenter. Les Frères musulmans, eux, accusent Omar Souleimane de vouloir « voler la révolution ».

Ce pilier de l’ancien régime fut brièvement nommé vice-président en février 2011 au début de la contestation contre le régime de Hosni Moubarak. Cest Souleimane qui a annoncé à la télévision la démission d’Hosni Moubarak le 11 février dernier. Ennemi farouche des Frères musulmans, il s’était résolu à ouvrir le dialogue avec la puissante confrérie qui domine aujourd’hui le Parlement. Cet ancien chef des services secrets, les redoutables moukhabarat, est le favori du Conseil militaire qui dirige l’Egypte depuis la démission sous la pression populaire de Hosni Moubarak.

Selon la presse américaine, Omar Souleimane était impliqué dans des affaires de torture. « ll était l’homme de la CIA en Egypte pour les détentions secrètes », selon le New Yorker. Ron Suskin, auteur du Roman noir de la Maison blanche le surnomme le « tueur à gage » du régime Moubarak. Ron Suskin a raconté à ABC News que lorsque la CIA a demandé à Souleimane un échantillon d’ADN d’un membre de la famille du numéro 2 d’Al Qaïda, Ayman Al-Zawahiri, Souleimane a proposé de fournir tout le bras de l’homme en question. « C’est un homme charitable, amical », souligne Suskind, « il ne torture que des gens qu’il ne connaît pas. »

Les autres « candidats de l’armée »

Ahmad Chafic, ancien général de l’armée de l’air devenu ministre de l’Aviation sous Hosni Moubarak, a été Premier ministre dans les derniers jours au pouvoir de l’ancien président pour tenter d’apaiser la révolte populaire.

Amr Moussa, ancien ministre des Affaires étrangères et ancien chef de la Ligue arabe, a été l’un des premiers à annoncer son intention de se présenter, après la chute de l’ancien président l’an dernier. Amr Moussa jouit d’une bonne image dans l’opinion, mais son profil laïque pourrait lui nuire auprès des islamistes.
Khairat al-Chater, le candidat surprise des Frères musulmans
Les Frères musulmans, qui s’étaient engagés à ne pas participer à la présidentielle, ont créé la surprise en annonçant, le 30 mars, la candidature de leur numéro 2 (numéro 1 pour Ahram online). Ce professeur d’ingéniérie de 61 ans, multimillionnaire, qui a fait fortune dans les affaires, est l’un des principaux financiers du mouvement. Partisan de Nasser dans sa jeunesse, avant de rejoindre les Frères musulmans, Al Mohandis (« l’ingénieur », comme il est surnommé) a passé une douzaine d’années en prison au total, ce qui ne l’a pas empêché de faire prospérer ses affaires, dont il a largement fait profiter la confrérie. Au sein de celle-ci, il a créé, selon Amira Howeidy de Ahram online, une « organisation dans l’organisation ». Il a été libéré en mars dernier sous la pression populaire. Très conservateur, Khairat al-Chater, s’est engagé à mettre en oeuvre la charia (loi islamique) s’il était élu.

Mais le candidat des Frères pourrait être disqualifié en raison de sa condamnation par un tribunal militaire. La loi, toujours en vigueur malgré la « Révolution égyptienne », stipule que toute personne ayant été condamnée à de la prison doit attendre six ans à partir de la fin de sa peine ou de la date de sa grâce avant de pouvoir retrouver ses droits politiques. Le candidat des Frères musulmans est pourtant l’un des favoris de la course à la présidentielle, ce mouvement ayant obtenu 80 des 168 sièges en lice aux législatives cet hiver. La commission électorale doit se réunir du 13 au 15 avril pour se pencher sur les dossiers des candidats. Les candidats rejetés auront 48 heures pour présenter un recours.

Les autres candidats islamistes

Les salafistes, partisans d’une application stricte de la loi islamique, ont enregistré une percée surprise lors des législatives (24% des sièges). Leur candidat Hazem Abou Ismaïl, prône un arrêt de l’aide américaine, mais, manque de chance, il risque fort d’être disqualifié parce que sa mère a été naturalisée… américaine en 2006. Selon la loi électorale, tout candidat à la magistrature suprême doit être uniquement égyptien, de même que ses parents et son épouse.

Mohammed Morsi, le Frère de rechange: pour être sûrs de rester dans la course au cas où Khairat al-Chater serait disqualifié, les Frères musulmans ont présenté en dernière minute un candidat « alternatif », le président de leur Parti de la liberté et de la justice (PLJ), Mohammed Morsi.

Abdelmoneim Aboul Fotouh, le Frère « dissident »: ancien cadre dirigeant des Frères musulmans, Aboul Fotouh a été exclu de la confrérie après avoir annoncé sa volonté de se présenter en juin dernier. Son programme est centré sur la justice sociale, la santé et l’éducation. Il est populaire parmi les manifestants qui ont renversé Hosni Moubarak, notamment les jeunes Frères musulmans.

Les candidats malheureux de la troisième force

ElBaradei, le candidat de la première heure, qui a jeté l’éponge
L’ex-chef de l’Agence internationale de l’énergie atomique, Mohamed ElBaradei, a renoncé en janvier à sa candidature, estimant que le régime Moubarak était toujours en place malgré son renversement. Il reste toutefois l’une des figures les plus en vue de la mouvance libérale et laïque, largement battue aux législatives.

ElBaradei vient d’annoncer la création d’un parti, provisoirement baptisé « Parti de la révolution », un parti « centriste, civil et révolutionnaire » (sic). Le prix Nobel de la paix 2005, est l’un des principaux fondateurs du parti, au nombre d’une centaine, parmi lesquels figurent également l’écrivain Alaa al-Aswany, l’opposant George Ishaq ainsi que les militantes Gamila Ismaïl et Esraa Abdel Fattah.

Ayman Nour, opposant libéral, a été disqualifié, samedi, en vertu de la loi qui impose six ans de délai après la fin d’une peine ou la date d’une grâce, bien que le pouvoir militaire ait décidé quelques jours auparavant de lui rendre ses droits politiques.

Catherine Gouëset , L’Express

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