Benjamin Netanyahou et Donald Trump. " Ce n'est pas avec des déclarations à l'emporte-pièce qu'on construit la paix au Proche-Orient ", estime David Meyer. © MUSA AL SHAER/BELGAIMAGE

« Jérusalem n’a pas besoin d’être la capitale d’Israël »

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

L’endroit le plus saint au monde pour les croyants des trois religions monothéistes reste un lieu d’affrontement. Quelles solutions ? Les pistes de David Meyer, rabbin libéral franco-israélien.

Après la reconnaissance par Donald Trump de Jérusalem comme capitale d’Israël, vous avez craint un nouveau cycle de violence au Proche-Orient. Il y a eu, certes, de l’émoi dans le monde arabe, mais la tension est vite retombée. Ne constate-t-on pas surtout de la résignation ?

Ce n’est pas avec des déclarations à l’emporte-pièce qu’on construit la paix au Proche-Orient, région potentiellement inflammable. La décision de reconnaître officiellement Jérusalem comme capitale d’Israël conforte la relation idolâtre d’Israël et du judaïsme à la terre. Le pays n’est déjà que trop miné par une idéologie nationaliste aux relents de religiosité. Trump ne sera, heureusement, pas éternellement à la Maison-Blanche. Seuls les Etats-Unis, dont Israël dépend financièrement et militairement, ont la capacité d’imposer un compromis entre l’Etat hébreu et les Palestiniens.

Depuis 1980, Jérusalem est la  » capitale éternelle et indivisible  » d’Israël. Comment imaginer que les dirigeants israéliens renoncent un jour à ce statut inscrit dans la Loi fondamentale, et qui assoit la légitimité de l’Etat juif ?

© SDP

La sainteté de Jérusalem n’a pas à être confondue avec une obligation de souveraineté. Nul ne conteste que Jérusalem est la ville sainte par excellence pour les croyants des trois religions monothéistes. L’Unesco a fait preuve d’une grande bêtise en adoptant, en octobre 2016, une résolution palestinienne qui nie tout lien entre les juifs et le mont du Temple, et lie le site sacré aux seuls musulmans. Les juifs évoquent dans leurs prières Jérusalem, cité dont le roi David a fait sa capitale il y a quelque trois mille ans. Pour autant, la ville n’a pas besoin d’être la capitale d’Israël pour garder, aux yeux du peuple juif, toute sa signification religieuse, identitaire et mémorielle. Je pense même qu’un abandon volontaire de souveraineté restituerait à Jérusalem tout son potentiel de sainteté.De même, il n’est pas nécessaire que Jérusalem soit la capitale de la Palestine pour qu’elle continue à représenter l’aboutissement de la spiritualité musulmane. Elle sera toujours l’une des trois villes saintes de l’islam, avec Médine et La Mecque.

Quel regard le rabbin libéral que vous êtes porte-t-il sur l’occupation de territoires arabes et la poursuite de la colonisation juive ?

Cette occupation pollue Israël et affecte le comportement éthique de ceux qui habitent le pays. Je ne suis pas le premier juif à l’affirmer. Le biochimiste et philosophe Yeshayahou Leibowitz disait déjà que l’occupation détruit la moralité du conquérant. Son franc-parler sur la politique de l’Etat hébreu lui a valu des inimitiés religieuses et autres en Israël. C’est sur une vision idéalisée du passé que repose la politique israélienne de domination d’un autre peuple par la force. Israël et le judaïsme entretiennent le culte de l’objet étatique, devenu un veau d’or. Contre cette dérive, j’appelle à  » rabbiniser  » Israël, donc à refuser d’idolâtrer l’Etat, tout comme les rabbins étaient parvenus à interpréter la Torah sans qu’elle devienne un objet d’idolâtrie. Plus largement, la diplomatie internationale aurait tout intérêt à se nourrir d’une épaisseur spirituelle. Le souci de  » réparer le monde  » est inscrit dans le judaïsme, tout comme la  » miséricorde  » traverse le Coran et la notion de  » réconciliation  » imprègne le christianisme.

Qu’est-ce qui peut faire évoluer les mentalités ?

Dans la communauté juive, chacun sait, même si personne n’ose se l’avouer, que les tendances démographiques actuelles ne permettront pas de conserver un semblant de démocratie et d’égalité en Israël si les dirigeants israéliens restent obsédés par l’idée du maintien d’une majorité juive. La mainmise d’Israël sur Jérusalem et les territoires arabes ne peut se faire qu’au prix d’une politique d’apartheid. Utiliser un mot aussi dur peut choquer, car il renvoie à l’histoire sombre de l’Afrique du Sud. Il correspond pourtant à la réalité vécue par les Arabes d’Israël : ils n’ont pas les mêmes droits que les juifs, ils subissent une ségrégation.

La Belgique n’a-t-elle pas, elle aussi, des communautés très différentes ?

L’expansion continue des colonies de peuplement juives en Palestine et la décision de Donald Trump de transférer l’ambassade américaine à Jérusalem ne sont-elles pas les signes que la partie est terminée, qu’Israël a gagné ?

La crise au Proche-Orient n’est pas un match de football. Israël ne gagnera la partie que si les Palestiniens la gagnent aussi. L’histoire n’est pas complètement écrite. La démographie, je l’ai dit, est un élément clé de l’avenir de la région. Que les Israéliens le veuillent ou non, deux solutions vont se présenter à eux : soit ils se retranchent derrière les frontières d’un Etat plus réduit, où ils resteront majoritaires ; soit ils acceptent, avec audace, la création d’un Etat binational, dont la forme reste à déterminer. Les instances internationales défendent toujours l’idée de la création de deux Etats, Israël et la Palestine, et du partage de Jérusalem. Mais qui peut croire encore à la réalisation de ce plan, alors que les progrès de la colonisation juive autour de Jérusalem rendent désormais impossible tout projet de partage de la ville sainte ? Le philosophe austro-israélien Martin Buber s’était déjà fait l’apôtre d’un Etat démocratique judéo-arabe. L’idée reste utopiste, mais le temps, qui nous éloigne de la Shoah, pourrait nous amener, nous les juifs israéliens, à accepter d’idée d’un Etat binational dans lequel les juifs ne seraient pas majoritaires.

Pensez-vous vraiment qu’un Etat binational arabo-juif puisse fonctionner, avec des communautés si différentes, qui ont des relations si tendues ?

La Belgique n’a-t-elle pas, elle aussi, des communautés très différentes ? Sans grand amour entre francophones et Flamands, il y a un  » minimum commun  » qui donne une identité au pays et lui permet de fonctionner, même si ce fonctionnement reste fragile et incertain. Concevoir un Etat fédéral pour les Israéliens et les Palestiniens est sans doute plus compliqué encore, mais la question est de savoir si on se donne les moyens d’une créativité qui permet le vivre-ensemble. L’essence de la Torah, c’est l’affirmation selon laquelle  » tu aimeras ton prochain comme toi-même « . Je dirais, pour la paraphraser :  » Tu peux vivre avec ton voisin, même sans l’aimer.  » A ceux qui me disent que la création d’une fédération arabophone-hébréophone n’est pas réaliste, je réponds qu’il est utile de réfléchir hors des cadres habituels de la politique et de la diplomatie. C’est d’autant plus utile que le dialogue israélo-palestinien est dans l’impasse et que l’horizon ne cesse de s’obscurcir. A cet égard, l’Europe peut servir de modèle : elle a réussi à inverser la violence et la haine dans une vision politique d’un avenir commun.

Pourquoi cette idée d’un Etat binational reste-t-elle encore taboue dans la communauté juive européenne ?

Elle a tendance à s’aligner, par principe, sur les positions du gouvernement israélien. De manière générale, le judaïsme se met trop souvent sous la tutelle du monde politique. Ainsi, des juifs se disent  » pour la paix  » parce que le Parti travailliste défend cette position. Je suis fatigué d’entendre, dans la bouche de Benjamin Netanyahou, des partis et des rabbins, des discours sur la paix qui ne sont que des incantations. Il est trop facile de parler de la paix sans  » faire  » la paix ! Or, faire la paix est un processus complexe, aux méandres surprenants, souvent éloignés de la vérité et de la justice. Moïse était incapable de faire la paix, car il se contentait d’asséner sa vérité. En revanche, son frère aîné Aaron, lui, n’a cessé de rechercher la paix : il allait voir un camp, puis l’autre, et faisait croire à chacun que l’adversaire souhaitait le dialogue ! Cette dynamique me semble plus efficace que la réaffirmation de vérités blessantes.

A lire : Europe et Israël : deux destins inaccomplis. Regards croisés entre un rabbin et un diplomate, par David Meyer et Bernard Philippe, éd. Lessius, 150 p. Le rabbin David Meyer enseigne à l’Université pontificale grégorienne de Rome.

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