L'historienne et anthropologue franco-vénézuélienne Elizabeth Burgos est l'une des meilleures expertes des gauches latino-américaines. © D. BALICKI

« Je parierais qu’un jour il y aura une Trump Tower à La Havane. »

Le Vif

Spécialiste du castrisme, l’historienne Elizabeth Burgos a vécu, avec Régis Debray, les débuts de la révolution dans l’entourage proche du Lider maximo. Avant de rompre avec le régime.

Comment jugez-vous les réactions à la mort de Castro ?

La puérilité de nombreux commentaires m’étonne. Des gens qui ont été ministre des Affaires étrangères disent :  » Ce sont les Américains qui, par maladresse, ont poussé Castro dans les bras des Soviétiques.  » Mais Castro était antiaméricain avant cela. Sa correspondance et ses discours attestent qu’il se sentait investi d’une mission : parachever l’indépendance de Cuba, restée selon lui incomplète en 1898, en raison de l’intervention des marines américains dans la guerre menée par les indépendantistes contre l’Espagne. L’autre jour, j’ai aussi entendu un ambassadeur de France à La Havane, de 2010 à 2015, nier l’existence de répression et de prisonniers politiques ! Quant à un ex-ministre socialiste très médiatique, il a parlé de Castro comme d’un  » héros de la liberté « . L’on peut dire beaucoup de choses de Castro, qu’il était génial, habile, rusé, etc., mais pas une telle chose.

Et la déclaration de Donald Trump ?

C’est le seul à avoir parlé de la souffrance des Cubains. Or, c’est bien le sujet : tous ces gens jetés en prison, ces familles séparées par l’exil, ces parents qui ont abandonné leurs bébés à Cuba pour tenter leur chance à Miami…

Castro passe pour s’être levé face aux dictatures dès 1959…

A l’époque, les régimes dictatoriaux se concentraient dans les Caraïbes (République dominicaine, Haïti) et dans les républiques bananières d’Amérique centrale, notamment au Nicaragua. En Amérique du Sud, en revanche, c’était le contraire. L’Argentine, le Chili, le Brésil, l’Uruguay, la Colombie étaient des démocraties. Au Venezuela, une révolution démocratique avait cours depuis 1958. La première initiative de Fidel fut de déstabiliser ce pays en finançant la guérilla. Dans une large mesure, les coups d’Etat militaires du continent sont une réaction face aux mouvements de guérilla pilotés en sous-main par Fidel, afin d’impliquer l’Amérique latine dans la dynamique de la guerre froide.

Quel avenir pour Cuba sans Fidel ?

Barack Obama a eu l’intelligence de comprendre que la solution au problème était biologique. Lorsque Raul disparaîtra à son tour, une nouvelle ère s’ouvrira. Les rejetons de l’élite castriste, d’un pragmatisme à toute épreuve, s’entendront avec les capitalistes cubano-américains, qui sont leurs cousins. Les Cubains de l’exil apporteront leurs capitaux et les castristes, leurs carnets d’adresses – en Amérique latine, en Afrique ou en Asie, car ils sont infiltrés partout. Le destin de Cuba sera celui d’une grande puissance. L’île va devenir le centre du dialogue Etats-Unis – Amérique latine. Et Trump est l’homme de la situation idéal. Avec eux, il saura négocier des deals commerciaux. Je parierais qu’un jour il y aura une Trump Tower à La Havane.

Un souvenir personnel avec Castro ?

Ce qui m’a frappée en premier, c’est son charme. C’était un énorme séducteur, conscient de son charisme. Je n’ai jamais vu personne résister à son ensorcellement. Il était capable de jouer l’enfant, le confident, le grand frère, l’ami intime et de vous faire croire que vous étiez sur un pied d’égalité. Ce qui le définissait, c’était l’art de la manipulation permanente, l’art de la tactique politique et l’art de la mise en scène de son rôle dans l’histoire.

Entretien : Axel Gyldén

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