L’attribution des Jeux asiatiques d’hiver à la future ville Neom, en Arabie saoudite, est une nouvelle illustration de la force du lobbying de Riyad. © belga image

«Il est plus facile d’utiliser la diplomatie des droits de l’homme contre l’Iran que contre l’Arabie saoudite »

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

La dépendance de l’ Arabie saoudite aux garanties de sécurité américaines devrait empêcher une rupture définitive avec Washington malgré les tensions actuelles, estime l’expert Pierre Conesa. Et les deux pays ont un ennemi commun, l’Iran. D’où un discours à géométrie variable en matière de droits humains.

Ancien haut fonctionnaire au ministère français de la Défense, essayiste, auteur notamment de Le Lobby saoudien en France. Comment vendre un pays invendable (Denoël, 2021), Pierre Conesa décrypte l’évolution de la politique de l’ Arabie saoudite.

L’ entente avec la Russie sur le pétrole est-elle un camouflet pour les Etats-Unis?

C’est effectivement un camouflet pour les Etats-Unis. Mais il faut prendre en compte les relations entre les deux pays sur le moyen terme. Rappelez-vous: Donald Trump se fait élire avec un discours très antisaoudien, en expliquant notamment que l’administration démocrate n’a rien fait contre Riyad après le 11-Septembre (NDLR: dont quatorze des 19 auteurs étaient originaires). Or, il effectue son premier voyage officiel à l’étranger en Arabie saoudite. C’est toute l’ambiguïté des rapports qu’entretiennent les Etats-Unis avec ce pays. Pour l’opinion intérieure, on dénonce un régime responsable du terrorisme. Mais sur le plan extérieur, on continue à entretenir les meilleures relations du monde. Indépendamment de la production énergétique, l’ Arabie saoudite est un très gros client de l’industrie de l’armement. Et dans l’entendement saoudien, le véritable ennemi, c’est l’Iran. Il n’y a pas d’autre enjeu plus stratégique que celui-là. Tant que les Américains diaboliseront l’Iran et tant qu’ils seront la garantie de sécurité de l’ Arabie saoudite, on n’ira jamais très loin dans la fâcherie.

George W. Bush a fait 100 000 morts en Irak. Vladimir Poutine est encore très loin de ce score en Ukraine.

L’interdépendance à propos de l’armement rend-elle la coopération entre les deux pays quasi inébranlable?

Cette situation d’hypocrisie vaut pour tous les grands producteurs d’armements. Elle implique que même si vous reprochez à l’ Arabie saoudite d’avoir découpé en morceaux Jamal Khashoggi, vous ne dites rien sur la guerre qu’elle mène au Yémen. Le côté horrible du démembrement de Khashoggi a obligé les Américains et les Européens à prendre leur distance avec l’ Arabie saoudite. Mais pas au point de remettre en question leurs relations industrielles, économiques, commerciales… Le désaccord sur la production pétrolière contribuera à une hausse des prix du pétrole. Et ce sont les Européens qui paieront.

La réhabilitation de Mohammed Ben Salmane (MBS) est-elle dictée par le contexte énergétique?

Oui. La démocratie des droits de l’homme est un couteau suisse. Vous sortez la lame que vous voulez. Ceux qui veulent faire comparaître Vladimir Poutine devant la Cour pénale internationale pour son agression de l’Ukraine devraient se rappeler que George W. Bush est toujours dans la salle d’attente. Le président américain a fait 100 000 morts en Irak. Vladimir Poutine est encore très loin de ce score. Les mêmes prétendent que ce n’est pas pareil. C’est exactement pareil. La diplomatie des droits de l’homme est une façon de développer au bon moment l’argumentaire qui est destiné à telle entité mais surtout pas à telle autre. On l’utilise plus facilement contre l’Iran que contre l’ Arabie saoudite. On n’aura jamais à l’égard de Riyad des communiqués aussi violents que ceux qui ont été rédigés à l’égard des mollahs en Iran après la mort de Mahsa Amini.

L’ attribution des Jeux asiatiques d’hiver de 2029 à Neom, projet phare de MBS, témoigne-t-elle de la force du lobbying de l’ Arabie saoudite?

C’est totalement scandaleux. Il s’agit d’une histoire de gros sous qui n’a rien à voir avec l’esprit sportif. Neom participe de la politique de lobbying de l’Arabie saoudite. Les Saoudiens, avec l’aide des grandes compagnies de relations publiques internationales, ont ciblé trois groupes sociologiques différents pour que l’ Arabie saoudite passe à travers les gouttes de la critique, les décideurs politiques, les hommes d’affaires et l’élite des communautés musulmanes à l’étranger. Au bout du compte, la politique de communication de l’ Arabie saoudite est un formidable succès. Les critiques envers ce pays sont toujours contenues. Le plus gros opérateur en matière de communication pour l’Arabie saoudite est le groupe Publicis, dont 30% est la propriété d’Elisabeth Badinter. Bien évidemment, elle défend les femmes iraniennes. Jamais les femmes saoudiennes. Elle a affirmé qu’elle n’irait jamais en Arabie saoudite parce qu’elle refuserait de porter l’abaya. Elle n’a jamais conseillé à Publicis de refuser les clients saoudiens.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire