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Hong Kong : publier sur les réseaux pourra être considéré comme un crime

Marie Gathon
Marie Gathon Journaliste Levif.be

On en sait désormais plus sur la « loi sur la sécurité nationale » promulguée début de semaine par la Chine en l’encontre d’Hong Kong. Explications.

Ce mardi, la Chine a promulgué une loi sur « la sécurité nationale » à Hong Kong, qui confère au régime communiste des pouvoirs judiciaires sans précédent. Comprenant six chapitres de 66 articles, cette loi punit quatre crimes : la sécession, la subversion, le terrorisme et la collusion avec l’étranger. Ces « crimes » pourront conduire à des peines allant de 10 ans de prison à la perpétuité.

Cette loi est une réponse du parti communiste chinois aux protestations des Hongkongais contre le projet de loi sur l’extradition. Le but est donc d’imposer l’ordre sur ce territoire semi-autonome qu’est l’île-mégapole de Hong Kong.

En réponse, le Royaume-Uni a déjà annoncé faciliter l’accès à la citoyenneté britannique pour une partie des habitants de son ancienne colonie. Le Premier ministre britannique Boris Johnson honore ainsi sa promesse à la population de ce territoire rétrocédé en 1997 à la Chine après l’adoption par celle-ci d’une loi qui selon Londres et la plupart des pays occidentaux viole l’autonomie de Hong Kong.

Les Hongkongais ont réagi avec colère à la promulgation de cette loi. En 24 heures, 180 personnes ont déjà été arrêtées en marge de manifestations.

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Quel est le contenu de la loi ?

Selon Marc Julienne, chercheur au Centre Asie de l’Institut français des relations internationales (Ifri) et responsable des activités Chine, interrogé par l’Obs, la « loi sur la sécurité nationale » limite fortement les libertés politiques : liberté d’expression, de manifestation et de contestation.

« Certains sujets vont devenir tellement sensibles que le simple fait d’émettre une opinion va devenir un crime passible de peines allant jusqu’à la perpétuité », explique-t-il. Dans les faits, toute remise en cause de l’autorité de Pékin pourra être considérée comme un crime. « On peut donc se demander si les candidats démocrates seront en mesure de se présenter aux élections législatives début septembre, ou bien s’ils seront mis à l’écart ou arrêtés », ajoute le chercheur.

Avec cette loi, Pékin va beaucoup plus loin que ce qu’il voulait faire avec la loi sur l’extradition. Selon le chercheur, Pékin n’essaie même pas ici de cacher ses intentions dans une loi alambiquée qui pourra faire l’objet de diverses interprétations. Le message est très clair, selon lui, reprendre le pouvoir.

Abolition de l’autonomie de Hong Kong

Selon Marc Julienne, cette loi abolit totalement l’autonomie d’Hong Kong. « Il signe la fin de l’équilibre des pouvoirs judiciaire, législatif et exécutif, inscrit dans la « Basic Law », la Constitution de Hong Kong », dit-il. L’article 48 de la « loi sur la sécurité nationale » met en place de nouvelles institutions sur le territoire hongkongais, dirigées par le pouvoir central à Pékin. La constitution hongkongaise passe donc au second plan.

Avec cette loi, la Chine montre qu’elle n’a pas peur de dégrader son image à l’international ni de transgresser les lois internationales et locales.

L’enjeu aujourd’hui est de voir comment cette loi va être mise en oeuvre, selon Marc Julienne. « Le pire scénario serait que dans les deux mois qui viennent, le régime décide d’interdire les associations et les partis prodémocrates, voire d’enfermer toutes les personnes qui auraient publié des messages prodémocratie sur les réseaux sociaux, afin de faire pression sur le camp démocrate et de l’éradiquer », dit-il.

Le grand ménage des Hongkongais sur les réseaux sociaux

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La loi de Pékin a du coup fait souffler un vent de panique chez les Hongkongais, convaincus qu’il est vital d’effacer les traces informatiques de leur engagement prodémocratie.

« J’ai changé mon nom de profil et adopté un compte privé pour que mon employeur ne puisse pas voir mes publications qu’il pourrait juger anti-chinoises ou en violation de la loi sur la sécurité nationale », explique à l’AFP un employé d’une grande entreprise dont la direction est selon lui « Pro-Pékin ».

Refusant que son identité apparaisse, il ajoute qu’il sera « très prudent » dans ses prochaines publications, de crainte d’être dénoncé par ses collègues, ou même par ses amis.

Après la promulgation de la loi, de nombreux Hongkongais ont annoncé qu’ils supprimaient leurs comptes sur Twitter, Telegram ou Signal, quand d’autres partageaient les conseils sur les meilleurs moyens de réduire les traces laissées sur internet. « Pour votre sécurité, nous effaçons tous les messages », annonçait l’administrateur d’un groupe Telegram très suivi par les prodémocraties. « S’il vous plaît, faites attention à ce que vous dites! »

Les fournisseurs de réseaux privés virtuels (VPN) ont d’ores et déjà fait état d’une hausse des ventes depuis l’annonce de la loi.

Billie, assistant de 24 ans d’un conseiller de district, précise avoir commencé à utiliser un VPN en mai, quand la Chine a annoncé son projet de loi. Il a fait le tri dans les personnes abonnées à ses comptes sur les réseaux sociaux, et supprimé ses publications « sensibles », alors même que la nouvelle loi n’est pas censée être rétroactive.

« J’ai honte et je suis gêné. Je n’ai jamais voulu faire ça, mais je m’y sens obligé. C’est une question de survie », dit-il à l’AFP en demandant aussi à ce que sa véritable identité ne soit pas dévoilée. « C’est une partie de moi qui a disparu. »

Un grand ménage pas seulement virtuel

Plusieurs restaurants « prodémocratie » ont aussi choisi de décrocher la propagande colorée qui ornait leurs salles, ces « murs de Lennon » qui étaient autant de marques de soutien à la contestation du régime chinois.

Gordon Lam, un militant prodémocratie, a confié à l’AFP qu’au moins un restaurant lui avait demandé conseil après une visite de la police qui avait indiqué que ces tracts et affiches aux murs « pourraient enfreindre la loi sur la sécurité nationale ».

« Il semble que le gouvernement utilise cette loi pour faire pression sur les entreprises jaunes », a-t-il dit, en référence à la couleur attribuée au mouvement prodémocratie, par opposition au bleu désignant les commerces favorables au pouvoir.

Le Congrès américain adopte des sanctions

Le Congrès américain a adopté une loi prévoyant de sanctionner les responsables chinois appliquant les nouvelles règles sécuritaires répressives contre Hong Kong et de cibler les banques qui les financent, un vote qui devrait provoquer le courroux de Pékin.

La loi devra encore être promulguée par le président Donald Trump pour entrer en vigueur. La Maison-Blanche n’a pas indiqué s’il comptait le faire ou mettre son veto. Pékin a menacé d’adopter de « fortes contre-mesures » si la loi était promulguée.

Cette loi a été promue et soutenue à la fois par les républicains et les démocrates, désireux de renforcer la pression sur Pékin au-delà des mesures déjà communiquées par le gouvernement américain.

Toujours au Congrès américain cette semaine, des parlementaires républicains et démocrates ont présenté une autre proposition de loi, le « Hong Kong Safe Harbor Act », qui placerait les habitants de Hong Kong dans une catégorie prioritaire pour réclamer le statut de réfugié, similaire à celle accordée aux Cubains.

Elle ouvre aussi « une voie vers l’asile politique pour les militants en première ligne, en danger immédiat », a précisé l’un des co-auteurs du texte à la Chambre, le républicain John Curtis.

Le texte appelle en outre le secrétaire d’État américain à coordonner l’accueil de « Hongkongais comme réfugiés avec les autres pays partageant la même position ».

L’un des jeunes militants les plus en vue du mouvement hongkongais pour des réformes démocratiques, Nathan Law, a justement annoncé jeudi s’être enfui de Hong Kong.

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