A la fin des années 1970, la série culte L'Homme de l'Atlantide pariait avec succès sur le pouvoir évocateur de la légende. Loin, très loin du récit antique... © Capture d'écran

Histoire parallèle: dans l’attente du retour des Atlantes

Platon, le premier, évoque le mythe de l’empire fondé par Poséidon et submergé par les flots. Quand les historiens voient là un simple conte, les amateurs d’énigmes, eux, partent explorer les fonds marins…

Un continent englouti aux richesses phénoménales…Pour certains crypto-archéologues partis à sa recherche, l’Atlantide n’aurait rien d’une légende. Bien que loufoque, cette idée a pourtant trouvé un large écho. Tout au long de l’été, Le Vif/L’Express vous invite à découvrir les extraits du livre Les Théories folles de l’histoire, à paraître en septembre. Fruit de l’imagination fertile de complotistes acharnés, ces thèses partent du même principe : la vérité est ailleurs, on nous la cache. Le credo de ces dingues ?  » Une proposition est vraie parce que rien ne prouve qu’elle est fausse.  » Si débattre avec de tels interlocuteurs semble généralement inutile, étudier leurs élucubrations est, tout compte fait, passionnant. D’abord, parce qu’elles sont fort distrayantes ! Ensuite, parce qu’elles démontrent par l’absurde la pertinence et la grandeur de la méthodologie historique. Enfin, parce que comprendre et analyser forge des armes contre les  » assassins de la mémoire « .

EXTRAITS

 » Ecoute donc, Socrate, une histoire fort étrange, mais absolument vraie, comme la racontait jadis Solon, le plus sage des sept sages.  » Ainsi commence le récit de Critias, un riche Athénien, cousin de Platon, rapporté par ce dernier dans le Timée. Un prêtre du temple de Saïs aurait fait cette étrange confidence au législateur Solon, qui voyageait alors en Egypte : neuf mille années auparavant, une puissante cité existait déjà à l’emplacement d’Athènes, tandis qu' » une île plus grande que la Libye et l’Asie  » s’étendait au-delà des Colonnes d’Héraclès, l’actuel détroit de Gibraltar :

 » De cette île on pouvait facilement passer aux autres îles, et de celles-là à tout le continent qui borde tout autour la mer intérieure […]. Dans cette île atlantide régnaient des rois d’une grande et merveilleuse puissance. Ils avaient sous leur domination l’île entière, ainsi que plusieurs autres îles et quelques parties du continent. En outre, en deçà du détroit, ils régnaient encore sur la Libye jusqu’à l’Egypte, et sur l’Europe jusqu’à la Tyrrhénie.

Dans la suite, de grands tremblements de terre et des inondations engloutirent, en un seul jour et en une nuit fatale, tout ce qu’il y avait chez vous de guerriers. L’île atlantide disparut sous la mer. Aussi depuis ce temps l’océan est-il devenu inaccessible et a-t-il cessé d’être navigable par la quantité de limon que l’île abîmée a laissé à sa place.  »

Son dialogue suivant – le Critias ou De l’Atlantide -, Platon va le consacrer à la description de cette contrée fabuleuse. Au commencement des âges, l’île échoit en partage au dieu marin Poséidon. Une immense plaine la traverse de part en part, belle et fertile, dominée par une colline de médiocre hauteur. Là vivent Evénor, sa femme Leucippe, et leur fille unique Clitô. Poséidon s’éprend de celle-ci et s’unit à elle. Ensemble, ils engendrent cinq paires de jumeaux mâles. Le premier né, Atlas, reçoit la demeure de leur mère et la suzeraineté sur ses neuf autres frères,  » en donnant à chacun d’eux un grand nombre d’hommes à gouverner et un vaste territoire « .

La dynastie issue d’Atlas régnera sur l’empire d’Atlantide durant de nombreuses générations, amassant de fabuleuses richesses. Le sous-sol fournit toutes les matières premières nécessaires, et d’abord des minerais en abondance, dont le mystérieux orichalque,  » le plus précieux, après l’or, des métaux alors connus « . Bois de charpente, pâture pour les animaux domestiques et sauvages, essences rares, fruits et légumes succulents. Grâce à leurs richesses, les habitants de l’Atlantide construisent des temples, de somptueux palais, des ports et des chantiers navals.

Pourtant, finalement enivrée par cette puissance formidable, cette  » race qui avait été vertueuse  » tourne ses regards vers la Grèce avec convoitise. Elle provoque ainsi la colère de Zeus, le maître des dieux. Là, le Critias s’interrompt brusquement, avant même que soit décrit le cataclysme qui a englouti les Atlantes et leurs vainqueurs athéniens…

Voilà en quelques phrases le résumé du mythe de l’Atlantide, sorti tout d’une pièce du cerveau de Platon. Même si le philosophe présente ses propos comme véridiques, la plupart des hellénistes et des historiens de l’Antiquité s’accordent aujourd’hui à n’y voir qu’une fiction poétique, une fable métaphorique. […]

Avec la Renaissance, les lettres classiques retrouvent leur lustre, tandis que la découverte de l’Amérique peut laisser supposer que l’on a pris pied sur l’empire océanique décrit par Platon. Ainsi le cartographe français Nicolas Sanson, dans son Amérique en plusieurs cartes nouvelles et exactes…, ouvrage publié en 1667, affirme sans ambages que  » les Grecs et les Latins ont laissé de beaux témoignages, qui nous font voir que les Anciens ont eu connaissance de l’Amérique « . […]

Théories folles de l'histoire, par Philippe Delorme. Collection Documents, L'Express/Presses de la Cité, 400 p., (parution le 22 septembre).
Théories folles de l’histoire, par Philippe Delorme. Collection Documents, L’Express/Presses de la Cité, 400 p., (parution le 22 septembre).© SDP

La Nouvelle Atlantide du penseur anglais Francis Bacon, inventée cinquante ans plus tôt dans le sillage de Thomas More et de son Utopie, était tout aussi métaphorique et philosophique que le continent imaginé par Platon, un royaume de cocagne, où règnent la paix et la concorde, caché du monde.

Quant à l’Atlantide  » historique « , fantasmée, elle va désormais dériver au fil d’un courant occultiste et ésotérique. Certains érudits continuent de tenter d’en déterminer l’emplacement exact sur le planisphère. Les uns croient trouver ses vestiges à Madère, aux Canaries, dans l’archipel du Cap-Vert ou aux Açores, les autres sur les contreforts du Caucase, au large de la Sardaigne, sur l’île de Santorin, voire dans un Antarctique encore à explorer. […]

Les progrès de la réflexion scientifique vont amener un divorce définitif entre, d’un côté, les archéologues et les historiens universitaires et, de l’autre, la cohorte bigarrée des métaphysiciens de pacotille. En 1841, Théodore-Henri Martin, professeur à la faculté de Rennes, souligne justement, dans ses Etudes sur le Timée de Platon, que  » beaucoup de savants, s’étant embarqués à la recherche de l’Atlantide avec une cargaison plus ou moins lourde d’érudition, mais sans autre boussole que leur imagination et leur caprice, ont vogué au hasard « . Ballottés par les flots tumultueux des XIXe et XXe siècles, ils seront nombreux, ces pérégrins de l’impossible, à garder le cap sur cette terre de nulle part.

A l’orée des années 1960, Louis Pauwels et Jacques Bergier introduisent en France le  » réalisme fantastique « , par le biais de leur best-seller Le Matin des magiciens. Ce courant, mêlant allégrement fiction onirique et vérité établie, enfle durant plus d’une décennie, avec la revue Planète (créée par Pauwels et Bergier) et la collection  » L’Aventure mystérieuse « , aux éditions J’ai Lu. Leur présupposé est qu’il existe un savoir ancestral, jalousement caché au commun des mortels et sans doute hérité de visiteurs extraterrestres.

Tout en affirmant ne pas tomber  » dans le piège des légendes « , nos deux auteurs se laissent emporter par une Atlantide de l’ère tertiaire, dont l’un des ports aurait été Tiahuanaco, aujourd’hui au coeur des Andes. A l’aube du XXIe siècle, le mythe des  » continents disparus  » fait encore les choux gras des  » atlantomanes « , amateurs d’énigmes impénitents, en dépit des évidences accumulées par les études stratigraphiques et les fouilles archéologiques.

Plutôt que de voir dans l’aimable conte de Platon des réminiscences d’un passé lointain, peut-être, en effet, conviendrait-il simplement d’y entendre l’écho d’un drame contemporain. En 373 avant J.-C., la ville de Hélikè, sur la côte méridionale du golfe de Corinthe, célèbre pour son grand temple dédié à Poséidon, était dévastée par un terrible raz-de- marée consécutif à un séisme :

 » Jamais dans les temps antérieurs la Grèce n’avait été exposée à de si grandes calamités, relate Diodore de Sicile. Jamais on n’avait vu des cités entières, avec toute leur population, disparaître ainsi de la surface de la terre, et l’on eût dit qu’une puissance divine avait conjuré la perte et l’anéantissement du genre humain. […] Tandis que les maisons, s’écroulaient, la population, surprise à l’improviste, au sein d’une obscurité profonde, ne put rien faire pour se sauver. Un grand nombre fut enseveli sous les ruines. L’aube venue, quelques-uns crurent pouvoir s’échapper, mais c’était pour tomber dans un danger plus terrible et plus irrémédiable encore. La mer, grossissant et soulevant ses flots à une hauteur inouïe, inondait ses rives et engloutissait à la fois les citoyens et la terre de leurs ancêtres.  »

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