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Glyphosate, c’est reparti pour 5 ans ?

Le Vif

Face à des Etats membres toujours divisés sur le glyphosate, la Commission européenne va soumettre une nouvelle proposition jeudi, visant à renouveler pour cinq ans et non plus dix ans la licence de cet herbicide controversé.

Cinq semaines. C’est le temps qu’il reste avant l’expiration de la licence actuelle, le 15 décembre. L’horloge tourne et l’exécutif européen peine à rassembler la majorité qualifiée nécessaire pour prendre une décision sur la poursuite ou non de l’utilisation du glyphosate sur le territoire de l’UE.

La Commission avait initialement prévu un vote le 25 octobre, mais après avoir sondé les membres du comité technique chargé du dossier, elle avait renoncé.

Lors d’une réunion entre experts, à Bruxelles, elle revient donc jeudi avec une nouvelle proposition, portant sur une période de cinq ans. Soit moitié moins que sa proposition originale de 10 ans mise sur la table après le feu vert de l’Agence européenne pour la sécurité des aliments (Efsa).

Le ministre français de la Transition écologique Nicolas Hulot a assuré mercredi, à la veille de la réunion, que la France, membre de poids dans le cas d’un vote à majorité qualifiée (55% des Etats membres et 65% des habitants), ne votera pas en faveur de cette nouvelle proposition.

‘Plusieurs’ Etats pour 15 ans

« Je ne crois pas que la Commission ait une majorité pour une licence de 5 ans », a avancé de son côté le ministre luxembourgeois de l’Agriculture Fernand Etgen, dans le quotidien Luxemburger Wort. Le Grand-Duché s’y opposera en tout cas.

Si le vote a lieu et qu’aucune majorité ne se dessine, un comité d’appel sera organisé. Si la même situation se reproduit, la décision reviendra alors à la Commission.

Mais le commissaire à la Santé Vytenis Andriukaitis a rejeté à plusieurs reprises l’idée d’assumer seul la responsabilité d’une telle décision, assurant qu’elle devait être « partagée » avec les Etats membres.

Les minutes de la réunion à huis clos du 25 octobre, publiées par la Commission, montrent que les opinions diffèrent énormément entre Etats membres, qui n’y sont pas désignés nommément.

Deux avaient défendu une autorisation pour 3 ans, un autre une « élimination progressive » dans les 5 ans. Mais « plusieurs » Etats membres s’étaient prononcés en faveur de 15 ans et avaient ajouté que le compromis le plus bas qu’ils pourraient accepter était de 7 ans.

Principe de précaution ?

La Commission y note également que le cadre réglementaire ne « permet pas de fixer une date de fin arrêtée pour la substance active », une entreprise gardant la possibilité de redéposer une demande d’autorisation lorsque la licence arrive à expiration.

Pressée de formuler une nouvelle opinion scientifique sur la toxicité du glyphosate après qu’il ait été classifié en 2015 comme « cancérogène probable » par le Centre international de recherche sur le cancer, un organe de l’OMS, l’Efsa a eu une conclusion inverse.

Les adversaires du glyphosate estiment eux que le principe de précaution devrait prévaloir.

Sont venues s’ajouter à la controverse les accusations d’influence exercée par le géant de l’agrochimie Monsanto sur le contenu des études scientifiques publiées.

Le principal syndicat européen d’agriculteurs, le Copa-Cogeca, a jugé en amont du vote que la proposition portant sur cinq ans était « inacceptable »: « Ni les émotions, ni la politique ne devraient régir des décisions aussi importantes », a regretté le secrétaire-général du syndicat, Pekka Pesonen.

Dans l’UE, les pesticides à base de glyphosate représentent un marché d’environ un milliard d’euros. La substance active, herbicide le plus utilisé dans l’UE, est plébiscitée par les cultivateurs pour son efficacité et son faible coût.

Un herbicide controversé massivement utilisé

Source d’inquiétudes pour ses effets sur la santé et l’environnement, le glyphosate est un herbicide massivement utilisé à travers le monde. C’est l’herbicide « le plus fréquemment utilisé, à la fois dans le monde et dans l’UE », selon la Commission européenne.

Ce désherbant « à large spectre » a été classé comme « cancérogène probable » en mars 2015 par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), agence dépendant de l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

Mais en novembre 2015, l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) a estimé « improbable » qu’il présente un danger cancérogène pour l’homme, et l’Agence européenne des produits chimiques (Echa) est allée dans le même sens en 2017.

Un nombre croissant d’organisations militent pour son interdiction. En Europe, France, Autriche, Italie et Belgique refusent qu’il soit autorisé dix autres années, la France plaidant pour une sortie du glyphosate d’ici trois ans.

Utilisation mondiale décuplée

Commercialisé depuis 1974 par Monsanto sous le nom de Roundup, son usage a explosé dans le monde à partir du milieu des années 90 quand la firme américaine s’est mise à vendre des semences génétiquement modifiées pour résister à son action.

Son utilisation mondiale a été multipliée par près de 15 entre 1994 et 2014 pour s’établir à environ 826.000 tonnes, selon un travail de l’universitaire américain Chuck Benbrook, publié en 2016 dans la revue Environmental Sciences Europe.

Le brevet détenu par Monsanto est tombé dans le domaine public en 2000. Aujourd’hui, il est produit sous des noms divers par de nombreuses firmes.

Interdit au Sri Lanka

Soupçonné de provoquer une nouvelle maladie des reins parmi les habitants des zones de production de riz, l’herbicide a été interdit au Sri Lanka en juin 2015 suite à une promesse électorale du président Maithripala Sirisena.

Mais la communauté scientifique sri-lankaise souligne l’absence d’étude associant directement le glyphosate à cette « maladie rénale chronique » et les producteurs de thé font campagne pour une levée de l’interdiction.

Au Salvador, il a fait partie d’une liste de 53 produits pour l’agriculture interdits en 2013. Mais l’interdiction a ensuite été levée pour cet herbicide et dix autres produits, tandis qu’une commission était instaurée pour en évaluer les risques.

Au Brésil, la justice a demandé en 2015 à l’Agence nationale de surveillance sanitaire (Anvisa) d’évaluer « en toute urgence » sa toxicité en vue d’une éventuelle interdiction. Celle-ci ne se prononcera pas avant 2019. Le puissant lobby agricole brésilien voit d’un mauvais oeil une éventuelle restriction.

Restrictions locales, partielles

Au Royaume-Uni, le gouvernement est favorable à la poursuite de son utilisation, mais plusieurs communes ont arrêté de l’utiliser ou le prévoient: Hammersmith et Fulham à Londres, Edimbourg en Ecosse, Brighton (sud) ou encore le comté des Cornouailles (sud-ouest).

En Italie, son usage est interdit depuis 2016 dans les zones fréquentées par la population comme les parcs, terrains de sport, aires de jeux pour enfants…

En France, son utilisation par les collectivités dans les espaces ouverts au public est interdite depuis le 1er janvier 2017.

Aux Pays-Bas, il est interdit de l’utiliser sur les revêtements et l’asphalte depuis 2016, ce qui a entraîné une réduction du taux de l’herbicide dans les eaux de surface et eaux souterraines.

Aux Etats-Unis, l’Agence de protection de l’environnement (EPA) continue de le classer comme « probablement pas cancérogène pour l’homme » et le pays en utilise plus de 125.000 tonnes par an (chiffre 2014, cité par Chuck Benbrook), mais la Californie l’a classé comme cancérogène. Certaines villes américaines bannissent l’herbicide de leurs espaces verts.

En Argentine, plus de 300 millions de litres de glyphosate sont déversés chaque année sur 28 millions d’hectares de cultures. La commune de El Bolsón en Patagonie est la seule à avoir décrété l’interdiction totale de l’herbicide et des cultures transgéniques. Certaines provinces limitent son épandage près des zones d’habitations ou prévoient de le faire.

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