Gérald Papy

Front national, la grande illusion

Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

L’illusion est trompeuse. Elle pourrait être fatale. A entendre le Premier ministre français Manuel Valls commenter les élections départementales du 22 mars, quelques mâles propos stigmatisant son programme auraient mis un coup d’arrêt à la progression du Front national et ruiné son ambition d’être le premier parti de France, sacre engrangé lors du scrutin européen, par nature plus volatil, de 2014.

Se peut-il que l’homme politique madré se berce à ce point d’illusions quand le scrutin régional conforte au contraire l’enracinement du parti d’extrême droite ? La cécité passée des socialistes sur les motivations de ces électeurs-là invite à la plus grande circonspection.

La formation de Marine Le Pen renforce ses positions dans ses bastions ouvriers du nord et du sud-est de la France. Elle poursuit son implantation dans l’ouest et dans les zones rurales. Et, rompant avec un passé récent où gestion rimait avec scandales, elle capitalise des voix dans les villes préalablement conquises lors des municipales. Bref, la montée de l’extrême droite française n’est pas circonstancielle, elle est durable. Que les forces politiques « républicaines » donnent le sentiment de ne pas en avoir pris conscience a de quoi inquiéter sur l’avenir de la France.

Lors des élections départementales, moins de 1 % des candidats du Parti socialiste étaient issus de la classe ouvrière, contre 1 % chez le leader de droite UMP et 4 % tout de même parmi les prétendants du Front national. La lente et longue dérive de la gauche caviar, surmédiatisée par les frasques d’un DSK, n’est pas le seul symptôme, loin de là, de l’abandon par les socialistes de leur base électorale historique, la classe ouvrière. En préface du livre Pourquoi les pauvres votent à droite, de Thomas Frank (éd. Agone) consacré au virage républicain du Kansas aux Etats-Unis, Serge Halimi, docteur en sciences politiques, diagnostique que la droite, y compris en Europe, a profité « de transformations sociologiques et anthropologiques, en particulier d’un affaiblissement des collectifs d’ouvriers et de militants qui a conduit nombre d’électeurs aux revenus modestes à vivre leur rapport à la politique et à la société sur un mode plus individualiste, plus calculateur ».

La montée du Front national en France n’est pas circonstancielle, elle est durable

Pourquoi les plus défavorisés votent-ils extrême droite en France ? Parce que le Front national leur apporte les réponses qu’ils attendent : un projet de droite radicale sur les questions sociétales (sécurité, immigration, vivre ensemble…) et un programme d’extrême gauche en matière économique, protectionniste contre la mondialisation et la finance internationale, nationaliste contre l’Union européenne déshumanisée et bureaucratique. C’est donc sur ces terrains au jour le jour et pas dans la dernière ligne droite d’une campagne électorale que le combat doit être mené contre l’extrême droite en démontant un à un ses arguments, son credo économique, par exemple, qui expose les pauvres à devenir plus pauvres.

OEuvre de longue haleine, cette lutte, dans l’intervalle, confronte les Français aux incertitudes du tripartisme. Une nouvelle tendance européenne que partageront, lors des législatives de mai prochain, les Britanniques (travaillistes, conservateurs et le nouveau venu Ukip de droite radicale) et, avant décembre, les Espagnols (socialistes, conservateurs et, ici, la gauche radicale de Podemos). En France, la dernière expérience de tripartisme remonte à l’immédiat après- Seconde Guerre mondiale quand le centre démocrate-chrétien, les socialistes et… les communistes se disputaient les suffrages à forces quasi égales. C’est dire si, en septante ans, la sociologie politique du peuple de France a changé et si l’accession de Marine Le Pen au second tour de le présidentielle de 2017 ne doit plus être considérée comme une chimère. Les forces « républicaines » sont prévenues…

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