Avant de faire les beaux jours de Manchester United, Park Ji-Sung avait brillé, en 2002, lors de la Coupe du monde " asiatique ". © andreas rentz/getty images

Football et politique : en Corée du Sud, le sport comme « arme » de paix pour se rapprocher du Nord

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

A travers les trente-deux pays qualifiés pour la Coupe du monde 2018, Le Vif/L’Express montre combien le sport roi et la politique sont intimement liés. Vingt et unième volet : pourquoi la Corée du Sud compte sur le sport et le football pour se rapprocher de la Corée du Nord, en dépit des crises et des missiles. Et comment Séoul a réussi le premier exploit, controversé, du football asiatique à la Coupe du monde.

Le football est un instrument de diplomatie. Dont l’impact et la popularité peuvent soulever des montagnes. C’est certainement ce que se dit le président sud-coréen Moon Jae-in, le 12 juin 2017, un peu plus d’un mois après son arrivée au pouvoir.  » Pourquoi les pays d’Asie du Sud-Est, incluant la Corée du Sud et la Corée du Nord, ne déposeraient-t-ils pas une candidature commune pour la Coupe du monde de football 2030 « , suggère-t-il. Une proposition saugrenue ? Pas forcément.

La trêve olympique

Cette déclaration publique du président sud-coréen surprend pourtant tout le monde car l’heure est aux tensions exacerbées par les démonstrations de force de son homologue nord-coréen, Kim Jong-un. Le bras de fer entre ce dernier et le nouveau président américain, Donald Trump, est d’ailleurs explosif. On évoque le risque d’une nouvelle guerre, nucléaire, dont la perspective croît au rythme des tirs de missiles lancés par  » Rocket Man « , comme Donald Trump surnomme le dictateur. Toute tentative audacieuse de tourner enfin la page du dernier conflit  » chaud  » de la guerre froide, le plus sanglant, qui a déchiré la péninsule entre 1950 et 1953, apparaît absolument irréaliste. Alors, une Coupe du monde conjointe…

Mais pourquoi pas, après tout, forcer le destin ? L’heure est aux candidatures plurielles pour les grandes compétitions sportives, histoire de transcender les frontières, de surmonter les différences et, « accessoirement », de réaliser des économies d’échelle. Ce fut le cas pour l’organisation de l’Euro entre la Belgique et les Pays-Bas en 2000 et, plus significativement, entre l’Ukraine et la Pologne, deux pays fracturés par l’histoire, en 2012. Pour ne pas parler de l’Euro transcontinental organisé dans treize villes – mais pas Bruxelles, finalement… – en 2020. La Corée du Sud s’est, elle, mariée au Japon, allié mais ancien colonisateur, pour organiser le Mondial 2002 – non sans succès… Une candidature commune émane des Etats-Unis, du Canada et du Mexique pour le Mondial 2026, malgré la construction du mur à la frontière mexicaine promise par Donald Trump. Argentine, Uruguay et Paraguay visent, ensemble, le Mondial 2030, un siècle après la première édition uruguayenne. Alors, oui, le rêve d’une compétition organisée conjointement par les deux Corées prend tout son sens…

Début 2018, ce rêve de retrouvailles connaît d’ailleurs un début de concrétisation lors des Jeux olympiques d’hiver organisés à PyeongChang, en Corée du Sud. Le 9 janvier, dans le petit  » village de la trêve  » de Panmunjom, une rencontre diplomatique de haut niveau est organisée, la première depuis 2015, pour permettre la participation des athlètes de Corée du Nord. Un mois plus tard, les deux Corées défilent ensemble lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux, en présence de la soeur de Kim Jong-un. Une équipe coréenne unifiée de hockey sur glace participe même à la compétition, sans briller parce que les joueurs… éprouvent des difficultés de communication verbale, car leur coréen a évolué séparément. Qu’importe, le symbole émeut le monde entier.

Le football, dépassé pour l’occasion ? Loin s’en faut. Ce mariage olympique des Corées a été imaginé en marge d’une rencontre de ballon rond, fin 2017, lors de la Coupe d’Asie de l’Est au Japon. Les joueurs nord-coréens bénéficient d’un visa spécial pour se rendre dans ce pays qui leur est fermé.  » Une opportunité de montrer que la politique n’a pas sa place dans le sport « , selon le président de la fédération japonaise. A moins que ce ne soit le contraire… Pour l’occasion, les Sud-Coréens battent leurs voisins du Nord, un but à zéro.

En marge des Jeux olympiques d'hiver, Kim Yo-jong, soeur de Kim Jong-un, rencontre le président de la Corée du Sud.
En marge des Jeux olympiques d’hiver, Kim Yo-jong, soeur de Kim Jong-un, rencontre le président de la Corée du Sud.© Kim Ju-sung/isopix

Le Mondial des rêves

Cet été 2018, en Russie, la Corée du Sud participera à sa dixième phase finale de Coupe du monde. Un record pour le continent. Et ce n’est pas une surprise, tant le  » Tigre d’Asie  » domine ses pairs depuis des décennies. Le football y est considéré comme une vitrine de la force politique et de la puissance économique du pays. C’est en mettant tout le poids de Hyundai dans la bataille que le Sud a rejoint le Japon pour l’organisation du Mondial 2002, après avoir déposé sa candidature trois ans après lui. Comme l’amorce d’un rêve. Car la Corée vit, cette année-là, un couronnement.

Pourtant, les Tigres asiatiques ne cultivent guère d’espoir à l’entame de leur tournoi. Ils s’attendent même à y faire de la figuration. Leur sélectionneur, le nééerlandais Guus Hiddink, est décrié, jugé absent et peu conquérant. Et même s’ils dominent le continent, les Sud-Coréens n’ont jamais remporté un match en phase finale. La malédiction est pourtant brisée d’emblée : 2-0 face à la Pologne. Après un match nul 1-1 face aux Etats-Unis, les Coréens se paient le luxe de battre le Portugal grâce à un but du jeune prodige Park Ji-sung, qui fera bientôt les beaux jours de Manchester United. C’est un rêve éveillé, dont les hôtes ne sont pas prêts de voir la fin.

En huitièmes de finale, les Coréens terrassent l’Italie dans les prolongations 2-1 grâce à un but en or, à l’issue d’un thriller qui fera jaser. L’arbitre équatorien Byron Moreno est accusé d’avoir annulé deux buts italiens, dont un injustement, et d’avoir attribué une carte rouge douteuse à Francesco Totti. Comble de l’ironie, le buteur, Ahn Jung-hwan, joue alors à Pérouse, en Italie, et est rapidement prié d’aller voir ailleurs. En quarts de finale, rebelote contre l’Espagne : deux buts des adversaires annulés, dont un qui aurait été décisif dans les prolongations, et une victoire aux pénalties. La Corée du Sud échoue en demi-finale contre l’ogre allemand (0-1), mais elle a réussi un exploit. Qui reste controversé. Treize ans plus tard, dans le cadre de l’enquête américaine sur la Fifa, l’ancien vice-président Jack Warner est accusé d’avoir participé au trucage des deux rencontres.

La fierté coréenne aurait-elle été nourrie par des intérêts supérieurs ? A moins que la volonté des autorités du foot mondial n’ait voulu marquer un grand coup ? Tirant les leçons de ce Mondial asiatique, le magazine So Foot écrit :  » Et si, en réalité, ce Mondial, le premier du nouveau millénaire, avait été plus déstabilisant que décevant ? Disputé quelques années seulement après l’arrêt Bosman (qui a libéralisé le marché des transferts), il porte les fruits du football mondialisé d’aujourd’hui avec une sélection asiatique demi-finaliste (la Corée du Sud), un Américain sacré meilleur jeune du tournoi (Landon Donovan), une équipe africaine sensation de la phase de poules (le Sénégal), la présence inédite de la Chine, la Turquie deuxième nation européenne… C’est un bouleversement hiérarchique mondial qui a eu lieu lors de ce tournoi.  » Oui, le football peut révolutionner la planète.

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