Sadio Mané emmène une nouvelle génération de joueurs talentueux. © ANTHONY DIBON/BELGAIMAGE

Football et politique: au Sénégal, la fierté des Lions

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

A travers les trente-deux qualifiés pour la Coupe du monde 2018, Le Vif/L’Express montre combien le sport roi et la politique sont intimement liés. Vingt-deuxième volet : pourquoi le rêve présidentiel de l’ancienne star El-Hadji Diouf, au Sénégal, montre combien la prise du pouvoir par le football en Afrique est irrationnelle. Et comment ce pays espère revivre le rêve éveillé de 2002.

George Weah est un guide pour l’Afrique. L’ancien joueur de Monaco, du PSG et de l’AC Milan avait déjà ouvert le chemin de la gloire pour de nombreux jeunes du continent en décrochant le Ballon d’or 1995, l’année où l’arrêt Bosman a ouvert les portes du football européen en libéralisant le marché des transferts. Depuis le début de cette année 2018, Weah démontre, en outre, que le sport n’est pas une fin en soi : le voilà président du Liberia, un pays qui cherche toujours à relever la tête après des années de guerre civile. Le chef d’Etat a placé la barre très haut en promettant de mener un combat sans merci contre la corruption et la pauvreté.

Au Sénégal, ce modèle fait des émules. Fin 2017, l’ancienne star El-Hadji Diouf a, lui aussi, déclaré son intention de se lancer en politique.  » Je veux contribuer à changer mon pays « , plaide celui qui a, notamment, porté les couleurs de Liverpool. A 37 ans, il vient de créer un mouvement baptisé  » La Force citoyenne « . Son objectif n’est autre que… de soutenir l’actuel président Macky Sall, élu en 2012. Dans un premier temps, du moins. Candidat à un deuxième mandat lors des prochaines présidentielles prévues début 2019, Sall a fait le vide autour de lui, façon Poutine – la plupart de ses opposants sont confrontés à des démêlés judiciaires.  » Il fait un travail exceptionnel « , clame El-Hadji Diouf.  » Mais il ne peut pas tout faire, il a besoin de voix écoutées comme la mienne. Je suis prêt à l’aider.  »

El Hadji Diouf, tête brûlée du football sénégalais, a déclaré son intention de se lancer en politique.
El Hadji Diouf, tête brûlée du football sénégalais, a déclaré son intention de se lancer en politique.© EAMONN AND JAMES CLARKE/REPORTERS

Le bad boy adoré de 2002

La star ne compte pas devenir membre de l’Alliance pour la République, le parti présidentiel. El-Hadji Diouf veut créer un vaste mouvement populaire, promet d’être  » la voix des sans voix  » et n’exclut pas de briguer la présidence, un jour…. En attendant, il se donne pour mission d’attirer des investisseurs internationaux afin de créer des opportunités pour la jeunesse sénégalaise. Le chômage des jeunes diplômés reste l’un des défis majeurs de ce pays d’Afrique de l’Ouest. Qui compte aujourd’hui encore sept millions de pauvres, soit la moitié de sa population, malgré une croissance annuelle autour de 7 %.

Diouf président, lui le bad boy des terrains ? A vrai dire, la perspective fait plutôt sourire ceux qui ont suivi ses frasques au fil des années 2000. Et qui voient surtout en lui un mythomane peu mature. Par le passé, le joueur a été accusé de violences, d’attaques racistes ou de propos peu amènes à l’encontre de Steven Gerrard, icône de Liverpool.  » J’étais un mauvais perdant, reconnaît-il. Mais j’ai changé. Avant, tout tournait autour du football. Maintenant, j’ai une famille. Et le peuple sénégalais sait que je suis quelqu’un de bien.  »

S’il est devenu un mythe dans son pays, El-Hadji Diouf le doit à la première participation du Sénégal à une Coupe du monde, en 2002, lors de l’édition organisée conjointement par le Japon et la Corée du Sud. Le tirage au sort lui réserve un fameux hors-d’oeuvre : le match d’ouverture face aux champions du monde en titre français, rien de moins. Durant la première demi-heure, le numéro 11 des Lions se démène comme un beau diable, multiplie les appels de balle à la limite du hors-jeu et les duels face au solide défenseur français Frank Leboeuf. Un feu follet. Et à la 29e minute, il déborde sur la gauche, adresse un centre millimétré à son copain Bouba Diop. 1-0. Le Sénégal crée la première sensation du tournoi.

Et ce n’est qu’un début. Des matchs nuls contre le Danemark et l’Uruguay permettent au promu africain de se qualifier pour les huitièmes de finale. Victoire 2-1 contre la Suède. En quarts, prenant peu à peu la mesure de leur exploit et tétanisés par la perspective d’être la première équipe africaine à atteindre les demi-finales, les Sénégalais ne parviennent pas à déverrouiller le match face à la Turquie. Ils sont éliminés par un goal en or à la 93e minute.  » Nous avons placé le Sénégal sur la carte du monde « , fanfaronne néanmoins El-Hadji Diouf.

Des émeutes, puis le réveil…

Le Sénégal ne confirme pas son statut dans les années qui suivent. Fidèle à sa réputation de mauvais perdant, El-Hadji Diouf se retire à plusieurs reprises de la sélection, tant les prestations sont décevantes. La génération 2002 tire finalement sa révérence dans le chaos, après l’échec du Sénégal à se qualifier pour la Coupe du monde 2010 en Afrique du Sud. Symboliquement, le rendez-vous est important : c’est le premier tournoi mondial de cette envergure organisé sur le continent africain. Mais les choix du sélectionneur sénégalais sont critiqués et le dernier match, décisif, se conclut par un piètre match nul 1-1 face à la Gambie, le 11 octobre 2008. Rideau : le Sénégal n’en sera pas. Des émeutes éclatent à Dakar. Elle font écho aux nombreuses manifestations dénonçant l’augmentation du coût de la vie. Les supporters sénégalais galèrent au quotidien. Alors, si même les Lions ne les font plus rêver…

Les protagonistes de 2002 leur doivent une revanche. Et ce ne sont pas les promesses mégalomanes d’El-Hadji Diouf qui vont la leur offrir. Pas encore… Le personnage qui réveille les rêves est plus modeste, moins sulfureux, plus efficace aussi. Aliou Cissé, milieu défensif et capitaine de l’équipe qui avait atteint les quarts de finale, devient entraîneur des Lions en 2015. Avec trois autres  » anciens « , Tony Silva, Omar Daf et Lamine Diatta, il prend le temps de construire une nouvelle génération. Qui s’exprime au niveau international : elle est emmenée par l’attaquant de Liverpool, Sadio Mané, et compte des joueurs de West Ham, de Naples, d’Everton…  » Nous leur rappelons sans cesse l’importance de jouer pour leur pays « , martèlent les sages.  » Parce qu’une défaite de l’équipe nationale est toujours vécue comme un drame par la population.  »

Le Sénégal peut toutefois remercier les dieux du football : il doit sa qualification pour la Russie à une décision inédite prise par la Fifa. Le 12 novembre 2016, le Sénégal perd 2-1 en Afrique du Sud au début de sa campagne qualificative. Mais un penalty a été accordé aux Sud-Africains pour une main imaginaire du défenseur sénégalais Kalidou Koulibaly dans la surface de réparation. La Fifa décide de faire rejouer le match et bannit à vie l’arbitre ghannéen accusé d’avoir voulu manipulé la partie. C’est l’expression d’un autre mal récurrent sur le continent africain : la corruption. Lors du replay, un an plus tard, le Sénégal l’emporte 0-2. Et trace la route de sa revanche sportive.  » Nous n’irons pas à la Coupe du monde pour faire de la figuration « , prévient Augustin Senghor, président de la Fédération sénégalaise de football. Lui aussi veut replacer son pays sur la carte du monde.

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