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Royaume-Uni: « Elizabeth II prépare sa sortie »

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Les festivités populaires pour célébrer les septante ans de règne d’Elizabeth II ont débuté jeudi. L’occasion pour la souveraine de solder les problèmes de la monarchie et d’encourager le sentiment d’unité d’un pays agité par des forces centrifuges. Le regard de la journaliste britannique Louise Ekland.

Oubliés les effets pervers du Brexit, écartées les menaces d’indépendance de l’Ecosse et de rattachement de l’Ulster à la République d’Irlande, mis entre parenthèses le Partygate et les excuses à répétition de Boris Johnson: pendant quatre jours, du 2 au 5 juin, les Britanniques transcenderont leurs préoccupations quotidiennes pour fêter dignement les septante ans de règne de leur reine, Elizabeth II.

Une visite de l’exposition florale de Chelsea, à Londres, le 26 mai, a rassuré sur l’état de santé de la souveraine de 96 ans après les ennuis qu’elle a connus en février, dus à une infection au Covid, et au début du mois de mai, en raison de «problèmes de mobilité épisodiques». Cependant, sa participation à toutes les activités prévues demeure incertaine. Un allègement de son programme est toujours possible. «Elle a quand même beaucoup souffert en raison du décès de son mari, à cause des crises du Brexit et du Covid, fait remarquer la journaliste britannique de France Télévisions et de RTL, Louise Ekland, autrice de God Save My Queen (1). Elle sait qu’elle arrive à la fin de sa vie. Elle a fait part à sa famille de son désarroi et sa tristesse par rapport à certains événements qui ont touché la monarchie. Elle veut partir en paix, après avoir soldé ces problèmes. En quelque sorte, elle prépare sa sortie. C’est pour cela que ce jubilé est sa priorité. Après tout ce que les Britanniques ont enduré, elle veut que le pays soit en fête et que cet événement contribue à son unité

Les festivités en l’honneur de la reine dureront quatre jours avec, comme point d’orgue populaire, les déjeuners du jubilé, le dimanche 5 juin.
Les festivités en l’honneur de la reine dureront quatre jours avec, comme point d’orgue populaire, les déjeuners du jubilé, le dimanche 5 juin. © getty images

Un «repère rassurant»

«Il est rafraîchissant de savoir que la reine est neutre et n’a aucune influence politique», écrit Louise Ekland. Cette neutralité ne l’empêche cependant pas de distiller discrètement quelques messages politiques quand elle en ressent le besoin. «Ainsi lorsqu’elle rencontre Donald Trump, elle porte un bijou qu’elle avait arboré à l’occasion d’une rencontre antérieure avec son prédécesseur Barack Obama, rappelle la journaliste. Et quand elle prononce son discours d’ouverture du Parlement, le 21 juin 2017, le chapeau aux couleurs de l’Europe qu’elle porte est fort remarqué, un an après l’approbation du Brexit par référendum.»

Pour Louise Ekland et sans doute pour de nombreux Britanniques, la reine est «un repère rassurant». «Le déclic de mon livre a été le discours qu’elle a prononcé pendant la pandémie. Celui d’Emmanuel Macron, qui affirmait que nous étions en guerre, ne m’avait pas forcément rassuré. Elizabeth II, elle, a su trouver les mots pour apaiser les inquiétudes que l’épidémie pouvait susciter. C’est ce que j’avais envie d’entendre à ce moment-là. Son discours témoignait aussi de sa grande expérience, elle qui a connu tous les Premiers ministres depuis Winston Churchill jusqu’à Boris Johnson.»

Sens du devoir et humour

Pour expliquer la ferveur populaire dont le jubilé de la reine témoignera probablement, l’autrice de God Save My Queen avance plusieurs raisons. «Le caractère fascinant du personnage: par sa longévité, elle est la mère, la grand-mère, l’arrière-grand-mère de tous. Son sens du devoir: elle n’a jamais manqué à ses obligations envers son peuple. Et quand on lui a reproché un trop long silence après la mort de la princesse Diana, perçu comme un manque d’empathie alors que de nombreux Britanniques pleuraient sa disparition, elle a su rapidement rectifier le tir et regagner ensuite la confiance de ses compatriotes. Son humour et son flegme aussi: en ce sens, elle nous représente parfaitement. Quand une brique atterrit par accident sur le capot de sa voiture, elle sait reconnaître la solidité de la carrosserie. Lorsqu’un Britannique paumé, Michael Fagan, s’introduit une première fois à l’intérieur du palais de Buckingham, et une seconde jusque dans sa chambre, elle parvient à garder son calme.»

Le prince Charles a prononcé le discours du Trône le 10 mai à la place de sa mère. Une première.
Le prince Charles a prononcé le discours du Trône le 10 mai à la place de sa mère. Une première. © getty images

La longueur exceptionnelle du règne d’Elizabeth II, sa personnalité hors norme, le lien indéfectible noué avec le peuple pourraient susciter quelques inquiétudes sur l’avenir de la monarchie britannique. Dans la préoccupation d’Elizabeth II de présenter une image apaisée de la royauté, la mise à l’écart du prince Andrew impliqué dans le réseau de prostitution commandité par l’homme d’affaires Jeffrey Epstein et la réconciliation au moins de façade avec le prince Harry et Meghan Markle après leur exil aux Etats-Unis sont des étapes cruciales pour la rédemption espérée. De quoi apaiser les Britanniques? «Je ne sais pas si on peut dire que le pays est inquiet, nuance Louise Ekland. Elizabeth II nous prépare à sa disparition. Le prince Charles remplit déjà une partie de ses missions. C’est lui qui a prononcé, le 10 mai, le discours du Trône, au nom du gouvernement, une première. La tristesse sera là. On sait qu’à un moment ou à un autre, elle nous quittera, qu’elle nous manquera.»

Louise Ekland
Louise Ekland © getty images

Le contexte

Le Royaume-Uni célèbre du 2 au 5 juin les septante ans de règne de la reine Elizabeth, montée sur le trône le 6 février 1952 (Le Vif du 3 février 2022). Quelques moments forts émailleront ces festivités. Ce 2 juin, la parade militaire Trooping the Colour (1 450 soldats, quatre cents musiciens, deux cents chevaux) et l’apparition au balcon du palais de Buckingham de la famille royale resserrée. Le 3 juin: une messe d’action de grâce à la cathédrale Saint-Paul. Le 4 juin, un concert au palais de Buckingham avec, entre autres, Alicia Keys, Elton John et Andrea Bocelli. Le 5 juin, les déjeuners du jubilé, rendez-vous citoyen festif, et une grande parade dans les rues de Londres.

(1) God Save My Queen, par Louise Ekland, éd. du Rocher, 180 p.
(1) God Save My Queen, par Louise Ekland, éd. du Rocher, 180 p. © National

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