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Qui sera licencié ? Une société fait voter ses employés pour le savoir

Caroline Lallemand
Caroline Lallemand Journaliste

Le monde du travail deviendrait-il de plus en plus cruel, à la manière de certaines émissions de téléréalité? On peut se poser la question en apprenant comment une entreprise des Pays-Bas a procédé pour licencier une partie de son personnel.

Keytoe, une société de marketing néerlandaise implantée à Maassluis, s’est vu contrainte de se séparer de 5 de ses 45 employés après avoir perdu de gros clients. Pour déterminer qui devait quitter sa fonction, la société a procédé d’une manière originale, mais plutôt interpellante. Elle a ainsi fait appel à l’ensemble de son personnel qui a été appelé à voter à l’aide de post-its pour désigner les personnes qui devaient s’en aller, à la manière des émissions de téléréalité Kohl Lanta ou Expeditie Robinson dans le nord du pays.

« Les salaires sont publics, c’était donc aisé d’évaluer les économies engendrées. Nous avons aussi tenu compte des projets importants en cours et des personnes qui y étaient associées« , explique Lennard Toma, psychologue actif au sein de Keytoe.

Plusieurs noms sont ressortis des petits papiers jaunes. Raphael Schuler (23) fait partie des personnes évincées. Il en a été informé à son retour de vacances lors d’une réunion de travail. En regardant les résultats de l’entreprise, il ressortait que la société devait plus se focaliser sur l’aspect marketing qui constitue les sources de revenus principales. « Je suis psychologue et l’équipe a dès lors décidé que je n’en, faisais plus partie« . Mais ce n’était, selon lui, pas la manière la plus délicate de le faire. « Quand ce sont tes collègues qui te le disent, c’est pire que quand c’est ton patron. Mais je comprends bien la situation« , déclare-t-il dans les colonnes du Morgen.

Quant à savoir s’il ne s’agissait pas plutôt d’un concours de popularité, l’employé dit ne pas le prendre de cette façon. «  C’était une décision bien réfléchie. Il s’agissait de raisons financières et de savoir quelles personnes pouvaient le plus apporter à la société, combien d’heures elles travaillaient, combien de chiffres d’affaire elles généraient et si elles étaient responsables de projets précis. Cela semblait juste. »

Des employés ont aussi été poussés à la sortie alors que leurs prestations du moment n’étaient pas au top, pour, par exemple, des problèmes personnels. « Je ne sais pas si tous les collègues étaient au courant de ces circonstances personnelles, et s’ils ont pris une décision bien fondée », s’interroge Raphael Schuler. « Un manager aurait peut-être fait un meilleur choix« , est-il d’avis.

Légalement impossible

« Ce genre d’initiatives ne pourraient pas fonctionner dans une organisation normale. Excepté le fait que légalement, c’est tout à fait impossible, à moins que le collaborateur approuve la procédure« , explique dans le Morgen le psychologue du travail Kilian Wawoe qui enseigne la gestion des ressources humaines à la Vrije Universiteit d’Amsterdam.

Pourquoi ce procédé fonctionne-t-il alors au sein de Keytoe? « Il s’agit d’une jeune organisation avec une culture d’entreprise bien spécifique que tout le personnel adopte. » Une bonne équipe est une équipe qui s’entraide et des collègues qui se corrigent mutuellement, se donnent du feedback. Le problème, c’est que dans 80% des cas, les employés s’estiment au-dessus de la moyenne. « Allez alors décider qui doit partir !« , déclare Wawoe. Le professeur ajoute que ce genre de situations peut créer une culture d’entreprise gérée par la peur. « Tout le monde va avoir peur d’être le suivant sur la liste. Et le plus important dans un environnement de travail agréable, c’est justement de se sentir en sécurité ».

Les personnes qui ont été licenciées de Keytoe l’ont finalement bien pris. « Elles sont parties sur une note positive. L’entretien de départ a été réalisé avec l’ensemble de l’équipe, des lettres de recommandation ont été rédigées et elles ont été aidées au niveau administratif pour obtenir leurs allocations de chômage« , détaille Lennard Toma, le psychologue de Keytoe. « Sur les 5 employés virés, 4 ont déjà retrouvé du travail, dont Raphael Schuler qui est passé indépendant. Après coup, je trouve que cette manière était la plus humaine possible même si sur le moment même, j’étais interloqué », confie-t-il.

« Révolution sur le travail, le salaire et l’entreprise « 

La visibilité de cette affaire dans la presse nationale et internationale ne devrait pas déplaire à Keytoe. La société néerlandaise élabore, en effet, de nouvelles manières de travailler et de s’organiser. « Révolution sur le travail, le salaire et l’entreprise « , est même son slogan. Keytoe promeut une structure sans hiérarchie basée sur la responsabilité et les décisions du travailleur, par rapport à sa fonction et même sa rémunération. « Il est temps de faire la révolution. La manière dont nous travaillons aux Pays-Bas est dépassée. Travailler pour un patron, faire ce qu’une autre personne vous dit de faire. Nous passons en moyenne 34 heures de notre semaine au bureau, et nous voulons que cela soit les plus belles heures de la semaine pour chaque collaborateur« , peut-on lire sur le site de Keytoe.

La société a déjà fait parler d’elle cette année avec son application ‘SentimentsApp’ via laquelle des collègues se jugent sur base de leur ressenti, avec comme récompense à une bonne évaluation un salaire plus élevé. « L’application a crashé après quelques semaines » explique Toma qui ajoute que tous les employés n’ont pas voulu participer au projet pilote.

Quelques résultats ont quand même pu ressortir de ce court test : les employés avec des scores assez bas étaient demandeurs de davantage de retour sur leurs prestations. C’était bien le but recherché mais pour les personnes qui avaient encodé l’évaluation, ce n’était pas agréable car les critères d’évaluation n’étaient pas clairs. L’évaluation entre collègues s’est aussi révélée plus fastidieuse que prévue. « Tout le monde se tracassait tout le temps avec ça, ce qui devenait lourd à gérer« , selon Toma. Le test a été poursuivi et est actuellement principalement utilisé comme instrument de référence pour la répartition salariale, sans mise en oeuvre concrête.

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