Carte blanche

Notre-Dame nous rappelle l’urgence de renouer avec la verticalité

Dans le ciel assombri par l’entame d’un crépuscule d’avril et la cendre s’échappant de la cathédrale en feu, la chute de la flèche de Notre-Dame de Paris au milieu du brasier incandescent a fait perdre en hauteur le bâtiment le plus prestigieux de Paris.

Quelques jours plus tard, pour rendre hommage à celle qui fut sublimée par Victor Hugo – et Luc Plamondon, diront les contemporains-, dans la cour des Invalides, le lieu même où gît pour l’éternité Napoléon, le virtuose Lang Lang fit tournoyer dans les airs quelques notes de piano qui s’envolèrent ensuite vers les cieux telles des volutes d’absolu : comment douter encore, après une telle semaine, que la beauté est verticale ?

Notre monde actuel, qui a tué Dieu, qui honnit les hiérarchies, qui préfère le bruit à la symphonie et qui ne vit plus pour apporter une esthétique à toute chose, sombre de n’être plus qu’horizontal : à l’aune de ce relativisme, il est désormais impossible d’encore distinguer le beau – « la beauté sauvera le monde », écrivait pourtant Dostoïevski -, de bâtir des cathédrales et d’établir une hiérarchie entre un borborygme et une oeuvre de Bach, un écrit de la plupart des écrivains actuels et un roman de Flaubert, le chahut d’un étudiant et le savoir professoral. Or, une civilisation qui tranche ce qui dépasse, qui considère que tout se vaut et qui refuse de prendre de la hauteur est condamnée à mourir sans panache.

Pendant longtemps, notre société, qui assistait aux offices religieux, était verticale par le simple aveu de sa croyance. L’espérance d’un au-delà allégeait les souffrances, ancrait le passage terrestre dans une éternité céleste, promettait la justice, fût-elle dans un autre monde. De cet univers de pensée où tout convergeait vers Dieu, de l’architecture aux prières, il ne demeure aujourd’hui au mieux, au milieu des débris dus au nihilisme ambiant et à la décadence, qu’une vague chrétienté socio-culturelle – c’est-à-dire un christianisme horizontal et sans Dieu – et une défense de la pluri sécularité catholique découlant d’une réaction à l’islamisation de la société.

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L’absence de verticalité découle aussi du manque d’enracinement, cette verticalité plantée dans le sol, à l’heure où le nomadisme (celui des migrations et du tourisme de masse) est porté aux nues, avec pour conséquence de voir les individus souffrir de n’être plus de nulle part et de ne savoir s’inscrire dans aucune lignée historique – de n’être « ni d’aucun temps, ni d’aucun pays », écrivait joliment Fenelon. N’est-ce pas dans cette absence d’ancrage spatio-temporel et de sédimentation qu’il faut trouver la cause de l’état de dépression généralisé de la société ? Rien n’est plus beau que d’imprimer ses pas dans ceux de ses aïeux et ancêtres, rien n’est plus émouvant que de traverser le temps au même rythme d’une symphonie de Beethoven, rien n’est plus rassurant que de s’imprégner de l’immortalité des génies, rien n’est plus grisant que d’avoir pour bagage un peu de culture générale.

Les hommes politiques, à qui il est souvent reproché de vivre reclus dans une tour d’ivoire – ceux qui y sont le plus souvent juché, à l’image de Donald Trump, sont assez paradoxalement les populistes-, souffrent en réalité d’un autre manquement, celui de ne justement pas assez s’isoler pour s’élever à coups de lecture, de connaissances, de réflexion. Les nouvelles trouvailles démocratiques (démocratie directe, consultation populaire…), si elles présentent dans un certain nombre de cas une plus-value démocratique, ne sauraient se substituer à la vision des grands dirigeants : si le général de Gaulle a eu recours au referendum, jusqu’à celui qui lui fut fatal un an après la chienlit de mai 68, l’homme se laissa avant tout guider par une « certaine idée de la France » davantage que par les bruits de la rue. Très symboliquement, la plupart des hommes politiques ont abandonné le port de la cravate – or, la cravate incarne vestimentairement la verticalité.

Les entreprises elles-mêmes, fonctionnant autrefois de façon verticale jusqu’aux capitaines d’entreprise, prennent le plus fréquemment le soin d’horizontaliser leur mode de fonctionnement sur le principe de la subsidiarité. Si l’idée est noble et permet, dans un monde de l’instantanéité – qui est aussi un monde liquide – d’accélérer le processus décisionnel, il implique que chacun des maillons de la chaîne soit doté de l’indispensable responsabilité individuelle : or l’époque n’en est plus à l’éthique professionnelle où chacun se sent investi d’une mission collective. A ce titre, les notions subsidiaires d’amusement obligatoire au travail ne sont rien d’autre qu’une forme de communisme ludique. Il est temps de renouer avec les chefs qui guident et inspirent, fixent aussi bien la stratégie que la tactique et s’imposent à force d’exemplarité, de courage et de fidélité aux engagements – à ce titre, nous ne pouvons que conseiller la lecture de « Qu’est-ce qu’un chef ? », dernier ouvrage tout en nuances de Pierre de Villiers.

L’horizontalisme n’est qu’une des formes modernes de l’égalitarisme ambiant – tant aucune valeur ne semble aujourd’hui plus inattaquable que celle d’égalité. Naturellement pourtant, nul ne naît avec les mêmes prédispositions intellectuelles, culturelles, sociales et physiques que son voisin et il importe aux autorités publiques de corriger cette distorsion par une instruction de qualité afin de permettre aux individus de prendre leur destin en mains à armes égales – ce qui n’est pas encore, convenons-en, le cas, en raison du nivellement généralisé par le bas. La société se porte ensuite forcément mieux si les différences de talent, de mérite et de caractère trouvent leur expression dans des histoires propres à chacun et donc différentes de celle du voisin – la rémunération financière ou symbolique attachée à chaque histoire ne pourrait être identique.

Les formes de verticalisme actuelles ne sont à ce titre que des formes dévoyées d’horizontalisme : tandis que nos ancêtres bâtissaient des cathédrales pour tutoyer le divin – écrins de beauté sur la hauteur desquels les grands auteurs se sont « penchés » (Notre Dame de Paris de Victor Hugo, Les piliers de la Terre de Ken Follett…)-, les architectes contemporains gâchent l’harmonie de nos villes et de leurs banlieues en élevant des gratte-ciels où tantôt s’entassent la misère du monde (HLM), tantôt s’accumulent les profits d’une société consumériste (Trump Tower), tantôt s’amoncèle le millefeuille administratif (Tour des Finances…) ; tandis que chacun croit s’élever dans les airs pour visiter une contrée lointaine et s’enrichir d’une culture exotique – sans reconnaître le sacré dans la sienne -, il ne fait le plus souvent qu’écraser la singularité de l’ailleurs – nous ne sommes plus aux temps des pionniers de l’Aéropostale qui, en prenant leur envol pour ouvrir de nouvelles routes aériennes, savaient les risques qu’ils prenaient et s’élevaient réellement vers l’universel.

Signe qui ne trompe pas, les hommes actuels ne se tiennent plus droit, comme s’ils souffraient d’une carence en légitimité et en fierté. Il reste du travail aux ostéopathes et aux kinésithérapeutes pour les redresser afin qu’ils portent le poids du monde plutôt que de se faire écraser par celui-ci. L’espace occidental a besoin d’individus charpentés, aux épaules solides qui défient la pesanteur, à la colonne vertébrale droite. Etre vertical, c’est forcément être au-dessus de la mêlée, ne pas se noyer dans le marigot, se distancier du vulgum pecus, prendre de la hauteur pour comprendre le monde, ériger ses propres citadelles de résistance.

Une société horizontale avachit la civilisation : renouer avec la verticalité, qui puise ses racines dans la terre des ancêtres et s’élève jusqu’au génie – pour ne pas dire jusqu’à ce Dieu que l’Occident a tué -, est le moyen de vivre digne, de doter le combat d’une substance spirituelle -au moins intellectuelle-, de rompre avec la médiocrité et de tutoyer les astres. Il est temps de redonner vie à l’encéphalogramme plat qui témoigne de l’état horizontal de notre monde.

Gregory Vanden Bruel

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