Ce dimanche, au Portugal, en Roumanie et en Pologne, l’extrême droite a confirmé son ancrage électoral. Si les contextes diffèrent, un même constat s’impose, ces partis ne sont plus marginaux. De Lisbonne à Varsovie, ils influencent les débats et modèlent les agendas politiques. Ce phénomène n’est plus isolé, il reflète une dynamique de fond à l’échelle de l’Europe. Comment expliquer la montée en puissance de l’extrême droite en Europe?
Le 18 mai, les citoyens de trois pays européens ont été appelés aux urnes. Le résultat? Une progression marquée des formations d’extrême droite. Dans chacun de ces Etats, ces partis enregistrent des percées significatives, parfois historiques, révélant une tendance européenne, celle d’une droite radicale de plus en plus audible, visible et influente dans le paysage politique.
Mais que recouvre exactement ce terme, «extrême droite», de plus en plus présent dans les urnes et les débats publics? «L’extrême droite se définit par une conception inégalitaire de la société, un projet nationaliste et des moyens radicaux pour le défendre», explique Benjamin Biard, politologue et chercheur au FNRS, rattaché à l’UCLouvain.
Extrême droite au Portugal: entre sanction et adhésion
Au Portugal, le parti nationaliste Chega a récolté 22,56% des voix, soit 58 sièges au Parlement. Un bond de 4,5 points par rapport à 2024, qui le place au même niveau que le Parti socialiste (PS), en recul. Cette poussée s’inscrit dans un contexte politique instable. «Ces élections anticipées ont été déclenchées après une suspicion de conflit d’intérêts impliquant le Premier ministre Luís Montenegro. Elles peuvent nourrir un vote protestataire ou de sanction», analyse Benjamin Biard.
Mais au-delà de la colère, un vote d’adhésion existe. «L’électorat peut être séduit par des idées classiques de l’extrême droite telles que l’immigration ou la sécurité, souvent alimentées par des peurs. Chega bénéficie aussi d’un contexte symbolique: le Portugal célébrait récemment les 50 ans du retour à la démocratie. Certains parlent d’un effet d’oubli de l’histoire, lié à un renouvellement générationnel, qui rend l’extrême droite plus audible.»
George Simion stoppé par un front pro-européen
En Roumanie, le candidat d’extrême droite George Simion a créé la surprise au premier tour en récoltant 41% des suffrages. Mais il a échoué aux portes du pouvoir, battu au second tour par le pro-européen Nicușor Dan, qui l’a emporté avec 54%. «Deux éléments ont freiné sa progression, analyse Benjamin Biard. D’une part, un sursaut de participation visant à faire barrage. D’autre part, Simion avait déjà rassemblé autour de lui les trois principales formations d’extrême droite dès le premier tour. Il ne disposait donc plus de réservoir de voix pour aller plus loin.»
En Pologne l’extrême droite domine, mais reste fragmentée
Les élections en Pologne mettent en lumière le poids croissant, voire dominant de l’extrême droite dans le paysage politique. Bien que le centriste Rafal Trzaskowski, candidat de la Plate-forme citoyenne, arrive en tête du premier tour avec 31,2% des voix, il est talonné par Karol Nawrocki, représentant du parti Droit et Justice (PiS), classé à l’extrême droite.
Ensemble, trois partis d’extrême droite totalisent plus de 50,5% des suffrages. Une base électorale importante, bien que fragmentée. «Il y a différentes tendances qui s’expriment dans ces formations politiques. Cela ne signifie pas automatiquement qu’il y aura un report de voix des deux plus petits partis vers le PiS au second tour», nuance le politologue.
Ce morcellement n’empêche pas un constat plus large: l’extrême droite n’est plus une force marginale en Europe. Elle s’impose désormais comme un acteur central du jeu politique dans plusieurs pays.
Les ressorts profonds de la montée de l’extrême droite
Ce succès électoral ne relève pas du hasard. Il résulte, selon Benjamin Biard, d’un faisceau de dynamiques convergentes. D’un côté, les partis d’extrême droite captent une sensibilité croissante de l’électorat aux thèmes de l’immigration, de l’insécurité ou de l’identité, souvent exacerbés par des contextes de crise. «L’extrême droite a cette capacité à titiller les instincts primaires, à jouer sur les peurs, et à les traduire en votes», analyse le politologue
Mais l’adhésion ne repose pas uniquement sur les idées, elle traduit aussi un rejet profond du système. Une défiance envers les élites, les partis traditionnels, et une lassitude face aux promesses non tenues. «On est face à une crise de la démocratie représentative. La confiance dans les institutions s’érode, et les formations populistes exploitent ce désenchantement pour avancer», observe le spécialiste de l’extrême droite.
Dans le même temps, l’extrême droite a su adapter ses codes. Un discours plus lisse, des formes plus policées, ces stratégies de dédiabolisation élargissent son audience. «Certains partis traditionnels, voire une partie des médias, reprennent ses thématiques ou son vocabulaire, contribuant à la banalisation de ses idées», explique Benjamin Biard.
Face à cette montée incontestable, une question demeure: les partis traditionnels parviendront-ils à inverser la tendance et à reconquérir un électorat de plus en plus attiré par l’extrême droite?