Aymeric de Lamotte

Incendie de Notre-Dame : « Une invitation à sortir de notre torpeur »

Aymeric de Lamotte Conseiller communal et avocat

L’incendie qui a ravagé le coeur de Paris a bouleversé les Français. Il a également profondément ému les Européens, et parmi eux, les Belges. Accrochés aux titres des journaux, nous suivions, anxieux et impuissants, la progression des flammes en espérant qu’elles ne viennent pas à bout du vaisseau millénaire.

Nous avions l’étrange sentiment que la lutte engagée impliquait une part de nous-mêmes, et transcendait l’événement. Cet incident a serré les coeurs au-delà des frontières françaises, car il a fait émerger un attachement oublié, enfoui dans le souterrain de nos âmes : l’attachement charnel à une civilisation partagée. Jacques Prévert nous enseignait « qu’on reconnaît le bonheur au bruit qu’il fait quand il s’en va. » Ainsi, les flammes devaient dévorer Notre-Dame de Paris pour que s’impose à notre esprit, avec une évidente clarté, le fait que cette splendeur gothique « appartient à tout le monde, à vous, à moi, à nous « , comme l’écrivait Victor Hugo.

Ce drame nous rappelle que nous sommes liés les uns aux autres par un héritage qui nous structure et modèle notre rapport au monde. Il nous fait aussi réaliser à quel point celui-ci est fragile, et peut à tout moment s’effondrer sous nos yeux. Sauf que tout effondrement ne s’offre pas le luxe d’une radicalité inouïe et d’une large couverture médiatique. L’érosion vient à pas lents, et cette lenteur nous permet d’esquiver lâchement. L’Europe a vécu des décennies de relative indifférence, voire parfois d’intolérance par rapport à elle-même et à son passé. En raison de son histoire glorieuse et conquérante, ce syndrome la frappe plus fortement que les autres continents. Nous avons cru, avec Francis Fukuyama, que la démocratie libérale et le bonheur matériel constituaient la fin de l’histoire, et que nous n’avions plus d’efforts à fournir. Bruxelles est le théâtre quotidien d’un des plus illustres saccages patrimoniaux. Le phénomène de « Bruxellisation » est enseigné jusque dans les universités américaines. Notre sublime Palais de Justice qui éclaire, comme un phare, les horizons de notre Capitale est enlaidi d’un manteau d’échafaudages depuis 1982. Notre école est en lambeaux, car nous avons négligé pendant tant d’années d’y transmettre les savoirs fondamentaux, indispensables à tout épanouissement. Nous savons que la violence islamiste s’est érigée sur le vide qu’a laissé notre négligence. Nous observons avec tristesse une sociologie bruxelloise lézardée entre communautés à cause de notre timidité et nos scrupules à partager notre langue, notre culture, la sagesse des enseignements de notre histoire troublée, et notre manière de vivre qui fait notre fierté. Le vrai cadeau qu’on puisse faire à l’autre, ce n’est pas se renier, mais l’inviter à poursuivre ensemble l’aventure collective.

L’électrochoc de l’incendie de Notre-Dame est l’occasion de comprendre que l’heure n’est plus à l’échappatoire

Cet électrochoc est l’occasion de comprendre que l’heure n’est plus à l’échappatoire. L’émoi et l’extraordinaire mobilisation qui a suivi l’incendie constituent tout de même un espoir, car ils signifient que nous avons encore conscience de la valeur inestimable de ce qui nous fonde. Nous sommes à l’aube d’un triple scrutin qui va déterminer les cinq années de notre politique européenne et nationale. Protégeons, aimons, et transmettons humblement notre patrimoine culturel pour que, dans un siècle, les frémissements collectifs que nous ressentons quand nos fondations s’ébranlent soient encore éprouvés. L’unité et la continuité de notre civilisation sont à ce prix.

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