Tout indique que François Bayrou ne survivra pas au vote de confiance du 8 septembre. La situation budgétaire ne justifiait pas cette dramatisation. L’économie française risque de sérieusement en pâtir.
Il a voulu faire adopter au forceps sa proposition de budget prévoyant des économies de 44 milliards d’euros pour 2026. Il a pour cela enrobé la séquence d’une solennité superfétatoire en soulignant que la France était «à un moment critique de son histoire». Et il a joint le geste à la parole en annonçant, le 25 août, solliciter un vote de confiance sur le projet, le 8 septembre. L’artifice a été démasqué lorsque, interrogé au 20 heures de TF1 sur l’absence de consultation des dirigeants de partis de l’Assemblée nationale depuis la présentation du projet en juillet, il a répondu qu’«ils étaient en vacances». «Son» budget était à prendre ou à laisser. Les partis susceptibles de l’aider à forger une coalition hors du camp gouvernemental l’ont laissé.
Les discussions que le Premier ministre français a finalement consenti à engager à partir du 1er septembre ne devraient rien y changer. Le Rassemblement national et, surtout, le Parti socialiste ne sauveront pas le soldat Bayrou. Sauf miracle, il tombera le 8 septembre. «Quand vous demandez la confiance, il faut essayer de la construire», a commenté, en sage se préparant à la présidentielle de 2027, l’ancien Premier ministre Edouard Philippe. «C’est un peu le même pari que celui qu’avait fait Emmanuel Macron au moment de dissoudre l’Assemblée nationale, suggère l’économiste Clément Fontan. On se dit que l’on a une stratégie politique géniale et que face au chaos, on reconstruira le bloc de la responsabilité…» Raté.
Le professeur de politique économique européenne à l’UCLouvain, et l’économiste Mathieu Plane, directeur adjoint de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) analysent les ressorts et les répercussions financières et économiques de la tempête qui se profile.
1. La situation budgétaire est-elle grave?
La dette de la France atteignait 100% du PIB en 2020. D’un montant établi fin mars à 3.345 milliards d’euros, elle approche aujourd’hui les 114% du PIB. La situation budgétaire de la France n’est pas florissante et réclame certainement des actions relativement urgentes mais elle est maîtrisable.
«La France a un problème de finances publiques. Elle devra assainir les comptes à marche forcée, c’est-à-dire trouver une centaine de milliards d’euros d’ici à la fin de la décennie. Mais des crises budgétaires, hormis que celle-ci est nationale et pas européenne, la France en a déjà connu par le passé, souligne Mathieu Plane. Quant à la situation économique, elle n’est pas merveilleuse, mais elle n’est pas catastrophique. Elle n’appelle pas à ce que le FMI débarque demain à Paris. Pour différentes raisons structurelles, les fondamentaux de l’économie française n’ont rien à voir avec ceux de la Grèce ou de l’Argentine quand ces Etats ont connu des défauts de paiement. La France n’a pas non plus de problèmes de déficit courant et de financement externe», précise l’économiste de l’OFCE.
«La situation budgétaire de la France est préoccupante depuis une quinzaine d’années. Mais elle l’est beaucoup moins qu’elle ne l’était au moment de la dissolution de l’Assemblée nationale en juin 2024, ajoute Clément Fontan. L’indicateur de spread financier, qui mesure l’écart entre les taux d’intérêt payés par l’Allemagne et ceux payés par la France, est moins élevé aujourd’hui qu’il ne l’était voici un mois ou deux. En revanche, estime pour sa part le professeur de l’UCLouvain, la situation économique structurelle de la France est préoccupante. Pourquoi? La France connaît une augmentation continue des déficits et de la dette, et, en même temps, une dégradation des services publics. Pour comprendre ce paradoxe, il faut savoir que la dette a été principalement causée par les baisses d’impôt sur le capital décidées sous les présidences Macron. Un rapport de la Cour des comptes réalisé juste après la dissolution de l’Assemblée nationale le documente. Le pari économique a été d’alléger les charges sur les épaules les plus larges pour permettre de relancer la croissance. Sauf que cette stratégie est menée au moins depuis 2017 et qu’elle n’a toujours pas porté ses fruits.»
2. Une action à la hauteur de l’enjeu?
Coup de poker du vote de confiance, absence de concertation avec les partis, efforts inégalement partagés dans le projet de budget…: François Bayrou ne semble pas s’être donné les moyens de réussir son pari face à une Assemblée nationale morcelée sans majorité absolue.
«Les montants concernés sont très importants. Ils nécessitent d’élaborer un projet d’envergure avec une stratégie de long terme sur la façon de partager les efforts, avertit Mathieu Plane. Or, aujourd’hui, la France, pour des raisons de crise politique, vit au jour le jour. Les budgets qui peuvent être élaborés ont une espérance de vie très faible.»
«On ne peut pas dire être dans une situation catastrophique et présenter un budget “à prendre ou à laisser”.»
«Le budget de François Bayrou a eu le mérite d’être présenté dans les grandes lignes assez tôt, poursuit l’économiste de l’OFCE. Mais il semble qu’il n’y a pas eu de discussion, ou très peu, cet été pour essayer de trouver un accord. Or, on ne peut pas dire que l’on est dans une situation catastrophique et présenter le budget sur le mode « à prendre ou à laisser ». C’est aussi l’art de la négociation et du dialogue, même si effectivement, l’éclatement politique rend très difficile de forger des accords. Sur la question des jours fériés, la fiscalité sur le haut patrimoine ou les contributions des entreprises, il y avait des discussions à avoir. François Bayrou a tracé une série de lignes rouges. C’est paradoxal. La France serait dans une situation cataclysmique mais le gouvernement imposerait de ne pas toucher à ceci ou à cela… Cela n’est pas crédible. Il faut être capable de tout mettre sur la table, faire en sorte que l’effort soit le mieux partagé possible, que si le levier fiscal est activé, il le soit aux bons endroits et soit le moins conséquent pour les entreprises et pour les ménages…»
© DR
3. Les riches trop épargnés?
Entre les extrêmes politiques, le Rassemblement national et La France insoumise, le Premier ministre français n’avait pas pléthore de pistes pour construire une coalition autour de son projet de budget. Séduire la gauche de gouvernement et, en particulier le PS, était la plus évidente. Mais François Bayrou n’a pas posé le geste, par exemple ponctionner les grandes fortunes ou entreprises, qui aurait enclenché un rapprochement.
«Face à un tel défi budgétaire, il faut accepter de renoncer à certains choix politiques, assène Mathieu Plane. L’OFCE a publié une étude qui montre que depuis 2019, beaucoup de mesures fiscales ont été adoptées et non financées pour les plus hauts revenus, pour les entreprises… Aujourd’hui, sont-elles nécessaires? Le déficit doit permettre de tout remettre sur la table. Pour rencontrer l’effort de l’ampleur de celui de la France, il est difficile de dire que les grandes entreprises, les grandes fortunes seront épargnées. Comment la population, les petites entreprises, la classe moyenne accepteront-elles cela? Les partisans du maintien de ces avantages rétorqueront que les mesures poseront un problème d’attractivité pour la France, pour les capitaux, pour les investisseurs étrangers. Mais a-t-on le choix?»
Entre un budget prévoyant une contribution des plus riches ou un défaut de budget couplé à une menace de crise économique, certains patrons pourraient même être tentés par le premier scénario. «Y compris pour les entreprises, je pense qu’il vaut mieux accepter une fiscalité, éventuellement temporaire, adopter un budget, et rétablir les comptes publics plutôt que de provoquer un conflit politique qui risque d’être social. Pour le moment, ce discours-là n’émerge pas dans le milieu de l’entreprise. L’avantage est qu’il reste tout de même des possibilités», commente Mathieu Plane.
BELGA
4. Quelle sera la réaction des marchés?
Comment réagiront les marchés après la probable chute du gouvernement Bayrou à la longévité (huit mois et 26 jours) à peine un peu plus grande que celle de l’équipe de son prédécesseur Michel Barnier (trois mois et huit jours)?
«C’est à l’impossibilité d’avoir un accord politique pour permettre des choix budgétaires plus qu’au volume de la dette et du déficit que risquent de réagir les marchés, prévient Clément Fontan. Le Japon, qui a une dette beaucoup plus élevée que celle de la France, est exposé à des taux d’intérêt relativement faibles parce que les investisseurs savent que les politiques à Tokyo parviendront à trouver un consensus pour opérer leur choix budgétaire.» «La chute du gouvernement Bayrou pourrait conduire à une augmentation du spread financier et du refinancement de la dette. Mais il faut savoir que ces conséquences n’auraient pas d’effet immédiat, ajoute le professeur de l’UCLouvain. Tant qu’à chaque rehaussement de la dette, des investisseurs sont prêts à accorder des prêts à un taux raisonnable, il n’y a pas le feu au lac.»
«Beaucoup de mesures fiscales ont été adoptées pour les plus hauts revenus, pour les entreprises… Aujourd’hui, sont-elles nécessaires?»
«Je ne suis pas pessimiste. Les marchés ne sont pas bêtes. Les agences de notation ne changeront pas grand-chose, estime Mathieu Plane. Pourquoi? Parce que la note de la dette française est particulièrement élevée par rapport aux taux auxquels la France emprunte, parce que les agences de notation établissent leur rapport sur les fondamentaux de l’économie française qui sont loin d’être mauvais. De plus, les marchés ont déjà intégré le fait que François Bayou ne passerait pas le 8 septembre. La surprise serait l’inverse. Ils ont réagi après la proposition du Premier ministre de se soumettre à la confiance du Parlement. Cela a duré deux jours. Il y a eu un peu de mouvement. Mais il est resté pour le moment limité. Les marchés ont conscience qu’il y a tout de même une forme de solidité de l’économie française. Le taux d’épargne est élevé. La balance courante est à l’équilibre alors que tous les pays qui ont fait défaut avaient des déficits courants gigantesques. La France est la deuxième économie de la zone euro. Il y a des fondamentaux structurels qui font qu’attaquer et risquer une forte hausse des taux sur la France, ce serait assez surprenant. La France n’est pas non plus en récession. Le problème est politique et budgétaire. Donc, les marchés seront très attentifs à ce que dira Emmanuel Macron le 9 septembre.»
5. La France, mauvais élève de l’Europe?
Dans un contexte européen agité (guerre en Ukraine, hausse des droits de douane américains, montée des formations d’extrême droite, difficultés économiques de l’Allemagne…), l’instabilité politique de la France a de quoi inquiéter. D’autant plus si se greffent sur elle une crise économique et une agitation sociale promise par les organisateurs de l’action «Bloquons tout» le 10 septembre et par le front syndical mobilisé lors d’une journée de manifestations le 18.
Cependant, sur le plan financier, le pire n’est pas certain. «Beaucoup de paramètres entrent en ligne de compte dans l’examen de la situation financière d’un pays, juge Clément Fontan. En l’occurrence, la stabilité financière de la France dépendra aussi des politiques de différentes institutions européennes. D’abord la Banque centrale européenne (BCE) parce que les taux d’intérêt payés lors du refinancement des dettes sont avant tout liés aux politiques monétaires de la BCE plutôt qu’à une appréciation de la situation budgétaire des différents Etats. La Commission européenne ensuite, selon la pression qu’elle imprimera sur la France pour mener des réformes structurelles. Si elles prennent la forme de politiques d’austérité, cela risque de ne pas améliorer la situation. Le problème principal est qu’aujourd’hui, la France est une société bloquée. Trois camps politiques se regardent et n’arrivent pas à se mettre d’accord. Il y a une sorte de sur-place économique avec un déficit et une colère politique qui montent parallèlement. C’est plus en vertu de ces paramètres qu’une sorte de « maladie » pourrait être diagnostiquée en France qu’en fonction de facteurs économiques, comme la désindustrialisation ou une perte de confiance permanente des marchés financiers.»
La suite de la séquence provoquée par la dissolution de 2024 et marquée par les gouvernements éphémères de 2024 et 2025 dépendra donc surtout de son principal responsable… Emmanuel Macron. Gouvernement technique, Premier ministre de gauche ou d’extrême droite, élections à l’issue d’une nouvelle dissolution? Quelle que soit la solution, l’incertitude dominera l’actualité française. Une donne qui ne favorise pas l’activité économique.