Le Premier ministre français François Bayrou est sur un siège éjectable. © AFP

Suicide politique ou coup de poker? Comment analyser la manœuvre de Bayrou

Elise Legrand
Elise Legrand Journaliste

Le Premier ministre français François Bayrou a annoncé un «vote de confiance» à l’Assemblée nationale le 8 septembre. Une décision qui pourrait précipiter sa chute.

Vers une nouvelle rupture de bail à Matignon? En deux ans, la résidence du Premier ministre français a vu défiler quatre locataires, sans qu’un seul n’y dépose durablement ses valises. Installé depuis à peine huit mois, François Bayrou pourrait bien, lui aussi, remettre anticipativement les clés de son mandat.

Confronté à l’impopularité de son plan d’économies budgétaires de près de 44 milliards d’euros, le Premier ministre a surpris en annonçant, lundi, la convocation d’un vote de confiance de l’Assemblée nationale le 8 septembre. Une déclaration kamikaze? Décryptage avec Christophe Sente (1), collaborateur scientifique au Centre d’étude de la vie politique de l’ULB.

Vu la fragmentation politique de l’Assemblée nationale, la décision de François Bayrou apparaît presque suicidaire. Comment l’expliquer?

Son annonce s’apparente en effet à un certain coup de poker, qu’il faut toutefois resituer dans son contexte, à court et à moyen terme. Elle n’intervient pas seulement à l’heure de la rentrée politique, mais aussi à un moment où un mouvement social potentiellement d’envergure est annoncé pour le 10 septembre. Or le vote, lui, est prévu le 8. La décision de Bayrou, bien qu’à double tranchant, est donc peut-être une façon de couper l’herbe sous le pied à toutes les forces qui voudraient s’agréger autour de cette initiative contestataire, et d’éventuellement renoncer à subir un mouvement «Gilets jaunes bis». Mais à moyen terme, il faut rappeler également que la majorité gouvernementale est plus que délicate. Un contexte que les perspectives financières risquent encore de plomber davantage, avec cette réforme budgétaire impopulaire que Bayrou veut implémenter.

Dans ce cadre, quelles sont réellement les chances de Bayrou de s’en sortir? Les projections arithmétiques semblent en sa défaveur.

La situation sera compliquée. Toutefois, il ne s’agit pas uniquement d’une question de chiffres, car le droit français, comme le droit américain ou le droit belge, comprend des dispositions dites de parlementarisme rationalisé (NDLR : ensemble de mécanismes constitutionnels visant à réduire l’instabilité gouvernementale et à éviter la domination du Parlement sur le gouvernement). Il ne s’agit donc pas uniquement de voter pour ou contre. Il existe également des subtilités, comme le fait de s’abstenir ou de ne pas être présent le jour du vote, de contrarier la réunion du quorum, etc. Ça risque de se jouer sur des détails. Je suppose donc que les meilleurs juristes français auront été mobilisés par le gouvernement pour limiter les risques de la manœuvre. Parce qu’en politique, personne n’a vraiment envie de se suicider.

De nombreux partis, du RN à LFI, ont déjà annoncé leur volonté de voter contre…

Oui et c’est intéressant, car ce vote et ces jeux d’appareils risquent d’illustrer à nouveau les éventuelles convergences entre un mouvement social national incarné par La France insoumise (LFI) et d’autre part, un mouvement national social incarné par le Rassemblement national (RN). Car au-delà de la sociologie différente de leur électorat, on a aujourd’hui affaire à deux forces politiques dont les accents du discours tendent à converger, sauf sur la question migratoire et la sécurité.

Quelles conséquences si Bayrou échoue? Certaines figures politiques, comme Mélenchon, appellent déjà le président Macron à se retirer en cas d’échec de son Premier ministre…

Demander un départ, on peut toujours le faire. Mais jusqu’à présent, c’est un scénario qu’Emmanuel Macron a toujours écarté. Le président ne veut pas s’exposer aux mêmes critiques que lors de sa première dissolution (NDLR: en juin 2024). C’est aussi une façon, pour lui, de donner des assurances à ceux qui auraient intérêt à la stabilité, notamment à ce qui reste de la gauche traditionnelle. C’est peut-être sur cette voie étroite que veut s’engager le président, à savoir insister sur la nécessité de stabilité et de ne pas rajouter aux difficultés budgétaires une crise sociale suicidaire qui pourrait paralyser le pays comme il a pu l’être par les gilets jaunes. La manœuvre de Bayrou s’apparente peut-être à une tentative d’élever le débat, de dire «on ne vote pas seulement un budget, mais on vote la confiance aux orientations d’un gouvernement dans un contexte financièrement critique».

 (1) Auteur de Une autre entreprise est possible, à paraître aux Editions Le Bord de l’Eau, 72 p.

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