Attentats de Paris dix ans
Le 13 novembre 2015 au Bataclan, l’horreur absolue. © BELGA/AFP

Dix ans après les attentats de Paris, la «tranquillité impossible»

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Après une décennie, le travail de reconstruction à la suite des attentats de Paris demeure inachevé. Compagne d’une victime de la salle de concerts, Aurélie Silvestre porte «la responsabilité du survivant».

Le Stade de France, les terrasses de bistrots, la salle de spectacle du Bataclan… Les images de l’horreur du vendredi 13 novembre 2015 à Paris restent gravées dans les mémoires. Dix ans après, elles continuent de hanter les survivants et les familles des victimes dans cette vérité implacable que l’avocate générale au procès des auteurs des attentats, Camille Hennetier, avait appelé dans son réquisitoire «la tranquillité impossible».

Aurélie Silvestre la raconte, cette intranquillité, dans un puissant et poignant récit, Déplier le cœur (1), celui d’«une femme, une veuve, une traumatisée […], la femme d’un nouvel homme qui subit mon histoire par alliance et […] la mère de deux enfants orphelins de père». Il s’appelait Matthieu, avait 38 ans, était géographe et fan du groupe Eagles of Death Metal. «Dans l’explosion du Bataclan, j’ai perdu l’homme que j’aimais, mais aussi toute la vie que nous avions construite autour de notre histoire», confie l’autrice.

Une vie détruite

Déplier le cœur démarre le 8 septembre 2021, le jour du procès des auteurs des attentats auquel Aurélie Silvestre ne veut pas assister. Pendant les six années séparant les deux événements, elle a mis à distance l’enquête, les accusés, la couverture médiatique… Pourtant, en quête d’«une vérité consolante», elle va devenir une actrice assidue des audiences de la cour d’assises spéciale de Paris jusqu’à leur dénouement. Son livre, qui fait suite à celui qu’elle avait écrit en 2016, Nos 14 novembre (Jean-Claude Lattès), relate la sorte de thérapie que fut le procès. Par des retours sur son passé, il dessine le difficile travail de reconstruction après le séisme aux multiples répliques.

Car le traumatisme du 13 novembre, chez Aurélie Silvestre, n’a pas seulement détruit la vie qu’elle avait construite avec Matthieu. Il a aussi rendu compliquée la survie avec un nouvel amoureux. Au ravissement que lui procure l’élan pour un autre homme, vont succéder «une danse inconfortable avec lui à cause du procès», les disputes sur le mode «j’ai passé six heures dans la tête d’un terroriste. Qu’est-ce que tu peux attendre de moi après ça?», et la séparation actée six mois après le début du procès. Et de se demander alors: «Les terroristes m’ont enlevé Matthieu; ont-ils réussi aussi à empêcher toutes les histoires d’après?»

La responsabilité du survivant

La reconstruction est une course en solitaire, au vu du parcours d’Aurélie Silvestre. Elle parle de «la solitude que seuls ceux qui ont vécu un drame peuvent connaître». Directement après les attentats, elle s’en est sortie en se fixant un seul cap: «déployer toute mon énergie dans l’accompagnement du deuil de mon fils et prendre suffisamment soin de moi pour accueillir ma fille dans une famille en ruine et un monde dont je ne comprenais plus rien». Thelma, le deuxième enfant de Matthieu et Aurélie, après Gary, est née six mois après le décès de son père. Dans un deuxième temps, est venu le moment du rappel de la réalité du 13 novembre 2015 et de la confrontation avec les accusés lors du procès. Une épreuve qu’elle a rechigné à affronter avant de s’y plonger corps et âme afin de comprendre pourquoi des gens de son âge avaient décidé de «venir nous tuer». Avec des moments de bascule, comme celui du témoignage de Nadia Mondeguer, professeure d’arabe d’origine égyptienne et mère de Lamia assassinée à la terrasse de La Belle Equipe, et celui de Jessica, multiblessée, qui, à la barre dispense à son compagnon Romain aussi présent «une leçon d’amour véritable», avant de livrer son témoignage, dans son «spectacle de fin de deuil» qui marqua à tel point l’opinion que France Inter décida de le publier dans son intégralité.

«Je ne traîne que ma peine depuis six ans et avec elle, celle de mes deux enfants qui grandissent sans père, y déclarait Aurélie Sylvestre. Alors je ne ressens pas ce qu’on appelle la culpabilité du survivant. Moi, ce qui me porte depuis le premier jour, c’est ce que je pourrais nommer la responsabilité du survivant. Je suis celle qui reste et je dois vivre pour deux.» Le verdict du procès n’a pas fondamentalement changé cet état. «L’idée qu’ils (NDLR: les accusés) croupissent en prison n’est d’aucun réconfort pour moi. La peine qui m’importe est la mienne, aucune réparation ne sera à la hauteur du trou dans mon salon, du froid dans mon lit, du cœur douloureux de mes enfants», conclut-elle, sans doute plus sereine tout de même après ces mois de confrontation avec une réalité qu’elle avait voulu occulter.

(1) Déplier le cœur, par Aurélie Sylvestre, Seuil, 272 p.
D.R.

«Les terroristes m’ont enlevé Matthieu; ont-ils réussi aussi à empêcher toutes les histoires d’après?»

Les morts d’après

Les traumatismes des attentats peuvent rejaillir, à tout moment intacts, dans le corps. On comprend alors qu’«il y a des jours, des semaines entières parfois où rien de ce qu’on a mis en place pour continuer à vivre n’a vraiment d’impact, que la résilience ne pourra pas se faufiler jusqu’à ces poches de trauma enfouies on ne sait où», constate Aurélie Sylvestre dans Déplier le cœur.

Sans doute est-ce la persistance au plus profond de soi du trauma qui explique les morts survenues après l’attaque terroriste du 13 novembre 2025. Trois survivants se sont donné la mort en dix ans. Guillaume Valette, 31 ans, un des spectateurs du Bataclan, a été retrouvé pendu le 19 novembre 2017 dans la chambre de l’hôpital psychiatrique où il avait été admis en situation de stress post-traumatique. France-Elodie Besnier, 35 ans, cliente du bar Le Carillon, a mis fin à ses jours le 6 novembre 2021. Le dessinateur Fred Dewilde, 58 ans, autre rescapé du Bataclan, s’est suicidé le 5 mai 2024. Il avait consacré quatre romans graphiques à son parcours de reconstruction, impossible. Ils sont les 130e, 131e et 132e victimes des attentats de Paris.

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