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Crise politique en France: du surréalisme, un «parricide» et de l’amateurisme

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

L’expérience éphémère de gouvernement de Sébastien Lecornu confirme l’incapacité des partis à forger des compromis. La tripartition étant appelée à durer, la France risque de rester ingouvernable.

Ainsi, en 2025, dans cette vieille et vivace démocratie qu’est la France, un Premier ministre nommé ne juge pas utile de préciser au président du principal parti allié au sein de son gouvernement, quelques heures avant la présentation de ses membres, qui occupera le poste tout de même assez sensible de ministre des Armées. Et, au cours d’un entretien d’une heure et demie, le dirigeant de cette formation pivot de l’exécutif ne pense pas à s’enquérir des personnalités majeures qui composeront l’exécutif auquel il s’est engagé à apporter son soutien… Sauf à imaginer que l’un ou l‘autre des deux protagonistes ment ou ne dit pas toute la vérité, cette séquence est incompréhensible dans un pays qui expérimentait son troisième chef de gouvernement en un peu plus d’un an, et, pourtant, elle a eu des conséquences hors norme.

Elle a provoqué le 6 octobre la démission, suspendue, du Premier ministre Sébastien Lecornu en fonction depuis… 27 jours. Le ministre pressenti était Bruno Le Maire, «cheval de retour» à l’expérience controversée au ministère de l’Economie et des Finances, et, d’évidence, pour le chef du parti Les Républicains Bruno Retailleau, il était à mille lieues de représenter la rupture annoncée par le nouveau Premier ministre. En revanche, que lui-même enchaîne les mandats au ministère de l’Intérieur ne posait aucun problème d’image.

Michel Barnier, Premier ministre trois mois et huit jours… © GETTY

Ainsi, en 2025, dans cette vénérable France régie depuis 67 ans par la Ve République censée apporter la stabilité politique, le chef de Renaissance, le parti présidentiel, Gabriel Attal, ose affirmer devant des millions de Français au JT de 20 heures de TF1, qu’il ne comprend plus les décisions de son président et patron, Emmanuel Macron, et un autre des anciens Premiers ministres de ce dernier, Edouard Philippe, s’autorise à suggérer qu’il démissionne en organisant une présidentielle anticipée. Les échanges entre Sébastien Lecornu et Bruno Retailleau conservent peut-être une part de mystère. Dans le chef des jadis plus proches collaborateurs du président, la parole est cash, sans fioritures. Ils assassinent politiquement celui qui fut leur maître. Après Lecornu et les effets délétères de sa démission, le roi est-il nu? Quoi qu’il en soit, si le surréalisme était traditionnellement belge, en matière politique, la France nous donne des leçons.

François Bayrou, Premier ministre huit mois et 27 jours… © GETTY

Une posture antinomique avec le compromis

Les 27 jours en tant que Premier ministre de Sébastien Lecornu, c’est l’histoire de rendez-vous manqués. A sa nomination, celui qui fut ministre de la Défense du gouvernement démis de François Bayrou promet la rupture sur le fond et sur la forme. On pense alors logiquement qu’après avoir testé sans succès des exécutifs, ceux de Michel Barnier et de François Bayrou, qui ont tenté d’amadouer le Rassemblement national pour éviter une censure, Emmanuel Macron a missionné le plus fidèle de ses compagnons de route afin de jeter des ponts vers la gauche du gouvernement, au premier rang le Parti socialiste. Ce serait la rupture attendue sur le fond à côté de celle sur la forme, qu’il a commencé à imprimer en enchaînant notamment les consultations avec tous les partis et avec les acteurs sociaux pour forger, semble-t-il, une sorte de programme de gouvernement ou de non-censure avant de constituer son équipe.

«Il y a, depuis la dissolution, des décisions qui donnent le sentiment d’un acharnement à vouloir garder la main.»

«Un ensemble de contraintes inextricables s’est imposé aux principaux acteurs politiques, notamment ceux directement impliqués dans la recherche d’un compromis, les macronistes et les socialistes, commente dans une tribune au Monde, le 8 octobre, Bruno Cautrès, chercheur CNRS au Centre de recherches politiques (Cevipof) et enseignant à Sciences Po. […] Tout s’est passé comme si chacun posait comme condition que la négociation se tienne à l’intérieur du périmètre de son programme, une posture totalement antinomique à la recherche d’un compromis.» Ce diagnostic confirme le sentiment que les partis politiques français sont dans l’incapacité presque psychologique de forger des accords de fond. En l’occurrence, l’exemple vient de l’échelon politique le plus élevé puisque dans la «négociation» avec le «collaborateur» d’Emmanuel Macron, le Parti socialiste, Europe Ecologie Les Verts et le Parti communiste se sont vite rendu compte qu’il n’y aurait pas de renoncement ni même de suspension de la réforme des retraites, pas de restauration d’un impôt de solidarité sur la fortune (ISF), pas de taxe Zucman… Autant de lignes rouges sans doute imposées par l’Elysée. Un constat qui donne du crédit à la critique de l’ancien Premier ministre Gabriel Attal quand il affirme qu’«il y a eu la dissolution et qu’il y a depuis des décisions qui donnent le sentiment d’une forme d’acharnement à vouloir garder la main».

Et Sébastien Lecornu, moins d’un mois! © GETTY

Inquiétude pour la démocratie

Pour le politologue Bruno Cautrès, l’ambition de rallier les socialistes à un programme porté par un gouvernement de centre-droit et de droite, rassemblant la macronie et Les Républicains, était viciée dès l’origine. Il y avait une contradiction fondamentale de solliciter d’un exécutif de cette composition politique de mettre en œuvre des mesures de gauche comme il était inenvisageable que le Parti socialiste offre au macronisme en fin de parcours la victoire symbolique de la réalisation du dépassement du clivage gauche-droite. Donc, exit le pacte de non-censure avec la gauche modérée. Sébastien Lecornu n’avait plus d’autre choix que de tenter de réussir là où Michel Barnier, le premier Premier ministre d’après-dissolution, avait échoué: gagner la bienveillance du Rassemblement national avec l’espoir qu’il ne déclenche pas trop vite l’arme de la censure. Le renoncement à utiliser l’article 49.3, qui permet de faire passer un texte sans vote, n’aura pas suffi à convaincre l’extrême droite.

De façon surprenante, l’arrêt de mort du «gouvernement Lecornu» est venu du «socle commun» auquel il espérait se raccrocher. A la rupture promise par le Premier ministre mais vite abandonnée, a donc succédé la rupture, réelle elle, avec Les Républicains de Bruno Retailleau, la confiance étant rompue. Que le «coup tordu» de la nomination de Bruno Le Maire l’ait provoquée ou qu’il ait été utilisé comme prétexte, le résultat est le même. C’est par un fiasco que s’est clôturée l’expérience de chef de gouvernement de Sébastien Lecornu quel que soit le résultat des négociations ultimes que le président Macron lui a demandé de mener. S’il les mène à bien, c’est sans lui qu’un gouvernement tentera de faire passer le budget dont la France a tant besoin.

Le résultat de cette séquence est inquiétant pour la démocratie française, exposée à une nouvelle expérience gouvernementale incertaine, à une dissolution et des élections anticipées qui ont peu de chances de favoriser le retour de la stabilité politique, ou à une improbable démission du président qui provoquerait une crise de régime. En 2021, le journaliste politique Jean-Michel Aphatie publiait un livre bilan du premier mandat présidentiel d’Emmanuel Macron en le titrant Les Amateurs (Flammarion) et en le vendant comme «la chronique du quinquennat le plus déjanté de la Ve République». Il n’aurait jamais imaginé que le deuxième puisse l’être plus encore.

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