Le président ukrainien Volodymyr Zelenskyy (au centre) signe la demande d'adhésion du pays à l'Union européenne à Kiev, en Ukraine, le 28 février 2022. (UKRAINIAN PRESIDENCY/ HANDOUT) © iStock

Adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne : les risques d’une procédure accélérée

Le Vif

Martelée par le président ukrainien depuis des semaines, l’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne est devenue un enjeu de taille sur le continent. Entre conséquences diplomatiques incertaines et risque d’élargissement dans une Union qui fonctionne déjà difficilement à 27, les avis divergent. Le point avec Benjamin Bodson, chercheur associé au sein du programme Affaires européennes de l’Institut Egmont.

Le président urkainien Volodymyr Zelensky le disait encore à Charles Michel, président du Conseil européen, lorsqu’il l’a accueilli à Kiev le 20 avril dernier. « L’adhésion de l’Ukraine à l’UE est une priorité.« 

La procédure d’adhésion d’un pays en vue de l’élargissement de l’Union européenne est longue: en moyenne, il faut compter dix ans. Un temps d’attente que l’Ukraine et son président veulent accélérer, soumis à la pression de l’invasion russe.

Mais est-ce réellement possible d’aller plus vite ? L’UE est-elle prête à accorder cette faveur à l’Ukraine ?Le Vif fait le point avec Benjamin Bodson, chercheur associé au sein du programme Affaires européennes de l’Institut Egmont.

La rapidité de procédure, une affaire d’interprétation

Selon le traité sur l’Union européenne, et notamment l’article 49 qui fournit la base juridique de l’adhésion, une accélération de la procédure n’est pas possible. Le texte y explique les différentes étapes, dont la plus importante est l’obtention du statut de candidat, indispensable pour démarrer les négociations, que le pays candidat doit à terme réussir pour adhérer à l’UE. Et c’est tout.

Aucun moyen d’échapper à cette chronologie donc. Cependant, comme bien souvent, il y a un « mais« . Celui-ci se situe dans les délais accordés à ces différentes étapes, qui ne sont en réalité pas fixés. Il appartient donc aux institutions européennes de mettre quelques semaines, des mois ou plusieurs années, à valider ces différents paliers de la procédure d’adhésion. Et c’est d’ailleurs ce qui s’est déjà passé.

A peine l’Ukraine avait-elle déposé sa demande d’adhésion à l’Union le 28 février dernier, que le Conseil de l’UE demandait déjà l’opinion de la Commission européenne. Cette dernière doit en effet évaluer le degré de préparation du pays à une éventuelle adhésion avant que le Conseil n’accorde le fameux statut de pays candidat. Sans timing précis, donc. Dans le cas de la Bosnie-Herzégovine par exemple, la Commission avait mis trois ans avant de remettre son avis au Conseil.

« Remettre un avis sur le degré de préparation d’un pays à l’adhésion demande du temps. Et c’est d’autant plus compliqué quand on a face à soi un pays en guerre. Les interlocuteurs ne sont pas clairement identifiés, la situation est instable et on ne sait pas comment cela va évoluer. » ajoute Benjamin Bodson.

Benjamin Bodson, chercheur associé au sein du programme Affaires européennes de l'Institut Egmont
Benjamin Bodson, chercheur associé au sein du programme Affaires européennes de l’Institut Egmont© Benjamin Bodson

Bien qu’accélérée, l’adhésion peut aussi échouer

Dans les faits, le Conseil de l’UE et le Conseil européen peuvent mettre une forme de pression informelle sur la Commission pour accélérer sa prise de décision. Une fois la décision rendue – tenté si bien qu’elle soit positive – le Conseil peut d’emblée proposer de lancer les négociations. Mais l’issue peut très bien être négative.

Est-ce vraiment dans l’intérêt de l’Ukraine de démarrer cette procédure en pleine guerre, quand son économie et la santé de son pays sont au plus mal ? Car la Commission peut, au vu des circonstances, rendre un avis défavorable, estimant que l’Ukraine n’est pas dans une position qui lui permette de remplir les critères d’adhésion. Il serait alors délicat pour le Conseil de se prononcer, voire d’accorder le statut de candidat, et donc aller à l’encontre des recommandations de la Commission.

« Les Etats membres savent très bien qu’ils ont des opinions divergentes sur l’élargissement de l’UE. Les pays fondateurs – la France, l’Allemagne et le Benelux – sont plus prudents et attachés au respect du cadre. Car il y a un quatrième critère d’adhésion: la capacité de l’UE à absorber un nouveau pays. L’Ukraine compte 44 millions d’habitants, et serait le 5ème État de l’UE en termes de population. Cela aurait un fort impact sur le rapport de force. Si on compte la Géorgie et la Moldavie, qui ont aussi fait leur demande d’adhésion, l’UE passerait à 30 Etats membres. Compte tenu des difficultés liées à la prise de décision à 27, un tel élargissement pourrait imposer de revoir le fonctionnement des institutions et de leurs procédures. Les Etats membres sont-ils prêts à ouvrir cette boîte de Pandore ?« , s’interroge Benjamin Bodson.

Des conséquences diplomatiques incertaines

Un autre point important qui fait assurément hésiter les leaders européens : l’égalité de traitement. Aujourd’hui, cinq pays ont obtenu le statut de candidat à l’adhésion (Albanie, Macédoine du Nord, Monténégro, Serbie, Turquie) et deux ont engagé la procédure de candidature (Bosnie-Herzégovine, Kosovo). La Géorgie et la Moldavie ont également suivi l’Ukraine dans leur souhait d’adhérer à l’UE. Quelle serait la réaction de ces pays si un éventuel « traitement de faveur » était accordé à l’Ukraine ?

« A partir du moment où l’on établit des procédures, si on montre une forme de largesse dans leur application, cela nous décrédibilise. La Commission européenne en particulier défend bec et ongle l’Etat de droit et le respect des règles : quel signal envoie-t-elle si elle ne suit pas ses propres règles ? La question de l’adhésion est aussi – peut-être trop – symboliquement forte, on l’a vu avec le Brexit. Cela tourne souvent autour du débat entre ‘être dedans ou dehors’: mais en réalité, il y a mille possibilités« , précise Benjamin Bodson.

Si, aujourd’hui, le mot « adhésion » est sur toutes les lèvres, il existe en effet d’autres moyens d’intégrer l’Ukraine. Comme renforcer l’accord d’association, en vigueur depuis le 1er septembre 2017. Pour faire court, cet accord permet un approfondissement des liens politiques, économiques, démocratiques et commerciaux entre un pays non-membre et l’UE. Il pourrait donc être envisagé d’aller encore plus loin dans cet accord, et ainsi intégrer – et non adhérer – davantage l’Ukraine à l’Union européenne.

Enfin, cela éviterait peut-être des relations encore plus tendues avec la Russie. Il est aujourd’hui très difficile d’imaginer la réaction de Vladimir Poutine à une adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne. Les conséquences géopolitiques pourraient être énormes, et notamment à cause de la clause de solidarité, qui oblige les Etats membres à apporter « aide et assistance par tous les moyens en leur pouvoir » si l’un d’entre eux est attaqué militairement.

Benjamin Bodson conlut : « Il est important de ne pas susciter des attentes que l’on ne pourrait pas rencontrer. On créerait des frustrations, ce qui pourrait avoir un effet boomerang très négatif pour l’UE. »

Aurore Dessaigne

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