Jules Gheude

Entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen, mon choix est fait

Jules Gheude Essayiste politique

Marine Le Pen veut jeter le bébé avec l’eau du bain. Emmanuel Macron propose de retoucher le tableau pour le rendre plus attirant. Entre ces deux options, mon choix est fait. Je me suis toujours méfié des apprentis-sorciers.

J’ai toujours été un chaud partisan de l’intégration européenne. C’est la raison pour laquelle j’ai répondu favorablement à la proposition d’Antoinette Spaak de figurer à la 3e place sur la liste ERE-FDF (Europe, Régions, Environnement de François Roelants du Vivier) pour les élections européennes de 1989.

Cette liste fut présentée officiellement, le 28 mai 1989, lors d’un Congrès organisé à l’Arsenal de Namur, en présence de François Perin, qui profita de l’occasion pour répondre à l’accusation de francolâtrie chauvine, portée contre lui, quelques semaines plus tôt, par José Happart :

J’ai soutenu la juste cause fouronnaise de José Happart, mais ne puis cautionner ses positions ultra-régionalistes. La culture française, à travers les siècles, n’a jamais été fermée, puisqu’elle a participé à l’interaction, à l’interdépendance et à la fécondité réciproque des éléments de culture européenne émanant des nations et s’exprimant dans leurs langues diverses. Les chauvinismes nationaux n’ont pas réussi à dresser des barrières.

C’est exactement le discours que tient aujourd’hui Emmanuel Macron.

Les exemples abondent, qui démontrent l’ouverture de la France aux autres cultures.

François Ier ne recourut-il pas aux plus grands artistes italiens pour les résidences royales ? L’Italie et l’Egypte n’inspirèrent-t-elle pas la France de Napoléon ?

Racine puise abondamment dans l’antiquité gréco-romaine et Molière, dans la commedia dell’arte. Louis XIV ne jure que par Lully. Montesquieu écrit ses « Lettres persanes », Voltaire fréquente Fréderic II de Prusse et Catherine II de Russie, le XIXe siècle français est imprégné d’orientalisme (Chateaubriand, Flaubert, Lamartine, Nerval,…). Plus près de nous, citons encore l’inclination-rupture de Debussy à l’égard de Wagner – Debussy faisant le pèlerinage à Bayreuth – et la relation Sartre-Heidegger, dans la filiation de Husserl. Quant à Albert Camus, il se sent le coeur grec.

Contrairement à Marine Le Pen, Emmanuel Macron n’entend pas isoler la France. Il sait fort bien ce que celle-ci doit, en termes de renommée, à ces personnalités issues de l’immigration et qui ont nom Emile Zola, Guillaume Apollinaire, Marie Curie, Pablo Picasso, Samuel Beckett, Emmanuel Levinas ou Pierre Cardin (voir à ce sujet « Le Dictionnaire des étrangers qui ont fait la France », sous la direction de Pascal Ory, Robert Laffont, 2013).

Je partage donc son souci de redonner un souffle nouveau à l’Europe. Seule une Europe forte sera capable de nous aider à affronter les défis d’un monde en pleine mutation et de nous offrir la sécurité nécessaire, notamment pour lutter contre l’intégrisme islamique.

Pour la première fois, un sondage paru dans le quotidien « The Times » indique qu’une majorité de Britanniques regrettent le résultat du référendum du 23 juin 2016 en faveur de la sortie de l’Union européenne.

Les marins-pêcheurs que Marine Le Pen a tenu à rencontrer récemment mesurent bien, eux, les conséquences néfastes de ne plus pouvoir s’aventurer dans les eaux territoriales anglaises.

Le rétablissement d’un franc français ne manquerait pas de se traduire par une forte hausse des taux d’intérêt, qui ne ferait qu’alourdir la dette. Celle-ci pourrait atteindre rapidement 115% du PIB. Les tenants du Frexit parlent de déprécier la monnaie, de façon à doper les exportations. Mais ils oublient de dire que le pouvoir d’achat des Français sera fortement impacté. Bref, on ne pourrait éviter une austérité renforcée.

Repliée sur elle-même, la France pèserait bien peu face aux grands blocs, tels que la Russie (145 millions d’habitants), les Etats-Unis (320 millions d’habitants), la Chine ou l’Inde (1,3 milliard d’habitants). Comment, dans ces conditions, agir efficacement sur le commerce international, le changement climatique ou encore la régulation financière ?

Outre la question européenne, Emmanuel Macron offre une recomposition de l’échiquier politique, rompant avec les tabous idéologiques qui n’ont engendré que palabres stériles et paralysants.

Sa « troisième voie » n’est autre celle que prônait François Perin il y a 36 ans. Dans « Germes et bois morts dans la société politique contemporaine » (Editions Rossel), publié en 1981, n’écrivait-ils pas :

Le socialisme libéral et le libéralisme social peuvent donc s’associer au lieu de se combattre en tombant dans le piège des mots. Ils seraient comme les deux bouts d’un balancier : souplesse, équilibre, mouvement, adaptation. Le capitalisme prédateur et le socialisme autoritaire, ces deux monstruosités du siècle, ont assez démontré la capacité de folie suicidaire des hommes, pour que l’on tente partout d’ouvrir des voies à un comportement plus équilibré, plus serein et plus sage. Furia ideologica delenda est !

Marine Le Pen et Nicolas Dupont-Aignan se réfèrent volontiers à Charles de Gaulle. Mais qu’ont-ils en commun avec lui ?

De Gaulle avait fait le choix de la résistance, non celui de l’extrême droite collaborationniste.

Le général avait aussi compris la nécessité de bâtir l’Europe au départ de l’axe franco-allemand. Le chancelier Konrad Adenauer avait été reçu à Colombey-les-Deux-Eglises. Marine Le Pen, elle, ne cesse de dire pis que pendre d’Angela Merkel.

Les Etats-Nations sont des monstres froids nés de la violence. L’Histoire nous a appris à nous méfier des égoïsmes souverainistes.

Amener les Européens à évoluer dans une sphère pacifiée après avoir vécu, en l’espace de 22 ans, deux tragédies atroces, tel était le pari des pères de la construction européenne. Pari réussi. J’ai 70 ans et n’ai pas connu la guerre.

Certes, la porte a été ouverte à des pays qui n’étaient pas suffisamment prêts pour se lancer dans l’aventure. Il eût fallu davantage tenir compte de la réalité concentrique de l’Europe. Face à un noyau central fort, la périphérie affichait un caractère plus hétérogène, qui impliquait des statuts propres.

L’Europe ne peut pas non plus fonctionner correctement avec des Conseils des Ministres qui ne représentent que les intérêts des Etats jaloux et paralysent la Commission, censée, elle, décider au nom de l’Europe.

Marine Le Pen veut jeter le bébé avec l’eau du bain. Emmanuel Macron propose de retoucher le tableau pour le rendre plus attirant. Entre ces deux options, mon choix est fait. Je me suis toujours méfié des apprentis-sorciers.

(1) Dernier livre paru : « Un testament wallon – Les vérités dérangeantes », Mon Petit Editeur, Paris, 2016.

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