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La gestion catastrophique de la crise du Covid par le président Bolsonaro devrait le priver d’un certain nombre d’électeurs, y compris dans les milieux évangéliques. © getty images

Elections présidentielles au Brésil : Lula, le vote de raison

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Sauf surprise, le scrutin présidentiel des 2 et 30 octobre devrait consacrer le retour au pouvoir du candidat de gauche. Tant pour éviter la poursuite de l’expérience populiste de Bolsonaro que pour doter le pays en crise économique d’un dirigeant expérimenté.

Lula, comme l’annoncent les sondages depuis des semaines? Bolsonaro, sur le fil malgré tout? En dépit d’une remontée du président sortant dans les enquêtes d’opinion début septembre, le doute autour de l’élection présidentielle des 2 et 30 octobre au Brésil repose davantage sur l’immédiat après-scrutin et la manière dont le dirigeant de la droite radicale acceptera, ou non, le verdict des urnes.

Une certitude, le futur locataire du palais de l’Aurore à Brasilia ne sera pas dépaysé. Entre les deux favoris du scrutin, Luiz Inácio Lula da Silva, à la tête de l’Etat de 2003 à 2010, et Jair Bolsonaro, au pouvoir depuis 2019, la défense du bilan lors de la campagne électorale a pourtant été un exercice inégal. Le premier n’a pas eu trop de difficultés à mettre en valeur la période de son mandat, encore considérée par beaucoup comme «un âge d’or du Brésil» par le dynamisme de l’économie, les avancées dans la lutte contre la pauvreté, le rayonnement international du pays qui l’ont caractérisée. Lula a donc eu beau jeu de clamer que s’il était élu, le Brésil qu’il retrouverait serait dans une situation pire que celle dont il avait hérité lors de sa première élection, il y a vingt ans.

Quand il a quitté le pouvoir, Lula bénéficiait encore de plus de 80% d’opinions favorables parmi la population.

Séduire les évangéliques

«La population qui a bénéficié de la politique de Lula est bien sûr nostalgique de cette période, analyse Frédéric Louault, professeur à l’ULB et spécialiste de l’Amérique du Sud. Mais il avait aussi perdu la confiance d’une partie des classes moyennes qui n’ont pas autant gagné sous son mandat que les élites économiques et les populations les plus déshéritées soutenues par les programmes de redistribution. Ce sont elles qui se sont largement tournées vers Jair Bolsonaro pour permettre son élection en 2018. Il ne faut cependant pas oublier que Lula, quand il a quitté le pouvoir en 2010, bénéficiait encore de plus de 80% d’opinions favorables parmi la population. Beaucoup de Brésiliens sont très critiques envers le Parti des travailleurs qui a gouverné entre 2003 et 2016 (NDLR: Dilma Rousseff ayant succédé à Lula en 2011) mais établissent une distinction entre le parti et Lula, considéré comme une personnalité à part, qui dépasse les clivages. La société brésilienne étant très polarisée, une autre partie de la population reste quand même très hostile à la fois à Lula et au PT.»

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Pour réduire le pouvoir de celle-ci, Lula a posé des gestes en direction de l’électorat évangélique, de plus en plus déterminant dans toute élection au Brésil et largement acquis au programme de Bolsonaro en 2018. En 1980, le «rapport de force» entre les catholiques et les protestants était de 90% pour les premiers et de 6% pour les seconds. Vingt ans plus tard, il était de 65% et 25%. Aujourd’hui, il est établi aux alentours de 50% contre 33%… Pendant la campagne, le candidat de gauche s’est adressé en particulier aux femmes et aux fidèles des quartiers défavorisés, en essayant de convaincre des pasteurs de la compatibilité de son programme avec les valeurs des évangéliques. «Parce qu’il a beaucoup offert à leurs Eglises pendant son mandat, Jair Bolsonaro reste néanmoins en tête des intentions de vote des électeurs évangéliques, souligne Frédéric Louault. Mais de manière beaucoup moins importante qu’il y a quatre ans parce que sa manière de gouverner, sa gestion catastrophique de la crise sanitaire lui ont fait perdre du crédit au sein de cette partie de la population, majoritairement féminine et pauvre.»

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Polariser le débat

On le voit, défendre son bilan n’est pas toujours opération aisée pour le président sortant. Frédéric Louault souligne combien Jair Bolsonaro n’a plus l’étiquette d’outsider qui, notamment par la couverture médiatique qui lui avait été consacrée et par l’utilisation inédite qu’il avait faite des réseaux sociaux, lui avait tant souri en 2018. «A l’époque, le Brésil lui avait signé un chèque en blanc. Aujourd’hui, les Brésiliens se retrouvent avec la facture de ce gouvernement.» Conséquence, pour éviter d’être rattrapé par son bilan, le président sortant a joué sur les provocations pour orienter la campagne autour de questions polarisantes, notamment celle de la corruption dont ont été accusés Lula et Dilma Rousseff, les charges contre le premier ayant été annulées pour vice de procédure. Il a aussi surutilisé les moyens de l’Etat au profit de sa candidature.

Parce qu’en cas de second tour, c’est une autre campagne qui commence et parce qu’il importe de priver Bolsonaro d’arguments pour contester son éventuelle défaite, Lula a tout intérêt à l’emporter dès le premier round, le 2 octobre. Un sondage de l’institut Datafolha, publié le 23 septembre, lui attribuait 47% de suffrages, en progression de deux points par rapport à la semaine précédente. Son principal adversaire n’était crédité que de 33% des voix. Lula a donc martelé en fin de campagne le credo du «vote utile» pour écarter Jair Bolsonaro dès le premier tour. Un message destiné en particulier aux potentiels électeurs du troisième homme de la campagne, le candidat de centre-gauche Ciro Gomes (7% d’intentions de vote), qui fut ministre de l’Intégration nationale du président de gauche entre 2003 et 2006.

Le 22 septembre, un autre ancien président, Fernando Henrique Cardoso, de centre-droit, a lui-même appelé à voter «pour la démocratie» et en faveur de «la personne engagée contre la pauvreté et contre les inégalités» dans laquelle peu de Brésiliens ont reconnu Jair Bolsonaro. Lula apparaît donc à beaucoup comme le candidat de la raison, à même de reconstruire le Brésil parce qu’il est expérimenté et ne fait plus peur, même aux patrons, et parce qu’il est le plus à même d’éviter au pays les affres d’une nouvelle aventure à la Bolsonaro.

«Le pire du populisme d’extrême droite»

Tirer le bilan de la présidence de Jair Bolsonaro consiste à dresser «une liste aussi conséquente que sinistre de crimes, forfaits et abjections ayant mis à genoux l’un des plus grands pays du monde», résume Bruno Meyerfeld, correspondant du Monde à Rio, dans son remarquable récit sur la vie et «l’œuvre» du président sortant, Cauchemar brésilien (1). Et de préciser: «Ce sont ces millions de Brésiliens qu’on a laissé sombrer dans la misère absolue ; ces dizaines de milliers de kilomètres carrés de forêt amazonienne rasés à jamais ; ces centaines de paysans sans terre, de militants de gauche, de personnes trans et de caciques indigènes assassinés. Et puis, enfin, ces plus de 650 000 décès provoqués par l’épidémie du Covid-19, plus grave catastrophe humanitaire de l’histoire du Brésil. Sur ce total, les experts évaluent à au moins 400 000 le nombre de victimes directement imputables à l’action de Jair Bolsonaro.» Or, rappelle le journaliste, huit Brésiliens sur dix disaient souhaiter être vaccinés contre le Covid-19, l’un des chiffres les plus élevés au monde… Pour situer le cynisme de Jair Bolsonaro, il suffit de se rappeler sa réplique à son ministre de la Santé, Luiz Henrique Mandetta, qui tentait de le convaincre qu’il n’y pas pire mort au monde que celle d’une personne qui agonise par asphyxie: «La mort des vieux, c’est le cycle de la vie!» Le ministre fut limogé un peu plus tard.

Bruno Meyerfeld décrit bien comment Bolsonaro a réussi à construire un édifice de conquête du pouvoir autour de quatre piliers – l’armée, l’agronégoce, les évangéliques et l’aile «idéologique» (c’est-à-dire complotiste) – et comment, arrivé au pouvoir en tant que candidat antisystème, il a dû se soumettre au système pour s’y maintenir après les erreurs commises lors de la crise sanitaire. «Jair Bolsonaro est effrayant et fascinant car il donne l’impression d’être sans limite. Il est la démonstration de ce que peut faire aujourd’hui en pire le populisme d’extrême droite.»

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