J.D Vance, candidat républicain à un poste de sénateur dans l’Ohio, est convaincu que les politiques démocrates ne répondent pas aux besoins de l’Amérique désindustrialisée. © belga image

Elections de mi-mandat: James David Vance, l’auteur démocrate devenu fervent républicain

Maxence Dozin
Maxence Dozin Journaliste. Correspondant du Vif aux Etats-Unis.

Dans l’Ohio, le Parti républicain présente James David Vance, un ancien militant démocrate devenu auteur à succès, pour briguer un poste de sénateur. Le livre qui l’a fait connaître racontait le déclin de sa région. Il s’en sert aujourd’hui comme argument de campagne.

Contexte

Le 8 novembre, les électeurs américains sont appelés à renouveler l’ensemble des sièges de la Chambre des représentants et un tiers de ceux du Sénat. La Chambre des représentants, aujourd’hui à majorité démocrate, devrait basculer du côté républicain. Le Sénat, où les démocrates disposent du même nombre d’élus, cinquante, que les républicains mais bénéficient de la voix prépondérante de la vice-présidente Kamala Harris qui préside cette assemblée, sera l’objet de toutes les attentions. Sur les 35 sièges à pourvoir, huit seront particulièrement disputés.

Descendre le long de la rivière Ohio offre un poste d’observation idéal pour appréhender le déclin économique américain depuis la fin des années 1970. A cette époque, toute l’industrie lourde, au premier rang l’acier, migra vers l’étranger, principalement vers la Chine. Si certaines villes s’en sont remises – Pittsburgh et Louisville en fournissent de bons exemples –, d’autres, en revanche, peinent encore aujourd’hui à renaître de leurs cendres. En de nombreux endroits, dans l’Ohio, en Pennsylvanie ou dans l’Indiana, les abords du cours d’eau, jadis voie de passage et pourvoyeur d’emplois, ont laissé la place à un paysage urbain désolé parsemé d’entreprises de production de biens ayant fermé les unes après les autres.

Pour toute une génération d’Américains déçue par une élite démocrate fédérale jugée déconnectée de la réalité, le Parti républicain est devenu une option crédible.

James David Vance en sait quelque chose. Ce trentenaire, en course pour un poste de sénateur au nom du Parti républicain dans l’Ohio, est devenu en 2016, de façon inattendue, un auteur à succès en publiant Hillbilly Elegy (Harper Press, paru en français au Livre de poche), des mémoires sur son enfance et son adolescence passées dans un environnement social frappé par une grande précarité. Balancé entre les montagnes du nord du Kentucky et la ville de Middletown, dans l’Ohio, où, recueilli par sa grand-mère, il a vécu l’essentiel de ses vingt premières années, J.D. Vance est parvenu à tirer son épingle du jeu et à monter plusieurs marches dans la hiérarchie sociale américaine. Après avoir obtenu son diplôme en droit à la prestigieuse université de Yale, il est devenu investisseur en capital à risque en Californie avant de connaître le succès commercial avec son livre, adapté en long métrage en 2020.

Centré sur l’expérience de résilience de l’auteur, Hillbilly Elegy est aussi le portrait d’une Amérique oubliée, celle des plaines industrielles du Midwest, qui, de Detroit à Cincinnati, ont perdu en quarante ans des centaines de milliers d’emplois en col bleu, absorbés par le commerce mondialisé. «Toute la région peine à se remettre des ravages provoqués par la désindustrialisation. Si le Parti démocrate se pose historiquement en défenseur des travailleurs des classes ouvrière et moyenne, les républicains tentent plus que jamais de les courtiser, en se présentant comme les seuls capables de revitaliser un environnement urbain en grande décrépitude», commente Tim Burke, professeur d’histoire à la retraite d’une école de Cincinnati.

En plein centre de Middletown, l’image d’une Amérique en déclin.
En plein centre de Middletown, l’image d’une Amérique en déclin. © maxence dozin

Pas tendre avec les Américano-écossais

Certains s’étonnent légitimement qu’une personnalité comme James David Vance, qui a connu la grande pauvreté durant son enfance et son adolescence, décide non seulement de rejoindre le Parti républicain mais, de surcroît, de solliciter et d’obtenir le soutien de Donald Trump, qui n’est pas exactement connu pour briller par ses aspirations en matière sociale. «J.D. Vance est un déçu du Parti démocrate, estime Will Swaim, directeur d’un cercle de réflexion conservateur et chroniqueur au Wall Street Journal, premier quotidien économique des Etats-Unis. Si, comme il le rappelle dans son livre, son grand-père était un soutien fidèle du Parti démocrate, il estime désormais que les politiques de gauche sont inconciliables avec une revitalisation économique dans des territoires où il faut presque repartir de zéro.»

Cette réalité sinistre est bien perceptible à Middletown, petite ville en bordure de Cincinnati, que l’auteur a quitté depuis lors. Alors que le secteur de l’acier occupait, au milieu du XXe siècle, plusieurs milliers de personnes, dont le grand-père de Vance, la municipalité est presque devenue une «ghost town», une ville fantôme. N’y subsiste qu’un petit centre urbain où les rares enseignes encore présentes sont des prêteurs sur gage ou des chaînes d’alimentation de hard discount. Une grande partie de la population survit grâce aux aides sociales et aux chèques repas distribués par le gouvernement fédéral. La ville ne présente donc pour le visiteur de passage que peu d’intérêt, même si des travaux sont en cours sur l’artère principale. En outre, et comme c’est souvent le cas aux Etats-Unis dans les villes en déclin, il est presque impossible de manger varié, sauf chez soi. Ne sont disponibles sur place, en matière de restauration, que les sempiternelles chaînes de fast-food qui proposent des menus à quelques dollars.

Au coin de la Central Avenue, le Torchlight Pass, anciennement détenu par la grande chaîne d’habillement JC Penney, a été rénové par la municipalité pour en faire un centre de commerces et de salles de sport. Avec un succès mitigé. Sur un parking situé non loin de là, pourtant en plein centre, deux voitures «ancêtres» abandonnées depuis longtemps se désagrègent lentement. Dans les quelques rares bars ouverts des rues adjacentes, si beaucoup semblent connaître James David Vance le politicien, certains ignorent l’auteur, et plus encore le fait qu’il soit un enfant du pays.

Davina, qui, elle, connaît les deux casquettes du candidat, regrette que celui-ci ait quitté la ville: «De plus, on ne peut pas dire qu’il donne une bonne image des Américains d’origine écossaise, nombreux dans la région, qui sont à l’origine de son ethnicité.» Dans de longs passages de son livre, ils sont décrits comme des gens «authentiques», mais fondamentalement rustres et ingérables. J.D. Vance l’auteur explique notamment comment un jeune père de famille, embauché comme paqueteur dans une entreprise de tuiles, a été offusqué d’avoir été congédié par son employeur après avoir omis à de multiples reprises de se présenter à son travail. «Alors que les emplois sont rares dans la région, une génération de jeunes hommes et de jeunes femmes ont complètement oublié les vertus de l’effort et du travail, préférant se positionner en victimes du système», écrit dans Hillbilly Elegy le candidat républicain.

Dans la campagne pour les élections de mi-mandat, les républicains n’hésitent pas à cibler le «bilan» de Joe Biden.
Dans la campagne pour les élections de mi-mandat, les républicains n’hésitent pas à cibler le «bilan» de Joe Biden. © maxence dozin

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«Pour toute une génération d’Américains déçue par une élite démocrate fédérale jugée déconnectée de la réalité, le Parti républicain est devenu une option crédible car cela fait quarante ans qu’ils attendent une reprise économique d’ampleur, explique Will Swaim, le chroniqueur au Wall Street Journal. Les raisons qui ont poussé Vance à se rapprocher de Trump sont doubles: par opportunisme électoral, il a estimé qu’il ne pouvait pas faire sans son soutien, et il est persuadé, pour les avoir éprouvées, que les politiques de gauche qu’il identifie ne sont pas en mesure de tirer de la misère une région qui se cherche depuis si longtemps.»

Il est dès lors piquant de constater que, dans l’Ohio, un parmi la demi-douzaine de scrutins au poste de sénateur dont l’issue est incertaine, les programmes de J.D. Vance et de son opposant démocrate Tim Ryan sont assez similaires. Ici, pas de manœuvres politiques centrées sur les questions de l’identité ou de l’avortement, comme cela peut être le cas dans les Etats conservateurs du sud ou du nord-ouest du pays. La préoccupation première est la reprise économique, avec comme points de discorde principaux, la nature des politiques publiques à mettre en œuvre et la place à réserver aux syndicats pour parvenir à rétablir une croissance soutenue.

«L’Ohio est une terre assez progressiste d’un point de vue social. Le moralisme religieux n’y a pas vraiment droit de cité, analyse Tim Burke, le professeur d’histoire à la retraite. Les gens sont intéressés en premier lieu par les perspectives d’emploi, et, pour beaucoup, ont le sentiment que les démocrates ne sont pas en mesure de proposer des solutions constructives et concrètes.» Mais si Donald Trump avait déclaré en son temps une guerre commerciale à la Chine, promettant de rapatrier sur le territoire national des milliers d’emplois, les résultats dans l’Ohio semblent ténus. Reste à voir si l’érudition et la combativité affichées par le candidat James David Vance seront en mesure, si pas de ramener des emplois, de le propulser au Sénat pour faire barrage aux politiques sociales «progressistes» défendues par le président Joe Biden.

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