A l'université Panthéon-Sorbonne à Paris, des étudiants qui se refusent à choisir entre Macron et Le Pen expriment leur sentiment de révolte. © belga image

Election présidentielle | Ni Macron, Ni Le Pen: ces électeurs qui refusent de voter pour les deux candidats

Laurence D'Hondt
Laurence D'Hondt Journaliste

Les deux candidats espèrent récupérer une partie des 21,95% des voix du premier tour qui se sont portées sur Jean-Luc Mélenchon. Mais, plutôt que « l’ultralibéralisme et le fascisme », c’est sans doute l’abstention qui va prévaloir chez ces électeurs. Témoignages.

La phrase répétée à trois reprises par Jean-Luc Mélenchon au soir du premier tour de l’élection présidentielle est restée en travers de la gorge de Robert. « Il ne faut pas donner une seule voix à Mme Le Pen », a asséné le candidat de l’Union populaire, leader de La France insoumise pour lequel Robert venait de donner sa voix. Cette phrase, martelée comme une injonction autoritaire, ne lui convient pas. Car pour lui, le premier « ennemi » de la nation n’est plus Marine Le Pen, mais le président sortant, Emmanuel Macron. « Cet homme se fiche du peuple français. Il a vendu les joyaux de l’industrie française, Alstom, Lafarge, place partout ses copains, laisse l’hôpital dans la misère puis, dès qu’il y a une manifestation, envoie des hordes de policiers. »

Qui va à présent parler de l’écologie, d’un monde plus solidaire, d’un avenir meilleur?

Robert a fait partie, dès l’automne 2018, des gilets jaunes qui ont occupé les ronds-points de la région du Nord-Pas-de-Calais mais il a dû lâcher le combat pour s’occuper de sa survie économique. Pour ses camarades de lutte, Emmanuel Macron n’a qu’un nom, « l’éborgneur », en souvenir des gilets jaunes blessés par les forces de l’ordre lors des manifestations. « C’est le président le plus détesté que j’ai connu », s’exclame-t-il.

S’il se résout aujourd’hui à voter Marine Le Pen, comme près d’un cinquième des électeurs de Jean-Luc Mélenchon selon le sondage Ifop-Fiducial pour LCI du 18 avril, il le fait aussi par calcul. « Cela n’était pas mon premier choix, reconnaît-il, mais je refuse l’abstention qui ne fera que contribuer à la victoire de Macron. » Quant au vote utile, le vote « barrage républicain » contre l’extrême droite, Robert n’a que « trop vu où cela nous mène: à rien ». Ayant voté à l’extrême gauche de l’hémicycle au premier tour, Robert glissera donc son bulletin à l’extrême droite au second, un basculement radical qui, pour lui, a sa logique, celle d’une classe populaire qui a le sentiment d’avoir été trop longtemps délaissée et dupée.

Et l’effort de guerre des entreprises?

Rien de tel n’est envisageable, ne fût-ce qu’une seconde, pour Christophe. Agé d’une cinquantaine d’années, il vit à Paris et se contente de petits revenus. Traditionnellement à gauche, il a voté Mélenchon au premier tour et reste dubitatif sur le choix qui lui reste au second. Il est très critique à l’égard du bilan d’Emmanuel Macron, mais voter Marine Le Pen constitue un Rubicon qu’il ne franchira pas. La dérive libérale du président sortant, les milliards de dette creusés pendant le confinement et l’absence de contributions demandées aux entreprises qui ont fait des milliards de bénéfices durant la pandémie, le laissent perplexe: « Nous étions « en guerre », selon ses mots. Alors pourquoi ne pas avoir demandé à ces entreprises de contribuer à l’effort de guerre? »

Familier de la ville de Belfort où il se rend régulièrement pour le travail, il n’est pas étonné de la cartographie électorale de cette municipalité de province qu’il a scrutée à la loupe. Le centre y est mélenchoniste, la proche banlieue macroniste et la lointaine banlieue lepéniste. En démocrate, il ne condamne personne pour son choix. « Je comprends ces gens qui votent Le Pen: ils vivent éloignés des centres, avec des salaires assez minables. Le moindre changement de prix affecte leur fragile équilibre et la présence des immigrés est un facteur anxiogène supplémentaire. » Mais Christophe, lui, ne se sent pas menacé par les immigrés. D’ailleurs, il les trouve souvent plus sympathiques que ses compatriotes « français de souche ». En outre, il ne croit pas aux solutions que propose la candidate du RN en matière de hausse du pouvoir d’achat. Alors malgré son hostilité envers Macron, il votera pour lui.

« Pour l’honneur des travailleurs »

Tous ne sont cependant pas aussi résilients face au résultat des urnes. Assise face à la grande porte d’entrée de l’université Panthéon-Sorbonne, Milena, elle, ne peut s’empêcher de continuer à griffonner sa colère sur des bannières en tissu. Etudiante en deuxième année d’histoire, elle voulait rejoindre le groupe d’étudiants qui s’est installé au coeur de la première université de Paris, afin de dénoncer l’impossible choix à faire. « Nous sommes les jeunes de la Nation et nos préoccupations ne sont représentées par aucun des candidats du second tour« , s’indigne-t-elle, en énumérant les facultés françaises qui ont suivi leur mouvement. Des cordons de CRS sont désormais déployés devant l’entrée de la Sorbonne, empêchant tous les étudiants, manifestants ou non, d’entrer. Par une fenêtre cassée, des vivres sont apportés aux militants qui sont bouclés à l’intérieur de l’édifice d’où ils font régulièrement des appels au soulèvement par les fenêtres. En orchestrateurs improvisés de la révolte, ils accompagnent les chants entonnés par leurs amis restés sur le pavé, par-delà le barrage de CRS: « On est là, même si Macron ne veut pas, on est là, pour l’honneur des travailleurs et un avenir meilleur! »

Autour de Milena, des jeunes partagent sur leurs portables les chiffres du vote par tranches d’âge: 35% des 18 – 24 ans ont voté Mélenchon, soit le meilleur score auprès de la jeunesse française. Face à l’élimination de leur candidat et au choix qui leur est proposé entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron, ils s’insurgent. « On nous laisse le choix entre l’ultralibéralisme et le fascisme« , déclare l’un d’eux. « Qui va à présent parler de l’écologie, d’un monde plus solidaire, d’un avenir meilleur? » Contrairement à d’autres classes d’âge, cette jeunesse mobilisée ne peut se résoudre au renoncement. « Nous refusons de commencer notre vie politique en nous abstenant, s’exclame Milena, nous avons étudié le soulèvement de la commune de Paris en 1871. Notre imaginaire est nourri de ces révoltes et nous nous ferons entendre! »

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