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Doit-on taire le nom des terroristes ?

Thierry Denoël
Thierry Denoël Journaliste au Vif

Leur portrait et leur identité sont publiés dans tous les médias. Comme les tueurs de masse, les djihadistes ont acquis une célébrité à laquelle ils n’auraient jamais accédé autrement. Faut-il dès lors les rendre anonymes, pour ne pas susciter de vocations ? Est-ce possible ?

En rendant publics les noms et les portraits des djihadistes dont on relate les actes, les médias, les autorités judiciaires et les politiques ne sont-ils pas en train d’en faire involontairement des héros aux yeux de certains, jeunes notamment, qui pourraient avoir envie de leur ressembler ? Autrement dit : ne faut-il pas rendre tous ces tueurs anonymes ?

La question s’est déjà posée pour les tueurs de masse chez qui on a observé un inquiétant phénomène de mimétisme. Les anglo-saxons parlent de copycat. Or, les terroristes d’aujourd’hui présentent des caractéristiques similaires à celles de tueurs de masse, comme Eric Harris et Dylan Klebold qui, en 1999, avaient froidement abattu douze de leurs condisciples et un professeur du lycée Columbine, au Colorado, après avoir minutieusement préparé leur coup, ou comme Anders Breivik, le tueur norvégien qui, en 2011, avait fait exploser une bombe à Oslo et puis tiré plus de 3 000 balles sur l’île d’Utøya où se déroulait un rassemblement de jeunes du Parti travailliste, fauchant 77 vies.

Selon la criminologue française Lygia Négrier-Dormont, les tueurs de masse sont, eux aussi, des intolérants de nature idéologique, philosophique ou religieuse. Ils n’accordent pas le droit à autrui de penser différemment. Le mobile de leur crime peut se résumer à un attachement partisan fanatique. On l’a vu avec Breivik, qui se revendique de l’extrême droite et fait le salut nazi à son procès, ou Timothy McVeigh qui, pris de passion pour l’extrême droite milicienne et survivaliste, a perpétré l’attentat le plus meurtrier – avant le 11 septembre 2001 – de l’histoire des Etats-Unis à Oklahoma-City, en 1995, en faisant exploser un bâtiment fédéral (168 morts).

On retrouve surtout, chez les tueurs de masse comme chez les terroristes, la volonté de devenir célèbre. « C’est une caractéristique essentielle, explique Stéphane Bourgoin, spécialiste international des serial killers et des mass murderers. Qu’ils soient mus par un esprit de vengeance vis-à-vis de la société ou motivés par des causes idéologiques ou religieuses, tous recherchent la célébrité à travers leur crime. Une célébrité qu’ils n’auraient pu atteindre autrement car leur parcours personnel est médiocre et parsemé d’échecs. Ils n’ont jamais réussi quoi que ce soit au niveau scolaire, universitaire, professionnel, sentimental. Certains ont accumulé les petits boulots, d’autres ont sombré dans la délinquance dite ordinaire. »

Mehdi Abbes, qui défend des terroristes depuis vingt ans en Belgique (Nizar Trabelsi, Mohamed Badache, etc.), fait le même constat : « Ces djihadistes sont des paumés, même avec des diplômes, des gamins de 20-25 ans sans perspective d’avenir, à qui on promet qu’ils vont devenir les soldats de dieu, les redresseurs de tous les torts occidentaux. En outre, s’ils viennent en Syrie, ils recevront un 4×4 et de l’argent. Ils pourront devenir quelqu’un. Ceux qui meurent resteront pour l’éternité des soldats de dieu et on parlera d’eux dans le monde entier ! »

Les djihadistes se distinguent toutefois par l’organisation qui les manipule et les endoctrine à l’instar d’une secte. Les tueurs de masse sont, pour la plupart, des loups solitaires. Ils n’agissent pas en groupe. Mais on observe, chez les uns et les autres, un même phénomène d’imitation. Il y avait chez Mehdi Nemmouche, le tueur du Musée juif de Belgique, en mai 2014, une volonté de copier Mohammed Merah, le terroriste de Toulouse et de Montauban. Ces vocations mimétiques sont encouragées par la médiatisation des tueurs. « La publicité prévisible associée à ces types de crime fait partie des motifs de leurs auteurs », notait déjà, en 1986, l’expert psychiatre américain réputé Park Dietz. Interpellant : aux Etats-Unis, entre 2011 et 2014, il y eu une tuerie de masse tous les deux mois (64 jours), alors qu’entre 1982 et 2011, c’était tous les 200 jours.

L’Histoire, plus clémente que Dieu

Le testament que les tueurs laissent très souvent derrière eux, sous forme d’écrits ou de vidéos, attestent de cette postérité recherchée. Les deux tueurs de Columbine ont réalisé une vidéo numérique, où ils expliquent les raisons de leur geste. Les autorités ne l’ont pas rendue publique mais des parties ont été retranscrites sur le Web. Ils ont influencé plusieurs fusillades ultérieures, dont celle de l’université Virginia Tech (33 morts), en 2007, dont l’auteur a posté une vidéo semblable à celle de Harris et Klebold et que l’on peut voir partiellement sur Youtube. Les djihadistes laissent aussi des testaments derrière eux. On l’a encore vu avec l’ordinateur d’Ibrahim El Bakraoui qui s’est fait sauter à Zaventem. Son PC retrouvé dans une poubelle contenait un message audio posthume. « Et puis l’Etat islamique poste des vidéos à la gloire de ses martyrs. C’est le même principe », remarque Bourgoin.

Peut-on dès lors éviter toute cette publicité, en taisant le nom des terroristes comme celui des tueurs de masse, dont les actes auront moins de sens pour eux s’ils tombent dans l’anonymat ? « Bien sûr, un cordon sanitaire de l’incognito serait très utile, affirme Me Abbes. Les djihadistes ne sont pas dupes. Ils ne sont pas tous persuadés qu’ils seront assis à la droite de Dieu. Par contre, ils savent très bien qu’ils seront connus et qu’ils laisseront une trace dans l’Histoire. » En Suisse, les médias ne publient plus les noms des tueurs de masse ou alors juste leurs initiales. Il est d’ailleurs très difficile d’identifier, sur les sites des journaux helvètes, le tueur du parlement du canton de Zoug qui, le 27 septembre 2001, avait abattu 14 élus.

« Même chose au Canada, relate Stéphane Bourgoin. De plus en plus de médias ont décidé de taire les noms des tueurs de masse. Il s’agit d’une autodiscipline impulsée par des associations de familles de victimes qui se rendent compte que la presse offre une scène incroyable aux tueurs. On le voit encore avec Breivik qui vient d’intenter un procès très médiatisé contre l’Etat norvégien pour violation des droits de l’homme. Même s’il n’est pas filmé, il se met en scène et la publicité qui lui est faite est effrayante. » Pourtant, après son procès pénal en 2011, la question de la visibilité des tueurs s’était posée en Europe. Dagbladet, un grand quotidien norvégien, avait offert aux internautes la possibilité, en cliquant sur bouton virtuel, de supprimer les infos concernant Breivik sur la page d’accueil de son site Web.

Taire le nom des terroristes, est-ce possible ? Même quand ceux-ci font l’objet d’un avis de recherche ? « C’est toujours possible. Un portrait-robot ne doit pas forcément être associé à un nom, remarque Stéphane Bourgoin. La justice n’est pas obligée de révéler l’identité d’un tueur lorsqu’il est appréhendé. » Le problème est que les tueurs de masse comme les terroristes font de l’audience. Un média qui choisit de ne pas publier l’identité d’un tueur prend des risques commerciaux et subit la pression de l’opinion. « On pourrait aussi utiliser le phénomène d’imitation dans l’autre sens, en médiatisant davantage les médecins, les sportifs ou les chefs d’entreprise d’origine maghrébine », suggère Me Abbes. A méditer d’urgence.

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