» Dès qu’une femme écrit, pense, ça entraîne des attaques misogynes « 

Mélanie Geelkens
Mélanie Geelkens Journaliste, responsable éditoriale du Vif.be

Mal baisée, conne, moche : le triptyque anti-femmes. Notre collègue, Rosanne Mathot, vient d’en faire les frais, sur Twitter. Ni la première, ni la dernière. Décryptage des mécaniques misogynes avec Valérie Piette, professeure d’histoire contemporaine à l’ULB et spécialiste des questions liées au genre.

Pourquoi les insultes sexistes tournent systématiquement autour du physique, de la sexualité et de l’incompétence, terrains sur lesquels un homme ne se fera pas attaquer ?

C’est un grand classique. Depuis que les femmes prennent la plume, la parole, expriment des opinions, elles sont ramenées à leur condition de femmes. Elles sont censées être au foyer, faire des enfants, ne pas penser. Leur place serait là. Cette vision traverse toutes les idéologies. Tout changement est interprété comme un danger de côté de certains hommes. L’insulte physique, c’est l’attaque d’un corps. La femme est ainsi ramenée à son corps, qui ne servirait qu’à la reproduction. Dès qu’une femme écrit, pense, ça entraîne des attaques misogynes. On croyait que ça s’était atténué, mais je ne le crois pas.

On aurait pu espérer que les mentalités évoluent. Il y a eu la libération de la parole des femmes avec #metoo…

(elle interrompt) Justement, il y a eu #metoo ! Pour moi (même si une historienne ne devrait pas dire ça, vu la récence de l’événement), c’est un moment historique, un basculement important. Qui fait peur. À l’homme blanc, 50 ans, hétérosexuel. Qui se rend compte qu’il est privilégié. Cette notion de privilège, il n’y a rien de pire que de s’en rendre compte !

Cette manière de s’attaquer aux femmes traverse-t-elle tous les milieux ?

Complètement. L’antiféminisme se retrouve partout. Comme le féminisme lui-même traverse toutes les classes sociales.

Les réseaux sociaux, l’impunité de l’écran exacerbent-ils cette misogynie ?

Bien sûr. On vit dans l’ère de la parole dite libérée, facile. Il y a vingt ou trente ans, cette parole existait mais ne « passait » pas si simplement. Ici, les réseaux sociaux donnent de l’écho à des paroles isolées. A dix ploucs qui ne supportent pas qu’on s’attaque à leur animateur préféré. Ceci dit, les réseaux sociaux ont aussi permis aux femmes de se sentir moins seules, à comprendre que cela arrivait à d’autres.

Valérie Piette
Valérie Piette© Hatim Kaghat

Comment réagir ? Comment contrer, déconstruire ces insultes ?

Je pense qu’il faut continuer à dénoncer. A réagir. Se rendre compte, aussi, qu’on n’est pas seule. Toute femme qui a écrit va se voir ramenée à sa condition d’objet, de corps. Comment fait-on pour lutter contre une misogynie ancrée depuis des centaines d’années ? Par l’éducation, l’explication, l’histoire. Aborder la question des privilèges, de la connaissance de l’autre. Des cours sur l’histoire de l’émancipation des femmes, de l’homosexualité, des minorités… On n’en fera pas l’économie.

Porter plainte, aussi ?

Je crois que oui. Même si porter plainte est complexe. On l’a vu avec le mouvement #metoo, on sait à quel point c’est difficile. Il faut aussi être armé d’une législation adaptée.

Les harceleurs sont-ils conscients de la portée de leurs insultes ? N’agissent-ils pas par automatisme, sans réfléchir ?

Justement. C’est ça qu’il faut casser. La domination masculine est un véritable système dans lequel nous vivons, nous grandissons. Cette pensée est tellement dominante qu’elle se distille, presque naturellement. Il ne faut pas oublier non plus que les choses bougent, que des avancées importantes sont réalisées. Mais à chaque fois que les femmes gagnent certains combats, on leur fait payer.

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