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Des détenus californiens combattent le feu pour 2 dollars par jour

Mailys Chavagne
Mailys Chavagne Journaliste Web

Dans les prisons californiennes, environ 4000 détenus sont employés par l’État afin d’aider les pompiers dans leur lutte contre les incendies, en échange d’un salaire (ridicule) et d’une remise de peine.

Durant la Seconde Guerre mondiale, une grande partie de la main-d’oeuvre envoyée par la Division des forêts (désormais intitulée Calfire) afin de lutter contre les incendies s’épuise. Les équipes s’amenuisent malgré des feux de forêt toujours plus fréquents… Le California Department of Corrections and Rehabilitation (CDCR) intervient alors et propose une solution novatrice : pourquoi ne pas employer les détenus ?

Le CDCR va ainsi inciter les prisonniers à occuper des camps temporaires pour renforcer les forces régulières de lutte contre les incendies. Au total, 41 camps provisoires seront construits. Le projet se veut un véritable succès et en 1946, le premier camp permanent de conservation pour hommes est enfin mis en place.

Le service compte aujourd’hui environ 3700 détenus, pour 44 camps de conservation. Les hommes et les femmes se portent volontaires pour rejoindre ces structures, sous deux conditions : les prisonniers doivent avoir eu une bonne conduite et avoir suivi une formation de base. Les détenus reconnus coupables de viol ou d’incendie criminel seront donc immédiatement disqualifiés.

« Grâce à la réhabilitation et à des programmes tels que le programme de camps d’incendie, les détenus acquièrent des compétences utiles qui peuvent les aider à l’extérieur. Ces pompiers travaillent d’arrache-pied pour aider les habitants de la Californie en ces temps difficiles. Ils remboursent leur dette à la société de manière productive« , a déclaré au New York Times Alexandra Powell, porte-parole du département californien des services correctionnels et de réinsertion, qui aide à gérer le programme des camps d’incendie.

Au prix de nombreuses blessures

Sur les 9 400 pompiers qui luttent actuellement contre les incendies de forêt en Californie – responsables de la disparition de plus de 1000 personnes et de la mort de 65 autres -, les détenus volontaires sont particulièrement exposés au danger. Entre juin 2013 et août 2018, plus de 1 000 pompiers détenus ont eu besoin de soins hospitaliers, selon des données récoltées par le Time.

Ils seraient quatre fois plus susceptibles, par habitant, de subir des blessures causées par des objets, telles que des coupures, des ecchymoses, des dislocations et des fractures, par rapport aux pompiers professionnels travaillant sur les mêmes incendies. Ils seraient également huit fois plus susceptibles d’être blessés après avoir inhalé de la fumée et des particules.

Au cours des deux dernières années, trois détenus sont décédés des suites de blessures subies dans le cadre du programme de camp de conservation : un a été écrasé par un rocher, un autre par un arbre et un troisième a subi une grave coupure à l’artère fémorale. « En raison de la nature du travail et de l’exposition aux éléments, il y a des blessures inhérentes« , a expliqué au Time Vicky Waters, attachée de presse du CDCR.

Des détenus californiens combattent le feu pour 2 dollars par jour
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Des blessures qui, selon les détenus, ne seraient pas bien traitées… L’un des plus gros problèmes dans les camps viendrait du manque de soins apportés aux volontaires malades et blessés. Mathew Trattner, 22 ans, qui a passé 17 mois de sa peine dans un de ces camps, considère que le nombre de blessures parmi les pompiers détenus n’a rien de surprenant. « Parce que nous sommes dans un camp de prisonniers, ils ne font pas nécessairement attention à nos besoins physiques autant qu’aux pompiers« , a-t-il témoigné.

Lors d’un travail à l’extérieur, le jeune pompier volontaire s’est blessé à l’épaule en traînant un sac à dos de 22kg et une scie de plus de 6kg. « Je m’asseyais à 2 heures du matin, me levais et me mettais à pleurer parce que mon épaule me faisait très mal« , a-t-il déclaré. Malgré la douleur, le seul traitement qu’il aurait reçu ne comprenait que quelques ibuprofènes.

2 dollars par jour

Malgré les risques encourus par les détenus, le salaire reçu semble dérisoire et fait souvent polémique. Les prisonniers-pompiers touchent en effet 2 dollars par jour, plus 1 dollar supplémentaire par heure d’opération. En comparaison, le salaire minimal des pompiers de formation est de 20 dollars de l’heure.

Gayle McLaughlin, ancienne maire de Richmond, avait d’ailleurs réagi en 2017, alors qu’elle se présentait pour devenir Lieutenant-Gouverneur de l’État de Californie. Selon elle, il ne s’agit pas de travail, mais « d’esclavage« .

https://twitter.com/GayleforCA/status/921948930643959808Gayle McLaughlin for CA Lt. Gov – Vote TODAY!https://twitter.com/GayleforCA

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« Je supporte les programmes où les détenus peuvent réduire leur peine de prison en travaillant dans des « camps de conservations », en nettoyant les broussailles pour prévenir les incendies, et en luttant eux-mêmes contre les feux de forêt. Mais ils doivent être payés équitablement pour chaque jour de travail et un dollar de l’heure n’est pas un salaire juste« , précisait-elle sur son site de campagne.

Pourtant, malgré le bas salaire, les volontaires ne manquent pas… La raison ? Pour chaque journée de mobilisation sur le terrain, les détenus reçoivent deux jours de remise de peine. Certains estiment qu’il s’agirait davantage d’une carotte donnée à un âne pour le faire avancer qu’un cadeau : « C’est un travail tellement dangereux. Au minimum, les gens devraient recevoir un salaire juste « , a notamment déclaré la directrice du Center for Post secondary and Economic Success du Center for Law and Social Policy.

Difficultés à devenir pompier en sortant de prison

L’un des avantages du programme souvent mis en avant par les autorités pénitentiaires serait la possibilité pour les incarcérés de se réintégrer plus facilement à la société après leur libération. « Nos jeunes hommes ont généralement une expérience professionnelle limitée dans le monde réel. Par conséquent, un avantage qu’ils acquièrent ici est l’acquisition des compétences professionnelles nécessaires pour travailler pour un employeur dans le monde réel au moment de leur libération « , a déclaré Jim Liptrap, surintendant par intérim du camp de conservation du CDCR à Pine Grove, dans une interview accordée au Time.

Une « utopie », estiment beaucoup d’anciens détenus, qui peinent à retrouver une place dans la société. Ramon Leija, 27 ans, connaît très bien cette lutte, raconte le Time. Condamné pour vol qualifié, le jeune homme a travaillé dans un camp de pompiers pour mineurs à Ventura, il y a environ huit ans. Depuis qu’il a terminé sa peine, il essaie d’être embauché par un service d’incendie du comté de Californie, sans succès…

Des détenus californiens combattent le feu pour 2 dollars par jour
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Car même si chaque détenu a reçu une formation sur le terrain, beaucoup ont des difficultés à obtenir une licence de technicien médical d’urgence requise pourtant par la plupart des 900 services d’incendie de Californie. Et si ce n’est pas le manque de licence qui fait barrière, ce sont les préjugés des recruteurs. Certaines casernes interdisent en effet aux personnes ayant certains antécédents criminels de devenir pompiers, a expliqué Katherine Katcher, fondatrice de Root and Rebound, un groupe qui aide les personnes ayant des antécédents criminels à réintégrer la société.

Même s’il n’a toujours pas trouvé un emploi auprès des pompiers professionnels, Ramon Leija s’estime pourtant chanceux d’avoir redonné un sens à sa vie : « À 17 ans, tu ne sais pas vraiment où te mène la vie, mais après un certain temps d’isolement et de réflexion, lorsque je suis sorti du camp de pompiers, je me suis rendu compte que mon objectif était d’aider ma communauté à mon tour« .

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