Nancy Pelosi
Nancy Pelosi en compagnie de la présidente de Taïwan Tsai Ing-wen © Getty

Comprendre la crise provoquée par Nancy Pelosi: « La Chine n’envahira pas Taïwan aujourd’hui, ce serait suicidaire » 

Celine Bouckaert
Celine Bouckaert Journaliste au Vif

Mardi, la présidente la Chambre américaine des représentants Nancy Pelosi s’est rendue à Taïwan, une visite considérée comme « une provocation majeure » par Pékin. Pour Tanguy Struye, professeur de sciences politiques internationales à l’UCLouvain, les tensions entre la Chine et Taïwan doivent être prises très au sérieux. Décryptage.

Pourquoi Nancy Pelosi s’est-elle rendue à Taïwan malgré les réserves du président américain Joe Biden et les avertissements de la Chine ?

Tanguy Struye: les Etats-Unis ont une séparation des pouvoirs. Biden peut donc évidemment souhaiter que les parlementaires n’aillent pas à Taïwan, mais ça s’arrête là. Il faut aussi rappeler qu’aux Etats-Unis, il n’y a pas vraiment de discipline de parti. A cet égard, la visite de Nancy Pelosi n’est donc pas étonnante.

Il ne faut pas oublier non plus que Nancy Pelosi a toujours soutenu Taïwan et a toujours été très critique à l’égard de la position de la Chine. Sa visite, d’ailleurs, n’est pas sans précédent. Le républicain Newt Gingrich a visité Taïwan en 1997 alors qu’il était à la tête de la Chambre des représentants. Ici, Nancy Pelosi ne fait que ce qu’ont fait d’autres parlementaires américains. Ce n’est donc pas vraiment neuf, mais ce qui a changé, c’est le rapport de force entre la Chine et Taïwan. La posture de la Chine envers Taïwan est devenue beaucoup plus agressive.

De quelle manière ont évolué les rapports de force entre la Chine et Taïwan ?

Quand Newt Gingrich a visité Taïwan en 1997, Taïwan était en position de force militaire par rapport à la Chine. Ce n’est que depuis une vingtaine d’années que ce rapport de force a changé suite à l’évolution de la Chine, et ses investissements militaires. Aujourd’hui, la Chine se sent potentiellement capable de prendre Taïwan militairement, ce qui n’était pas le cas il y a 20 ou 25 ans. Et comme la position de la Chine a complètement changé sur la scène internationale, celle-ci veut se montrer et prouver qu’elle veut reprendre Taïwan. Ces deux, trois dernières années, on l’a vu agir de manière très agressive à Hong Kong alors que c’est contraire aux accords conclus à l’époque. La Chine s’affirme de plus en plus sur la scène internationale, et les rapports de force changent complètement dans la région.

Quelles sont les conséquences de ces tensions pour les Etats-Unis ?

D’une manière générale, Taïwan reflète les tensions qui existent depuis la crise économique de 2008-2009 entre la Chine et les Etats-Unis. La compétition entre Américains et Chinois se reflète évidemment aujourd’hui à Taïwan, mais aussi dans plein d’autres dossiers. La seule chose, c’est que Taïwan a toujours été une question très sensible, aussi bien du côté taiwanais, que du côté chinois, ce qui rend la situation extrêmement dangereuse. C’est beaucoup plus lié à des questions subjectives de prestige, de réputation, d’humiliation, etc., ce qui fait que la situation entre la Chine et Taïwan doit être prise très au sérieux.

La situation risque-t-elle de dégénérer au niveau militaire ?

La situation est très délicate pour l’instant. La Chine n’envahira pas Taïwan aujourd’hui parce qu’elle n’a pas mobilisé les forces nécessaires, et qu’au niveau logistique, elle n’a pas les moyens de le faire. Ce serait suicidaire. Elle pourrait attaquer ou bombarder Taïwan, mais à mon sens, c’est également très peu probable.

Il reste deux scénarios potentiellement problématiques. Le premier c’est que la Chine pourrait s’en prendre à de toutes petites îles en possession de Taïwan proches des côtes chinoises : entre autres l’île de Kinmen. Ce serait un acte de guerre. Le deuxième scénario auquel il faut faire attention, c’est que comme il y a des exercices militaires tout autour de Taïwan, il y a parmi elles évidemment aussi des forces militaires taiwanaises, et un incident n’est donc pas à exclure. Par exemple, une collision entre un avion chinois et taiwanais ou américain. Cela s’est déjà produit. En 2001, il y a eu une collision dans la région entre un avion américain et chinois, et cela avait conduit à une crise diplomatique. On l’a un peu oublié, mais c’était un précédent très important, car c’est ce genre d’incident qui aujourd’hui pourrait entraîner une crise beaucoup plus importante. Il n’est pas certain que ce genre d’incident serait résolu aujourd’hui de manière diplomatique, comme cela été le cas en 2001. Là encore, le rapport de force a complètement changé.

Faut-il s’attendre à une intervention américaine en cas d’attaque de ces petites îles ?

Je pense que non parce que ces îles ne sont pas extrêmement importantes, au niveau géographique ou géostratégique, mais il est clair que cela remettrait en question la politique américaine sur une Chine à deux systèmes. On ne sait pas non plus comment Taïwan réagirait. Ces deux derniers scénarios m’inquiètent plus que les deux premiers. Il ne faut pas oublier que les régimes autoritaires sont vraiment contre l’Occident, et que ce genre d’incident peut très vite découler sur un conflit.

Et c’est ce qui est inquiétant, car la diplomatie est de moins en moins présente entre les grandes puissances. Elles ne dialoguent plus vraiment sur le fond des questions. Et comme on se parle moins, un incident de ce type va amener potentiellement à des crises plus importantes.

L’Europe pourrait-elle jouer les intermédiaires ?

Non, ce n’est pas une critique à l’égard de l’Europe, mais l’Europe est un acteur secondaire en Asie pacifique. Il n’y a pas vraiment d’intermédiaire potentiel. Ce sont des négociations qui doivent avoir lieu entre Taïwan et la Chine, avec les Américains, ou même les Coréens, les Japonais, mais c’est vraiment régional, et je ne vois pas l’Europe jouer un rôle majeur.

Existe-t-il des similitudes entre l’attitude du président chinois Xi Jiping et celle du président russe Vladimir Poutine?

Si l’Ukraine est une obsession pour Poutine, Taïwan est une obsession pour le président Xi. La Chine n’acceptera jamais que Taïwan devienne un pays indépendant. C’est clair, net et précis, et plus on évolue avec le temps, et certainement avec le président Xi, moins il y a eu de doutes que les Chinois sont prêts à envahir Taïwan militairement. Le scénario que la Chine un jour pourrait prendre Taïwan par la voie militaire, c’est un fait. On ne sait pas s’ils le feront, mais ils sont prêts à le faire, et l’ont déjà dit à plusieurs reprises.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire