En s’en prenant à la Pologne, le président russe teste la réactivité de l’Otan, éprouve la résilience des populations européennes, et continue à duper Donald Trump. Strike gagnant.
«Lorsque la Russie nous adresse une menace, il faut la prendre avec un sérieux mortel», a commenté Wladyslaw Kosiniak-Kamysz, le ministre de la Défense d’un pays, la Pologne, dont, à plusieurs reprises au cours de son histoire, la population a éprouvé dans sa chair la violence de son grand voisin (par la frontière avec l’exclave de Kaliningrad). Il s’exprimait dans la foulée de l’incursion, dans la nuit du 9 au 10 septembre, de 19 drones et d’un missile de croisière russes, dont certains se sont enfoncés jusqu’à 250 kilomètres à l’intérieur du territoire. Cette action trop massive pour relever d’un dommage collatéral d’une énième attaque russe en Ukraine a nécessité, pour la première fois depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’intervention d’appareils européens pour en éliminer certains.
Un palier a incontestablement été franchi cette nuit-là. Des survols de territoires voisins de l’Ukraine ou même la chute d’un missile, déjà en Pologne (provoquant la mort de deux personnes le 15 novembre 2022, le drame résultant en réalité d’une défaillance de la défense ukrainienne), avaient auparavant été observés. Mais ils n’étaient pas intentionnels. Cette fois, la volonté de prendre la Pologne pour cible est avérée. Le volume élevé d’engins envoyés, leur dispersion en différents endroits du territoire dont les abords du principal aéroport de Varsovie et la localisation, au Bélarus, de certains sites de lancement attestent de l’action délibérée. La Roumanie en a été aussi victime, mais dans une moindre mesure, quand un drone a survolé son territoire pendant près d’une heure le 13 septembre. L’appareil avait atteint le pays de l’Otan en passant par la mer Noire, un autre élément qui indique qu’il n’était pas impliqué dans une mission relevant du conflit en Ukraine. Le 15 septembre enfin, troisième incident en une semaine, les autorités polonaises ont intercepté un autre drone qui avait survolé des bâtiments gouvernementaux à Varsovie. Deux citoyens bélarusses ont été arrêtés dans le cadre de cette affaire.
Trois objectifs
L’incursion en Pologne, la plus significative, peut avoir poursuivi trois objectifs dans l’entendement russe: tester la détection et la défense antiaérienne d’un membre important de l’Otan et la réponse collective de l’Alliance; alimenter la tension au sein de la population européenne; évaluer la réaction du pays sans lequel la défense européenne reste démunie, les Etats-Unis.
L’incursion de drones en Pologne a donné à voir un Trump plus en phase avec Moscou qu’avec Bruxelles.
Des F-16 polonais, des F-35 néerlandais, un Awacs italien sont intervenus pour circonscrire le danger de l’intrusion des drones russes dans la nuit du 9 au 10 septembre. Ils en ont abattu quatre. Et les autres n’ont pas causé d’importants dommages. L’assurance que ce serait bien le cas a peut-être justifié que ne soient pas utilisés des moyens d’interception coûteux pour les neutraliser. La réponse de l’Otan semble donc avoir été relativement efficace. Un diagnostic semblable ne peut pas être établi en ce qui concerne l’incursion du drone russe en Roumanie. Qu’il ait pu se balader au-dessus du territoire otanien pendant 50 minutes avant d’être pris en chasse et puis, de s’évanouir dans les airs n’est pas la réaction convaincante espérée.
Il est évident que l’opération menée par la Russie en Pologne, même si la réponse opposée a été opportune, est de nature à instiller l’idée non seulement que Moscou est bien décidé à prolonger la guerre en Ukraine malgré les espoirs, ténus, qu’avait soulevé la séquence diplomatique marquée par le sommet d’Anchorage entre Donald Trump et Vladimir Poutine le 15 août, mais aussi de sa possible extension. Or, on sait le caractère explosif qu’aurait pour l’ensemble des Européens la perspective d’une attaque directe de l’armée russe contre un pays de l’Alliance atlantique, sa charte prévoyant dans son article 5 qu’en cas d’attaque d’un de ses membres, les autres sont tenus de lui apporter assistance. Dans la guerre psychologique menée par la Russie, il n’est pas anodin non plus qu’une de ses principales actions affecte la Pologne. La population y est réputée particulièrement méfiante envers la Russie. Cela n’a pas changé. En revanche, elle mesure de plus en plus son soutien à l’Ukraine, ayant été depuis le début de la guerre en première ligne de l’assistance à ses habitants réfugiés à l’étranger.
Trump du côté de Poutine
La réaction de Donald Trump, troisième objectif possible de l’opération en Pologne, n’a pas dérogé à l’attitude qu’il affiche quand il est mis en difficulté par les actes de son «ami» Vladimir Poutine. Il a minimisé la teneur de l’incursion des drones en Pologne, suggérant qu’il puisse s’agir d’«une erreur». Et il a une nouvelle fois retourné son dépit vers les Européens. Interrogé sur la possibilité de sanctions contre Moscou, évoquées à plusieurs reprises et de plus en plus pertinentes au vu des pieds de nez successifs que lui inflige le président russe depuis sa rencontre au sommet, il s’est retranché derrière l’injonction adressée aux membres de l’Otan de prendre eux-mêmes de nouvelles sanctions, d’arrêter d’acheter du pétrole à la Russie et de décider d’augmenter les tarifs douaniers à l’encontre de son principale allié la Chine. Une surenchère à la fois infondée (l’Union européenne a réduit à 3% du volume global ses importations de pétrole russe, la Hongrie et la Slovaquie, dont les dirigeants sont les plus proches en Europe de Trump, ayant obtenu des dérogations; le dossier du gaz russe est en revanche plus incriminant pour l’UE) et inacceptable (hypothéquer ses relations économiques avec la Chine serait un danger pour l’Union européenne).
Dans la guerre psychologique menée, il n’est pas anodin que la Russie s’en prenne à la Pologne.
C’est donc à nouveau, et c’est le plus souvent le cas, le Donald Trump en phase avec Moscou plus qu’avec Bruxelles, siège de l’UE et de l’Otan, que la montée de tension en Pologne et en Roumanie a donné à voir. Ce n’est pas rassurant pour la suite du conflit en Ukraine et pour l’avenir des relations entre la Russie et l’Europe. De son côté, Vladimir Poutine engrange les points sans que personne ne semble en mesure de l’arrêter. Reste à savoir jusqu’où il voudra aller.