Le gouvernement français compte sur les nouvelles recrues de plus en plus nombreuses pour alléger la tâche des militaires. © D. ALLARD/REA

Comment la France a changé un an après le 13 novembre

Volontariat dans les associations, formation aux premiers secours, enrôlement dans les réserves des forces de l’ordre : les attentats de Paris ont dopé la solidarité en France. Surtout parmi les jeunes.

A 19 ans à peine, Pauline Bonnet est déjà une récidiviste de l’engagement citoyen. L’an dernier, elle a laissé tomber sa classe préparatoire à des études universitaires à Sciences po pour se porter candidate au service civique. Pendant six mois, vingt-quatre heures par semaine, elle a initié les élèves d’une école primaire de Maisons-Alfort, ville au sud-est de Paris, aux activités artistiques. Depuis mai 2016, Pauline mène une double vie : étudiante en lettres et cinéma à la Sorbonne, elle est aussi bénévole de la Protection civile française. Une nuit ou une journée par semaine, elle enfile sa tenue bleu et orange et se tient prête, avec son équipe, à voler au secours des victimes d’accident de la route ou de malaise à domicile.  » J’ai vu quel soutien les secouristes ont apporté aux blessés des attentats du 13 novembre, raconte la jeune fille. Pour moi, ces événements ont agi comme un déclic.  »

Pour Vianney Thomas également. Cette nuit-là, à 3 heures du matin, il a envoyé un mail à la Protection civile pour proposer ses compétences. Depuis, cet ingénieur de 24 ans,  » mordu d’associatif « , comme il se décrit lui-même, ne mégote pas sur ses heures :  » J’essaie d’assurer deux maraudes par mois auprès des SDF, deux postes de secours et une garde avec les pompiers « , récapitule-t-il. C’est plus fort que lui, il éprouve le  » besoin de (se) mettre au service de la société « .

Aider. Protéger. Défendre. Jamais peut-être ces mots n’ont sonné si doucement aux oreilles des Français. Pour  » remettre le monde à l’endroit « , comme le dit la psychiatre Muriel Salmona (lire son interview plus bas), ils ont été nombreux, après le carnage de novembre, à s’engager dans les rangs des associations ou des réserves des forces de l’ordre. Au Secours populaire, les volontaires affluent : chaque mois, depuis le début de l’année, ils sont 700 de plus en moyenne – et même près de 1 000 en octobre.  » Cela me donne confiance dans l’être humain « , se réjouit le président Julien Lauprêtre. A la Protection civile et à la Croix-Rouge, dont les secouristes se sont démenés pour sauver les victimes du 13 novembre, les propositions de bénévolat ont explosé dans les semaines qui ont suivi. Comme les demandes de formation aux premiers secours.  » Elles ont augmenté, chez nous, de 60 à 80 % sur l’année écoulée, précise Pierre-Emmanuel Ranson, directeur général adjoint de la Protection civile. Les citoyens ont compris qu’il pouvait être vital de savoir pratiquer un massage cardiaque ou poser un garrot.  »

Les Français s’initient aux gestes qui sauvent

Des secouristes de la Protection civile accueillent des victimes de l'attentat de Nice. Depuis novembre 2015, les propositions de bénévolat se sont multipliées.
Des secouristes de la Protection civile accueillent des victimes de l’attentat de Nice. Depuis novembre 2015, les propositions de bénévolat se sont multipliées. © A.-C. POUJOULAT/AFP

Toute la France s’y est mise. Dans la capitale, d’abord, où, dès janvier 2016, les sapeurs-pompiers ont ouvert leurs casernes, tous les samedis après-midi, pour enseigner ces gestes essentiels. Le 26 mars, baptisé  » Samedi qui sauve « , les Parisiens ont pu s’y initier dans toutes les mairies d’arrondissement, puis, tous les mercredis et samedis de l’été, sur la place de la République. En province, la Fédération nationale des sapeurs- pompiers, la Protection civile et la Croix-Rouge ont uni leurs forces pour faire face à la demande. Point d’orgue : un Samedi qui sauve, national celui-là, le 12 novembre. Quelque 100000 personnes ont déjà suivi l’initiation aux  » comportements qui sauvent « , promue grande cause nationale 2016 par le Premier ministre.  » Des jeunes, surtout « , pointe le lieutenant-colonel Gabriel Plus, porte-parole des sapeurs-pompiers de Paris.

Les juniors sont également davantage présents que leurs aînés parmi les nouveaux bénévoles. Selon une étude du Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie dévoilée le mois dernier, la part des 18-30 ans investis dans une activité associative est passée de 26 % en 2015 à 35 % quelques mois plus tard. Près de la moitié d’entre eux affirment que les attentats ont dopé leur solidarité et leur patriotisme. Soucieux de  » donner du temps à la collectivité « , Benjamin, 32 ans, consultant dans une prestigieuse société de conseil, vient de s’engager dans la réserve de la gendarmerie. A la fin d’octobre, il a pris des congés sans solde pour effectuer sa  » PMG « , la préparation militaire maison, au côté de 200 camarades, dont un quart de jeunes femmes : 14 longues journées, entamées à 5 h 50, achevées à 22 h 30, pour apprendre sécurité routière, maniement des armes, tir, déontologie, procédures, etc. Depuis le 1er janvier dernier, 5 100 nouvelles recrues ont rejoint cette réserve – 2 400 de plus qu’au cours des dix premiers mois de 2015. La réserve opérationnelle de la Défense a, elle aussi, gonflé, passant de 28 000 à plus de 30 000 hommes et femmes. Celle de la Police nationale, plus modeste, a progressé de 3 000 à 3 237 volontaires. Les postulants à ces différentes réserves, regroupées depuis quelques semaines au sein de la Garde nationale, sont accueillis à bras ouverts. Et pour cause : le gouvernement français compte sur eux pour alléger la tâche des militaires mobilisés dans le cadre de l’opération Sentinelle de protection du territoire.

Autre signe des temps : on se bouscule pour devenir gardien de la paix ou gendarme. Cette année, ils ont été presque deux fois plus nombreux à passer ces concours qu’en 2015. Fanny Simon, 25 ans, toute nouvelle réserviste, rêve d’endosser, à son tour, l’uniforme pour de bon. Cette native du sud-ouest de la France, chef d’une équipe d’hôtesses d’accueil à l’aéroport de Roissy, tentera en mars prochain de devenir sous-officier de la gendarmerie. Son petit frère, lui, vient de rentrer dans la police.

Par Anne Vidalie.

« Une façon de remettre le monde à l’endroit »

Muriel Salmona, médecin psychiatre, préside l’association Mémoire traumatique et victimologie, organisme d’information et de formation pour les victimes de violences.

Depuis un an, de nombreux jeunes Français ont rejoint les réserves de l’armée et de la gendarmerie ou les rangs d’une association. Cet élan vous a-t-il étonnée ?

L’engagement est une forme de résistance, une manière de redonner de la valeur à ce qui a été attaqué le 13 novembre 2015, puis le 14 juillet dernier : les personnes, le vivre ensemble, la solidarité. C’est la vie contre la mort, en somme. L’antidote à la division, à l’enfermement et à la terreur que voulaient semer les terroristes. Cette réaction me semble plus adaptée que la posture « Ils ne nous font pas peur » ayant suivi les attaques contre Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher.

Dès la nuit du 13 au 14 novembre, certains ont manifesté leur envie de se rendre utiles…

Après les attaques de Paris, un mouvement de solidarité inédit s’est manifesté : les gens se sont mobilisés pour accueillir, aider. Beaucoup ont découvert qu’ils avaient la capacité d’agir. Cette sorte de contamination positive permet de lutter contre l’angoisse et le sentiment d’impuissance. Se soucier des autres, créer des liens : cela remet le monde à l’endroit.

Les jeunes sont les plus tentés par l’engagement. Pourquoi ?

Ce sont des jeunes qui étaient visés le 13 novembre. Mais les plus âgés s’engagent autrement, en privilégiant les liens protecteurs : avec leurs enfants, leurs petits-enfants, leurs élèves ou leurs collègues.

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