David Testo (à g.) : "On n'imagine pas qu'un gay puisse être le plus fort, le plus rapide, le meilleur." © CHRISTINNE MUSCHI/REUTERS

Coming-out dans le football : « Il faudrait qu’un joueur du top assume »

Mélanie Geelkens
Mélanie Geelkens Journaliste, responsable éditoriale du Vif.be

Le soccer, c’était toute la vie de David Testo. Jusqu’en 2011 et la révélation publique de son homosexualité, qui a mis fin à sa carrière professionnelle. L’Américain a coupé les ponts avec le ballon rond, mais continue à raconter son histoire. « Si elle peut aider ne fût-ce qu’un jeune ! »

Vous avez révélé publiquement votre homosexualité en 2011, alors que vous étiez en fin de contrat avec votre club, l’Impact de Montréal. Pourquoi à ce moment-là ?

A ce stade de ma carrière, je ne voulais plus me cacher. Le Canada avait connu plusieurs suicides d’adolescents au sein de la communauté LGBT (NDLR : lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres). Je ne suis pas Ronaldo, mais j’avais l’impression que je pouvais offrir mon histoire à ces jeunes. Moi, ça m’aurait aidé de savoir que je n’étais pas seul. J’avais développé une relation de confiance avec une journaliste qui me suivait depuis longtemps et qui m’a permis de faire mon coming out comme je l’entendais. Je ne voulais pas faire sensation. A la fin de l’interview, elle m’a dit :  » Prépare-toi à une tempête.  » J’ai répondu :  » Mais non !  » Pourtant, ça a bel et bien provoqué une vague médiatique.

Vous ne vous l’aviez vraiment pas vu venir ?

Une telle affaire, pas du tout ! Mon entourage savait que j’étais gay. A Montréal, on peut se promener main dans la main en rue, ça ne pose pas problème. Mais je viens de Caroline du Nord, un Etat américain très croyant. Le lendemain de l’annonce, ma mère m’a téléphoné, fâchée :  » Qu’est-ce que tu as fait !  » Des journalistes l’appelaient sans cesse. Je n’avais prévenu personne de ma démarche. Encore aujourd’hui, ma famille m’envoie des mails pour me dire qu’elle prie pour moi.

Les rares coming out dans le foot ne sont pour la plupart réalisés qu’en fin de carrière. Pourquoi ?

Ce n’est qu’à 30 ans que je me suis senti suffisamment à l’aise pour que mes deux vies différentes se rejoignent. Chaque personne homosexuelle a sa propre histoire et elle n’est jamais facile. Le coming out est un processus. Il faut d’abord en parler à ses amis, à sa famille, à sa communauté… Le sport arrive comme le sommet de plusieurs couches. Puis ce milieu ne se caractérise pas par une grande acceptation et est régenté par la testostérone et le machisme. On n’imagine pas qu’un gay puisse être le plus fort, le plus rapide, le meilleur.

Le regard des coéquipiers, du coach, du club, ça compte aussi ?

u0022Dans les vestiaires, beaucoup avaient peur de moi ou quittaient la douche quand j’y entraisu0022

J’avais essayé de faire mon coming out une première fois, quand nous venions de gagner le championnat et que j’avais été élu meilleur joueur. J’avais demandé à mon coach s’il pensait que c’était une bonne idée.  » Non !  » Il ne voulait pas ça pour son équipe. Jusqu’à mon dernier match, j’ai dû gérer l’homophobie. Face aux équipes adverses, lorsque des insultes sont lancées pour te déstabiliser. Dans les vestiaires, lorsque des joueurs te tournent le dos et t’évitent. Beaucoup avaient peur de moi ou quittaient la douche quand j’y entrais. Montréal est une ville géniale, multiculturelle. Du coup, chaque coéquipier arrivait avec ses propres convictions et certains étaient vraiment hostiles. Peut-être ne le montraient-ils pas, mais je le sentais.

Les sponsors et les marques contribuent-ils à l’omerta ?

Dans les carrières de haut niveau, je pense, oui. Il doit arriver que des joueurs gay n’aient pas envie de perdre des contrats à plusieurs millions de dollars. Le sponsorship est une corporation qui n’est pas toujours ouverte à la communauté LGBT. Pour normaliser l’homosexualité dans le sport, il faudrait qu’un joueur de haut niveau assume et devienne cette personne très spéciale qui ouvrira la voie et fera sauter les barrages en plaçant la communauté LGBT avant l’argent et tout le reste.

Les supporters, qui scandent parfois des propos homophobes dans les tribunes, ne jouent-ils pas un rôle ?

Leur influence est primordiale. Si vous savez que vous aurez le soutien des fans, non seulement à domicile mais aussi partout en déplacement, ça peut faciliter les choses. Dans certains pays où les règles gouvernementales ne supportent pas votre mode de vie, les propos homophobes dans les stades sont courants et il n’existe aucune loi pour les punir. Mais, petit à petit, je constate un changement, une volonté de ne plus laisser faire.

Après votre coming out, vous êtes resté trois ans sans regarder un match. Pourquoi ?

D’abord, j’ai éteint mon téléphone, j’ai acheté un ticket pour Miami et je me suis barré plusieurs semaines. C’était presque comme une rupture amoureuse. Regarder un match était devenu trop émotionnel, je devais me préserver, parce que je ne me sentais plus accepté dans le monde du sport. Je me sentais abandonné.

Par qui ?

Par le football ! Par les propriétaires de l’équipe, mes coéquipiers, les autres équipes, les organisateurs. Quand j’ai rendu mon homosexualité publique, j’ai reçu zéro appel ! Personne ne voulait m’engager.

Ça vous a surpris ?

Evidemment ! A ce moment de ma carrière, je n’étais pas le plus mauvais joueur du championnat, on aurait pu miser sur moi. J’ai même dit à l’Impact : je jouerai gratuitement pendant un an, juste pour pouvoir raconter cette histoire. Ils ont refusé.

Personne, dans le milieu, n’ignorait pourtant votre homosexualité. L’avoir rendue publique a tout changé ?

Oui. Ils ne voulaient pas de  » destruction « . Leur équipe devait être aussi fonctionnelle que possible, sans faille. S’il y avait un match à Houston, au Texas, ils ne voulaient pas subir la destruction médiatique. Ils préféraient un joueur aussi bon que moi – ou moins bon – pour être tranquilles. Je jouais au foot depuis mes 5 ans. J’avais gagné tous les championnats, à tous les niveaux où j’évoluais. Je voulais rester un membre de cette communauté, mais il n’y avait plus de place pour moi. Je voulais devenir coach, mais ça aurait été encore plus dur. Etre entraîneur nécessite d’avoir le soutien de ses joueurs, or si certains ne vous acceptent pas, ils vous court-circuitent et vous mettent dans une position inconfortable. En tout cas, dans une position que je n’avais pas envie de vivre.

Vous jouez encore aujourd’hui ?

Non, j’ai complètement arrêté.

Pas de regret ?

(silence) Vous savez quoi ? C’est triste. Parce qu’une part de moi aime toujours le football. L’odeur du gazon, la compétition, cette fraternité dans le vestiaire, le fait de réunir des gens pour essayer d’atteindre un but, tout cela me manque. Hashtag larmes (rires) !

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire