Thierry Fiorilli

C’est beau comme le bouclier antimissile de Vladimir (chronique)

Thierry Fiorilli Journaliste

Un fabuleux insoumis. Convaincu que ses fresques finiront par avoir autant de poids que la propagande officielle

Il y a beaucoup de Vladimir Ovchinnikov, en Russie. Et quelques-uns, dès lors, célèbres dans leur pays voire en dehors. Comme Vladimir Olegovich Ovchinnikov, champion du monde junior du lancer de javelot en 1988 et participant à deux éditions des Jeux olympiques ensuite (1996 et 2000). Ou Vladimir Pavlovich Ovchinnikov, pianiste et vainqueur, entre autres, des prestigieux concours internationaux Tchaïkovski et de Leeds. Ou trois autres, peintres: Vladimir Ivanovich Ovchinnikov, né en 1911 et mort en 1978, impressionniste dont on retrouve des oeuvres (nature, portraits, scènes autobiographiques) dans plusieurs musées d’art du monde ; Vladimir Afanasievich Ovchinnikov, né en 1941 et mort en 2015, au style très personnel, mêlant « l’art socialiste » à « l’ironique primitif ». Et Vladimir Aleksandrovich Ovchinnikov, toujours bon pied bon oeil et street artist de Borovsk, à un petit cent kilomètres de Moscou.

Connu, là-bas, depuis longtemps, il l’est à travers quasiment toute la planète depuis l’invasion russe de l’Ukraine, le 24 février dernier. Une semaine après son 84e anniversaire. Parce qu’il défie les lois spéciales votées, en Russie, à la va-vite, pour museler toute opposition à l’opération déclenchée par un autre Vladimir, celui du Kremlin. En dessinant sur les murs. Une fois un drapeau ukrainien, une autre la devise du pays envahi, ici une colombe, là une femme russe et une autre, ukrainienne, se donnant la main, plus loin un enfant avec des bombes noires au-dessus de la tête et un « Arrêtez! » crié, parfois avec mille couleurs, parfois juste au fusain, toujours avec quelque part le Z devenu signe de reconnaissance des chars russes à l’oeuvre en Ukraine…

Le topo est toujours pareil depuis deux mois: 1) il recouvre un mur pour dire combien cette guerre est une honte, quelqu’un le dénonce ou la police le surprend (ou reconnaît tout de suite qu’il en est l’auteur) ; 2) on efface le dessin ; 3) on lui colle une amende pour avoir discrédité l’armée, le président, l’action militaire, etc. ; 4) des donateurs (de Borovsk et au-delà) lui refilent en douce de quoi payer. Entre chaque étape, il graffe un autre mur ou redessine là où on a effacé ce qu’il avait peint. Comme on a effacé, bien avant le 24 février dernier, tant de ses oeuvres. Puisqu’elles dérangeaient le pouvoir poutinien.

Vladimir Aleksandrovich Ovchinnikov dit qu’il a passé l’âge d’avoir peur, passé l’âge de se taire, passé l’âge de raser les murs. Alors, comme il l’a toujours fait, au fond, il les utilise comme des miroirs, des manuels d’histoire, des albums photo, des calicots, des porte-voix. Sa ville est pleine de ses dessins, représentant des moments clés de la ligne du temps de la nation, des écrivains, des scènes de libération de l’occupant nazi, des victimes des goulags…

Un vieil homme, considère-t-on, mais un fabuleux insoumis. Convaincu que ses fresques finiront par avoir autant de poids, autant d’impact, que la propagande officielle. Qu’un crayon peut venir à bout des missiles.

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